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Les Spacs, ces obscurs objets du désir boursier

Quel est le rapport entre un rappeur, un milliardaire français, une légende du basket et un ex-conseiller de Donald Trump ? Ils ont tous investi dans l’instrument financier star du moment à Wall Street : les Spacs. Il s’agit d’une forme très particulière d’introduction en Bourse qui n’est pourtant pas sans risque. Explications.

« Mon pote Randy m’a dit, ‘Draft Kings va entrer en bourse, il fusionne avec une Spac et le marché va kiffer’. Moi j’lui dis, ‘une Spac, c’est quoi ce machin ?’ Tu investis au début et tu ramasses le paquet après. » Tel est l’un des couplets de la dernière chanson du rappeur américain Cassius Cuvée, mise en ligne début février, où il déclare sa flamme… à un complexe instrument financier qui fait fureur actuellement aux États-Unis. Le tout devant une Tesla et avec une bouteille de champagne à la main.

Cassius Cuvée a investi plus de 500 000 dollars depuis mars 2020 dans ces véhicules financiers, a-t-il affirmé au Wall Street Journal, jeudi 18 février. Et il est loin d’être le seul à s’y intéresser. Les Spacs sont le point commun entre le multimilliardaire français Bernard Arnault, l’ex-star du basket Shaquille O’Neal, le joueur de football américain et activiste Colin Kaepernick ou encore Gary Cohn, l’ancien conseiller économique de Donald Trump.

« Si t’as pas trop Spac, t’es personne »

Oubliées les injonctions à avoir une Rolex à 50 ans. À Wall Street, aujourd’hui, c’est plutôt « si t’as pas ta propre Spac, t’es personne », résume Peter Atwater, fondateur du cabinet de recherches économiques Financial Insyghts, interrogé par le Wall Street Journal. Il y a, en moyenne, cinq nouveaux Spacs qui se créent tous les jours ouvrables depuis le début de l’année, a calculé le quotidien économique de la côte est.

Alors, pour paraphraser le rappeur Cassius Cuvée, « c’est quoi ce machin ? » Les Spacs – ou Special purpose acquisition companies, ou société d’acquisition à but spécifique – « sont essentiellement des coquilles vides financières qui entrent en Bourse sur la promesse faites par les fondateurs de la Spac aux investisseurs de trouver une société privée à racheter », explique Alexandre Baradez, responsable des analyses économiques pour le cabinet de conseil financier IG, contacté par France 24.

C’est un processus en plusieurs étapes. D’abord, des individus, généralement des pros de la finance ou des chefs d’entreprise reconnus, fondent la Spac, ensuite ils effectuent une introduction en Bourse en vendant aux potentiels investisseurs leur « vista » pour dénicher la future perle rare, puis ils la trouvent et la rachètent. En bout de course, la Spac et la société ainsi acquise fusionnent et c’est cette dernière qui devient le groupe coté.

Ces Spacs ont un surnom à Wall Street : les « sociétés chèque en blanc ». Pas étonnant, puisque « c’est un pari très spéculatif sur le savoir-faire de ceux qui émettent les Spacs », note Alexandre Baradez. « Le pitch de ces créateurs de Spacs est on ne peut plus simple : ‘je suis une personne célèbre dans mon secteur, je veux acheter un truc, faites moi confiance et donnez moi votre argent’ », résume CNBC. Ils ont ensuite deux ans pour identifier une start-up avec laquelle fusionner. Sans quoi, ils sont tenus de rembourser tous les investisseurs.

Spac vs introduction en Bourse classique

Cette confiance semble régner sur les marchés financiers en ce moment. En un seul mois, en janvier, ces obscurs objets du désir boursiers ont réussi à lever 26 milliards de dollars, soit près d’un tiers du total des sommes réunies en 2020, qui avait déjà été une année record pour les Spacs.

Ces drôles d’oiseaux boursiers ne sont pas nouveaux. À l’époque de la crise financière de 2008, ils étaient perçus par les start-up comme des alternatives aux introductions en Bourse classiques jugée trop hasardeuses dans un contexte financier des plus moroses. La Spac constitue, en effet, une manière « plus simple, plus rapide et moins onéreuse pour être coté », note Alexandre Baradez. Tout le travail fastidieux de paperasse et de convaincre des investisseurs pour entrer en Bourse a déjà été fait par la Spac. Il suffit de se mettre d’accord avec les créateurs de ce véhicule financier sur un prix d’acquisition, et le tour est joué pour la start-up.

