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Comment le gouvernement veut couper au tsunami de faillites

Inscrire dans le droit des mesures d’exception prises pendant la crise du Covid pour protéger les entreprises en difficultés: c’est ce que propose le rapport sur la « justice économique ». Il a été remis ce vendredi 19 février par Georges Richelme, ancien président de la Conférence générale des juges consulaires, à Eric Dupont Moretti, Garde des sceaux, et à la ministre de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher. Avec la certitude de raviver le débat sur l’équilibre à tenir entre sauvegarde des entreprises en difficulté et défense des créanciers.

Au terme d’une centaine d’auditions, Georges Richelme, qui fut président du tribunal de commerce de Marseille, souhaite en effet que soient pérennisées des dispositions d’une ordonnance gouvernementale du 20 mai 2020. Adopté au lendemain du premier confinement, ce texte permet de prolonger les délais de conciliations, pendant lesquels les entreprises peuvent tenter de trouver des solutions à l’amiable avec leurs créanciers. De cinq mois en temps normal, le délai est porté à dix mois. « Maintenir cet allongement permettrait plus de souplesse, pour ne pas s’enfermer dans des délais trop brefs », estime Laurent Cotret, associé du cabinet August Debouzy, qui a planché sur les dossiers XL Airways et Louis Dreyfus armateurs.

Brièveté nécessaire

La mesure a pourtant fait débat au sein même de la mission

Richelme. Christophe Basse, président du Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires, exprime ainsi des réserves. « Pendant la crise, alors que tous les échanges sont plus compliqués, cette possibilité d’allonger les délais est la bienvenue, relève-t-il. Mais je ne suis pas certain qu’il faille la maintenir au-delà du 31 décembre 2021. Car la réussite des conciliations tient précisément à leur relative brièveté: elle oblige les parties à conclure. Trop longues, ces négociations ne déboucheront pas. »

Les défenseurs des créanciers manifestent eux une défiance plus vive encore. « Dix mois, c’est bien trop long, tranche un associé de cabinet anglo-saxon. Inscrire dans le droit cette règle à l’origine dérogatoire pose problème. Car cela signifierait que pendant cette durée, une entreprise peut discuter avec ses créanciers en toute confidentialité et sans contre-pouvoir. Sans même, au passage, que les fournisseurs ne soient informés de la situation. Il faudra être très vigilant sur la manière dont la mesure sera mise en œuvre, si elle est définitivement adoptée. »

Négocier bien armé

Ce n’est pas le seul point qui fait grincer des dents. Si le rapport est suivi par le gouvernement, les créanciers seront amenés à ronger leur frein pendant cette période de conciliation, puisqu’ils ne pourront pas opérer de saisie sur compte, ni exécuter d’actions judiciaires contre leur « partenaire » de négociation. « Une telle mesure me semble le corolaire à toute négociation, insiste Georges Richelme. Elle vise à rééquilibrer les forces pendant la conciliation. Car on ne peut pas dire qu’il existe un équilibre économique quand par exemple, dans une galerie commerciale, une grande société foncière engage des procédures contre le responsable d’une petite boutique. ». Christophe Basse abonde dans ce sens: « Cette suspension des actions des créanciers, qui mettent les entreprises sous pression, constitue une avancée très importante ».

L’ordonnance du 20 mai ouvre en outre la possibilité, pour les juges consulaires, de proroger unilatéralement de deux ans les dettes des créanciers. Pour Laurent Cotret, cette panoplie de mesures « donne une nouvelle dimension aux négociations: désormais, on discute avec l’arme posée sur la table », analyse-t-il.

Lobby bancaire en embuscade

Une telle modification du rapport de force déplaît furieusement aux hedge-funds –eux dont la nature même consiste à profiter de la faiblesse d’entreprises malmenées pour imposer leurs règles et se payer au mieux. Mais les banquiers et les investisseurs institutionnels (en premier lieu les assureurs) font aussi grise mine, devant ces nouvelles difficultés pour récupérer leurs fonds. « On peut faire confiance à ces professions, qui ont un certain poids politique, pour faire le siège de Bercy et batailler ferme contre de telles mesures », glisse un bon connaisseur de ces dossiers.

Le débat promet donc de rebondir. D’autant que, parallèlement aux réflexions du gouvernement sur le rapport Richelme, le député LREM Romain Grau mène également une mission sur les entreprises en difficulté, qui devrait rendre ses conclusions en juillet. Le sujet en est plus vaste, puisqu’il se penche y compris sur les procédures collectives, avec leurs cortèges de plans sociaux.

Mais cet ancien avocat fiscaliste souhaite lui aussi renforcer négociations préventives afin de donner une chance aux sociétés bousculées par la crise. « Le rapport Richelme, de ce point de vue, constitue un solide apport, explique-t-il. Il faut garder à l’esprit que ces procédures préventives réussissent à 80%. Or, même du point de vue des créanciers, mieux vaut conserver une entreprise en vie pour qu’elle rembourse ses dettes. »

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