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Les galeries d’art, refuges d’un public en manque de culture

Elles représentent, en France, l’unique exception à la fermeture des lieux culturels et l’un des derniers bastions du « monde d’avant ». Les galeries d’art enregistrent ces trois derniers mois des records d’affluence. De quoi redonner du baume au cœur aux professionnels d’un secteur durement frappé par la crise sanitaire et inquiet pour son avenir. Reportage.

Il est à peine 11 heures du matin, et déjà une trentaine de personnes patientent devant la Galleria Continua, en ce samedi 20 février. Récemment inaugurée par le célèbre street artiste, JR, cette galerie-épicerie de 800m2 est le nouveau lieu culturel dont tout le monde parle. Il faut dire que son concept est détonnant : mi-galerie d’art, mi-épicerie fine, elle propose aux visiteurs de repartir avec du pecorino truffé ou une sculpture d’Anish Kapoor, de l’huile d’olive ou un dessin de Kiki Smith.

« Il n’y a pas de théâtres, pas de cinémas, pas de musées, et il y a un moment où Netflix, ça suffit ! », résume Joël, un étudiant bien décidé à affronter la queue qui continue de s’allonger rue du Temple, au cœur du Marais, l’un des quartiers de la capitale qui concentrent le plus de galeries d’art.

Parmi elles, la galerie Polka, créée en 2007 par les fondateurs du magazine de photographie éponyme, présente en ce moment des œuvres de Marc Riboud, photographe connu dans le monde entier pour ses clichés sur l’Asie. L’exposition « Chine(s) » dévoile une quarantaine d’images qui nous emmènent, entre 1957 et 2010, dans des villes bouillonnantes d’énergie ou dans des paysages mystérieux de montagnes embrumées.

« On a l’impression de voyager avec le photographe, les clichés sont magnifiques, ça fait rêver ! », s’enthousiasme Hélène, venue dès l’ouverture pour étancher sa soif de culture en toute tranquillité.

« Il y a plus de monde, confirme Sidonie Gaychet, la directrice adjointe de la galerie. Mais on voit surtout un public différent, un public qui n’a pas l’habitude de venir en galerie. Certains cherchent la boutique de souvenirs ou demandent si l’entrée est payante. On leur explique notre métier : faire découvrir des artistes qui finiront peut-être un jour dans les collections d’un musée ». 

Des galeries fragilisées

Mais plus de monde dans les galeries ne signifie pas plus de ventes. Chez Polka, on reconnaît une baisse du chiffre d’affaires de 50 % en 2020. Une récente étude commandée par le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA) révèle que 78 % des galeries ont vu leur chiffre d’affaires chuter l’année dernière. 

Cependant, très peu de galeries ont été contraintes de mettre la clé sous la porte et le scénario redouté des fermetures en série ne s’est pas encore produit. « Les aides actuelles du gouvernement permettent à la grande majorité des galeries de se maintenir à flot. C’est quand celles-ci diminueront, en 2021 et 2022, que tout va se jouer », prévient Géraldine de Spéville, déléguée générale du CPGA.

Pour les galeries, les annulations en cascade des foires internationales, comme Paris Photo, Art Basel ou encore la FIAC, représentent un énorme manque à gagner. Ces événements, qui permettent d’ordinaire de réunir au même endroit et au même moment les collectionneurs du monde entier, sont quasiment incontournables pour les professionnels du secteur.

« La reprise des foires est un enjeu important, analyse Géraldine de Spéville. On espère qu’elle coïncidera avec une réouverture des frontières et une circulation possible des collectionneurs étrangers. En ce moment, les galeries doivent se partager la même clientèle nationale, cela commence à devenir compliqué ».

>> À voir : Le peintre David Hockney présente sa Normandie dans une galerie parisienne

Pour maintenir le lien à distance avec les collectionneurs étrangers, les galeries tentent d’innover. C’est ainsi que Polka a lancé des podcasts sur ses artistes ou encore des visites virtuelles en 3D sur son site internet. 

« Les gens apprécient mais cela ne remplace pas le fait de voir les œuvres en vrai, nuance Sidonie Gaychet. Il y a un plaisir hédoniste à voir des œuvres que l’on ne retrouve pas tout à fait avec le numérique. Les collectionneurs aiment qu’on leur raconte les histoires des œuvres, des anecdotes sur les artistes. On ne peut pas avoir ce lien particulier en ce moment ». 

Vers une réouverture des musées ?

Encouragés par une situation sanitaire stable, les appels à la réouverture des centres d’art se multiplient ces dernières semaines. La présidente du Palais de Tokyo, Emma Lavigne, a lancé une pétition qui a recueilli 10 000 signatures pour réclamer cette réouverture, en promettant « un accueil de nos visiteurs dans des conditions de sécurité renforcées ».

La fronde vient également de plusieurs élus. À Issoudun, dans l’Indre, le maire socialiste, André Laignel, a décidé, vendredi, de maintenir la réouverture du musée de l’Hospice Saint Roch pour des visites privées, malgré l’opposition de la justice. Cette initiative controversée fait suite à celle du maire RN de Perpignan, Louis Alliot, qui avait également décrété la réouverture de quatre musées municipaux. Une décision là aussi suspendue par la justice administrative.

D’autres villes, comme Strasbourg ou Beauvais, ont proposé au ministère de la Culture de mettre en place des « visites test » sur le modèle des « concerts test » qui auront lieu en mars et en avril.

Mais pour le moment, aucune information ne filtre sur un calendrier. Fermés depuis le 30 octobre dernier, les musées et monuments « seront les premiers convoqués à la réouverture », avait assuré, le 8 février, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot. Une réouverture conditionnée par une « décrue » du nombre de contaminations.

En attendant, les œuvres de David Hockney, Lucienne Bloch ou encore Christian Boltanski sont à voir gratuitement dans des galeries parisiennes, derniers refuges d’un monde culturel en plein désarroi.

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