Elles ont ensuite perdu de leur attrait au profit des introductions en Bourse classiques quand l’économie a repris des couleurs. La procédure traditionnelle « a l’avantage de procurer une plus grande exposition médiatique à la société qui veut faire ses débuts sur les marchés financiers et lorsque les investisseurs sont en confiance, on peut s’attendre à lever davantage d’argent », expliquent deux économistes de l’université de New York dans un étude sur la popularité actuelle des Spacs publiée en novembre 2020.

Les Spacs ne jouissent pas non plus d’une réputation très flatteuse. « Qu’importe le savoir-faire de leur créateur, je ne connais pas pire en terme de transparence », avait affirmé au début des années 2010 Arthur Levitt, un ancien directeur de la Security Exchange Commission (SEC, le gendarme américain de la Bourse). Les start-up ne sont, en effet, pas obligées de mettre leurs comptes à nu comme lors d’une introduction en Bourse traditionnelle et les tractations sur la fusion se font à l’abri de tous les regards.

Leur regain de popularité actuel tient beaucoup à la pandémie de Covid-19. Elles ont commencé à fleurir au printemps 2020, lorsque l’économie mondiale s’est mise en pause à cause des mesures de confinement. C’est en partie dû au fait que les investisseurs ont anticipé une redite de la crise financière de 2008, estime CNN.

Appétit pour le risque

Mais les Spacs sont aussi portés par le même phénomène qui a été à l’origine de l’affaire GameStop. « C’est dû au contexte d’argent qui coule à flots – grâce aux mesures de soutien à l’économie et aux taux très bas – et à toute l’épargne que les particuliers cherchent à investir », souligne Alexandre Baradez. 

Il faut bien que les investisseurs trouvent des placements pour leur fonds. Et « comme tout monte [actions, cryptomonnaie, etc.], il y a un plus grand appétit pour le risque qui pousse les investisseurs à parier sur les Spacs », précise l’analyste d’IG. 

En outre, les boursicoteurs du dimanche sont de plus en plus nombreux, comme l’a démontré l’emballement autour de l’action GameStop. Cassius Cuvée n’est pas le seul investisseur amateur à s’emballer pour les Spacs. Sur Twitter ou sur YouTube, il y a une ribambelle de comptes, comme Dr Spac ou SpacWatch, qui promettent monts et merveilles à tous ceux qui miseraient sur ces placements.

Les Spacs ont, en effet, toujours été considérés comme les « introductions en Bourse des pauvres ». « Les introductions en Bourse traditionnelles sont largement inaccessibles pour les petits investisseurs, alors qu’il n’y a pas de barrière pour investir dans une Spac », souligne Alexandre Baradez. Une part d’une Spac coûte, en général, 10 dollars.

Tous espèrent ensuite que les promoteurs de ces fonds dégotent le prochain Tesla (les voitures électriques sont l’un des thèmes les plus populaires parmi les Spacs actuelles) qui permettra de transformer leur mise initiale en poule aux œufs d’or.

Bulle prête à exploser

Mais, c’est aussi une aventure financière très risquée. « C’est déjà une bulle qui est prête à exploser« , juge Ivana Naumovska, une économiste de l’Institut européen d’administration des affaires (Insead), dans un article publié le 18 février par la revue américaine Harvard Business Report. « Il y a, en effet, une surchauffe du secteur », confirme Alexandre Baradez. Pour lui, il n’y a tout simplement pas suffisamment de start-up prometteuses pour le nombre de Spacs. Il y en aura donc forcément qui échoueront à trouver leur cible et d’autres qui vont fusionner avec des entreprises qui, au final, décevront les marchés.

Et c’est ce qui commence à se passer. Nikola, le constructeur de camions électroniques, a fait forte impression lors de son arrivée en Bourse après avoir été racheté par une Spac en juin 2020. Mais la lune de miel n’a pas duré et le cours de l’action s’est effondré de plus de 25 % en trois mois, provoquant une action collective de plusieurs petits actionnaires qui accusent le groupe de les avoir trompés sur l’efficacité de leur technologie.

Tous ces boursicoteurs amateurs risquent rapidement de se rendre compte que ces Spacs sont généralement peu rentables. Une étude de 89 entrées en Bourse par des Spacs depuis 2015, effectuée par le fonds d’investissement Renaissance Capital, a montré qu’elles faisaient, en moyenne, perdre de l’argent aux investisseurs. À quand la prochaine chanson de Cassius Cuvée pour expliquer que « les Spacs, c’est une arnaque, il ne faut pas y aller parce que ça fait perdre du blé » ?

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