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« Jamais ça ne pourrait se reproduire aujourd’hui » : en 1975, au Brésil, une campagne de vaccination hors norme

Par Nathaniel Herzberg

Publié aujourd’hui à 06h30

Une thèse de médecine, une autre d’histoire des sciences, jamais éditées. Un petit film documentaire, à usage exclusif de promotion interne, vantant une opération conduite tambour battant. Et des boîtes de documents, soigneusement rangées dans les archives de la Fondation Mérieux. La campagne de vaccination menée, en 1975, au Brésil contre la méningite à méningocoque a laissé peu de traces apparentes dans l’histoire sanitaire française. « Nous vivons dans un pays assez centré sur lui-même, explique Alain Mérieux, patron de l’Institut Mérieux de 1968 à 1994, aujourd’hui président de la fondation du même nom. Ce qui se passe à l’étranger tient rarement une place bien importante chez nous. »

A Sao Paulo, 10 millions d’habitants
ont été vaccinées en cinq jours, un record absolu dans l’histoire

Pourtant, l’aventure conduite voilà trente-sept ans à quelque 9 000 kilomètres de Paris constitue bel et bien une prouesse du savoir-faire national. Un de ces exploits, mélange d’ambition, d’audace et de passion, qui marquent ceux qui y participent et stupéfient ceux qui les découvrent. D’avril à juin 1975, le laboratoire pharmaceutique lyonnais et les autorités brésiliennes ont vacciné plus de 80 millions de personnes menacées par une terrible épidémie de méningite cérébro-spinale. Dans la mégapole de Sao Paulo, 10 millions d’habitants ont été protégés en cinq jours, un record absolu dans l’histoire de l’immunisation. Des chiffres qui donnent le tournis et résonnent étrangement avec l’actualité sanitaire du moment. « Ne cherchez pas à comparer, met en garde Alain Mérieux, c’était une autre époque. Les règles sanitaires n’étaient pas les mêmes, les relations internationales étaient différentes, et l’industrie pharmaceutique avait d’autres priorités que la seule rentabilité. »

Le ministre brésilien de la santé, Paulo de Almeida Machado (à droite), accueilli à sa descente d’avion par Alain et Charles Mérieux (au centre), en 1974.Le ministre brésilien de la santé, Paulo de Almeida Machado (à droite), accueilli à sa descente d’avion par Alain et Charles Mérieux (au centre), en 1974.

Tentons donc de nous extraire de la pandémie actuelle et de nous replonger dans la décennie 1970. « A vrai dire, il faut même remonter dix ans en arrière pour comprendre cette histoire, précise Jacques Berger, quarante ans passés chez Mérieux, où il a fini directeur général délégué. Tout a commencé dans une réunion à l’OMS, en 1963. » L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a rassemblé des industriels du médicament. Elle cherche un laboratoire prêt à travailler sur une méningite endémique qui frappe l’Afrique. « Ils ont tous piqué du nez, Charles Mérieux a levé le doigt », raconte-t-il.

Lire cette archive de 1974 : L’épidémie de méningite provoque une vague d’inquiétude au Brésil

L’homme promène une réputation de fonceur, aussi hyperactif qu’idéaliste. Contraint, après la mort de son frère aîné, de reprendre le petit laboratoire familial, il en a fait une entreprise ambitieuse, produisant vaccins et traitements, humains comme vétérinaires. Que diable va-t-il faire dans cette galère ? « Vu d’aujourd’hui, on peut se le demander, admet l’historien des sciences Baptiste Baylac-Paouly, qui a soutenu, en 2018, une thèse consacrée à l’épopée. L’Institut Mérieux n’avait pas d’expérience sur le sujet. On n’avait pas de modèle animal disponible. On avait un traitement, les sulfamides, qui rencontrait de plus en plus de résistances. Et le marché était inexistant, puisque la maladie ne sévissait que dans des pays pauvres. Mais peu importe, pour lui, il fallait le faire. »

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