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Dans l’est de la RDC, « un grand nombre de combattants démobilisés reprennent déjà le maquis »

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Un véhicule médical de l’hôpital du Nord-Kivu est venu récupérer le corps du chauffeur en bordure du parc national des Virunga, à quelque 25 kilomètres de Goma, où l’ambassadeur d’Italie en RDC, son garde du corps et son chauffeur ont été tués lorsque leur voiture a essuyé des tirs le 22 février 2021. Un véhicule médical de l’hôpital du Nord-Kivu est venu récupérer le corps du chauffeur en bordure du parc national des Virunga, à quelque 25 kilomètres de Goma, où l’ambassadeur d’Italie en RDC, son garde du corps et son chauffeur ont été tués lorsque leur voiture a essuyé des tirs le 22 février 2021.

De nombreuses interrogations entourent les circonstances de l’attaque qui a coûté la vie de l’ambassadeur italien en République démocratique du Congo (RDC), Luca Attanasio, lundi 22 février. Le diplomate de 43 ans, qui circulait dans un convoi du Programme alimentaire mondial (PAM), son garde du corps italien et un chauffeur congolais, sont décédés après avoir été pris dans une embuscade dans la province du Nord-Kivu (est), près de la frontière avec le Rwanda. La principale question porte sur les auteurs de l’attaque.

Chercheur à l’université de Gand, Christoph Vogel est l’un des auteurs du dernier rapport du Baromètre sécuritaire du Kivu sur la situation dans l’est de la RDC. Il revient sur le climat d’insécurité qui persiste dans cette région où cohabite un grand nombre de groupes armés, ce « qui rend les enquêtes ardues ».

Que sait-on de la zone où a eu lieu l’attaque, à une quinzaine de kilomètres au nord de Goma ? La Monusco (Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo) avait classé la route comme empruntable sans escorte. Pourtant il semble qu’il s’agissait d’un axe assez dangereux ?

Christoph Vogel. On sait qu’il y a la présence de différents groupes armés, comme les FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda, un groupe de rebelles hutu rwandais], les ex-M23 [Mouvement du 23 mars] ou encore les Nyatura-CMC, ainsi que de petits groupes de bandits. Cette portion précise, entre Goma et Rutshuru, est moins dangereuse que le tronçon au nord de Rutshuru, mais elle a connu des incidents phare, notamment l’enlèvement de deux touristes britanniques en 2018 à quelques kilomètres de là.

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L’ONU avait classé la route en jaune, c’est-à-dire qu’elle est empruntable en convoi de deux véhicules, sans besoin d’une escorte militaire. Au vu de ce qui est arrivé lundi, il est normal de questionner le classement, surtout qu’il n’y a pas de données publiques qui expliquent comment il est fait, et que ce n’est pas la première fois qu’il y a des faiblesses au niveau analytique.

Les autorités congolaises affirment que les FDLR sont responsables de l’attaque. Est-ce que celle-ci correspond à leur mode opératoire ?

Les FDLR sont parmi les groupes les plus forts dans la zone et sont capables de telles opérations, mais c’est aussi le cas d’autres groupes dans la région. On a déjà vu dans l’est de la RDC des phénomènes de groupes qui répliquent les actions des autres : à Beni, les ADF [Forces démocratiques alliées, un groupe armé islamiste originaire de l’Ouganda voisin] ont développé un mode opératoire d’attaques très violentes avec des massacres de civils, et d’autres se sont mis à faire pareil.

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Les FDLR sont régulièrement accusés d’attaques et d’embuscades similaires à celle de lundi mais, ces dernières années, on a vu des réseaux de kidnappeurs se développer. C’est donc très difficile à analyser.

Pourquoi le gouvernement congolais a-t-il si rapidement pointé du doigt les FDLR ?

La responsabilité des FDLR reste effectivement à prouver avec des éléments clairs qui n’ont pas encore été mis sur la table. Mais ce n’est pas une surprise qu’ils soient au sommet de la liste des suspects. Ils sont un adversaire de Kinshasa depuis plusieurs années déjà et, après l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir [en janvier 2019], les relations bilatérales se sont réchauffées avec le Rwanda. Comme les FDLR sont l’adversaire principal de Kigali, cela les met dans une position d’ennemi commun tout désigné.

Plusieurs enquêtes vont commencer dans les prochains jours. Pourquoi lorsqu’il y a une attaque dans ces provinces, est-il si difficile de savoir avec certitude qui est derrière ?

Il y a d’abord le nombre élevé de groupes armés qui rend les enquêtes ardues. Ce sont aussi des zones difficilement accessibles au niveau sécuritaire et logistique. Il n’est pas simple d’atteindre les sources locales et les témoins. Le terrain difficile permet aux auteurs de s’éparpiller dans la nature, et les témoins peuvent avoir peur des représailles.

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Est-il courant que des groupes armés s’attaquent à des convois de l’ONU ?

C’est rare mais cela arrive. Ces dernières années, dans le territoire du Masisi à l’ouest de Goma, il y a eu des attaques sur des véhicules de l’ONU, y compris du PAM. Les groupes armés hésitent avant de s’attaquer à eux car il peut aussi s’agir de convois de la Monusco, la force de l’ONU en RDC, qui eux sont armés.

Selon le dernier rapport du Baromètre sécuritaire du Kivu, dont vous êtes l’un des coauteurs, le nombre de groupes armés dans l’est de la RDC a diminué en 2020. Pourtant, le nombre d’attaques semble augmenter, notamment les enlèvements. Comment l’expliquer ?

Effectivement, en 2020, on a recensé 122 groupes armés sur les quatre provinces de l’est du pays contre 134 en 2017 pour les deux seules provinces des Kivu (Nord-Kivu et Sud-Kivu). Cela s’explique d’abord par le changement au niveau de la présidence. Début 2019, à l’arrivée de Félix Tshisekedi, beaucoup de groupes ont rendu les armes. Mais faute d’un solide programme national de démobilisation, un grand nombre d’ex-combattants reprennent déjà le maquis.

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Sur l’augmentation des kidnappings, il y a plusieurs hypothèses. D’abord l’impact économique du Covid-19 qui peut motiver à chercher d’autres sources de revenus, comme les rançons. Et puis l’inertie générale du conflit qui continue depuis presque trente ans dans la région et pousse les auteurs des crimes à aller vers le plus lucratif. Ils ciblent à la fois les humanitaires, car la rumeur veut que les organisations paient des rançons très élevées, mais également les civils.

L’insécurité est persistante dans l’est de la RDC et l’Etat congolais semble incapable de juguler la violence. Pourquoi, selon vous ?

Il n’y a pas de réponse simple à cela. Les conflits locaux autour de la terre interagissent avec les dynamiques nationales et internationales. Des armées étrangères sont présentes dans la région, sous prétexte de venir chasser leurs ennemis sur le sol congolais.

Les groupes armés sont là depuis les années 1990 et sont de plus en plus complexes à appréhender : ils ont des représentants politiques, du personnel de liaison en ville. Le processus de DDR [désarmement, démobilisation, réintégration] est difficile parce qu’il faut déjà identifier les combattants, qui sont parfois des fermiers, des pêcheurs, qui prennent les armes ponctuellement. La misère pousse aussi la population à rejoindre les groupes armés.

Et puis certains acteurs politiques, sécuritaires et institutionnels sont impliqués directement ou indirectement dans le maintien de cette instabilité.

En arrivant au pouvoir, Félix Tshisekedi avait promis de ramener la paix dans l’est du pays. Qu’est-ce qui a été fait en ce sens en deux ans ?

Depuis quelques mois, il y a des discussions très intenses à la tête de l’Etat sur un programme DDR qui pourrait entrer en vigueur cette année. La Banque mondiale s’est dite prête à le financer et les chancelleries sont également intéressées.

Beaucoup critiquent le président qui n’a pas réussi à rétablir la sécurité à l’est. Mais, au niveau régional dans les Grands Lacs, la diplomatie est active pour essayer d’améliorer les relations avec les pays voisins et stabiliser la région. Ce n’est pas encore suffisant, mais c’est un début.

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