France World

En Afrique du Sud, le laboratoire Krisp traque les évolutions du Covid-19

Pour ne rien manquer de l’actualité africaine, inscrivez-vous à la newsletter du « Monde Afrique » depuis ce lien. Chaque samedi à 6 heures, retrouvez une semaine d’actualité et de débats traitée par la rédaction du « Monde Afrique ».

Sureshnee Pillay et Upasana Ramphal, chercheuses du laboratoire Krisp, à Durban, en décembre 2020. Sureshnee Pillay et Upasana Ramphal, chercheuses du laboratoire Krisp, à Durban, en décembre 2020.

Il était très occupé depuis le début de la pandémie. Il n’a plus une minute à lui depuis que son laboratoire a annoncé la découverte d’un nouveau variant du SARS-CoV-2, le 18 décembre 2020. Jusque-là discrètes, les prouesses de l’équipe sud-africaine du professeur Tulio de Oliveira ont désormais les honneurs de la presse mondiale. Un sujet de la télévision japonaise l’a particulièrement amusé : « Je les adore parce qu’ils font de beaux graphiques. Eux, au moins, ils bossent », précise-t-il, l’œil espiègle.

Derrière ses airs de farceur en chemise à fleurs, Tulio de Oliveira, à la tête de Krisp, un centre spécialisé dans l’innovation en matière de recherche génomique à Durban, est une pierre angulaire du dispositif de surveillance génomique en Afrique du Sud. Son laboratoire a séquencé 4 000 des 6 000 génomes du SARS-CoV-2 analysés sur le continent depuis le début de la pandémie.

Episode 1 Au Ghana, une deuxième vague qui frappe davantage les jeunes

A la manœuvre dans les coulisses, deux chercheuses parties de rien face à un coronavirus dont le monde ignorait à peu près tout en mars. Jennifer Giandhari et Sureshnee Pillay ont dû réinventer tous les protocoles afin d’analyser un maximum de génomes le plus rapidement possible.

« Il n’y a pas si longtemps, il fallait trois mois pour séquencer 1 000 génomes du SARS-CoV-2. Aujourd’hui, on fait la même chose en un mois », résume la première. L’équipe espère encore doubler la cadence afin de multiplier les analyses d’échantillons venus de l’étranger.

Le variant 501Y.V2, d’origine sud-africaine

Car il y a urgence. Moins de deux mois après sa découverte, le variant d’origine sud-africaine a été identifié dans près d’une trentaine de pays et les scientifiques le soupçonnent d’être à l’origine de la seconde vague qui secoue l’Afrique. Sa présence a été rapportée en Zambie, au Botswana, au Kenya, au Ghana, à Mayotte, au Mozambique. Elle est suspectée ailleurs, mais certains pays naviguent encore à l’aveugle. Leur donner les moyens de suivre la propagation du coronavirus et d’en détecter les évolutions est l’une des missions de Tulio de Oliveira.

Etiquetage d’une fiole contenant le produit utilisé pour le séquençage du Covid-19, au laboratoire Krisp, à Durban, en décembre 2020. Etiquetage d’une fiole contenant le produit utilisé pour le séquençage du Covid-19, au laboratoire Krisp, à Durban, en décembre 2020.

« Dans les prochaines semaines, pour la première fois, nous aurons une bonne idée de la distribution des lignées de SARS-CoV-2 qui circulent sur le continent », projette le bio-informaticien. Son équipe a déjà analysé 140 échantillons venus du Mozambique. Le variant 501Y.V2, d’origine sud-africaine, a été repéré dans 90 % des résultats. Le programme est financé par l’OMS et le CDC Africa, qui ont lancé une initiative de surveillance génomique à l’échelle continentale dotée de 100 millions de dollars en octobre 2020.

Episode 2 Au Zimbabwe, le sommet de l’Etat décimé par le Covid-19

Il suffit de se pencher sur la découverte du variant sud-africain pour en comprendre l’utilité. En novembre 2020, le professeur Tulio de Oliveira est alerté par des médecins. Alors que l’Afrique du Sud est au creux de la vague épidémique, dans la province du Cap-Oriental, le nombre de malades grimpe à une vitesse inédite. En quelques jours, il collecte méthodiquement un maximum d’échantillons. L’analyse du coronavirus présent chez les malades révèle un variant sans comparaison avec les lignées déjà connues.

Celui-ci présente des mutations sur la protéine qui permet au coronavirus de pénétrer dans les cellules du corps humain et semble se propager à toute vitesse. « Jusque-là, aucune lignée n’avait dépassé 15 % des échantillons analysés. Parti de zéro, le variant 501Y.V2 représente aujourd’hui plus de 90 % des génomes que nous séquençons dans tout le pays », explique le professeur de Oliveira.

« Prendre un chihuahua et le déguiser en pitbull »

Dès le 4 décembre 2020, il alerte l’OMS, permettant aux scientifiques d’identifier à leur tour un premier variant proche au Royaume-Uni, puis un autre au Brésil. Il s’agit maintenant de comprendre les nouvelles menaces, à commencer par leur éventuelle résistance aux anticorps issus de la vaccination ou d’une première infection.

Pendant les fêtes, tous les chercheurs sont sur le pied de guerre. Le 19 janvier, le National Institute of Communicable Diseases, l’équivalent d’un CDC sud-africain, publie une première étude. Elle n’a rien de rassurant. En analysant l’efficacité de sérums de patients déjà infectés par le Covid-19 face au variant d’origine sud-africaine, l’équipe constate que le variant semble avoir échappé à la réponse immunitaire dans près de la moitié des 44 cas étudiés.

Episode 3 Au Sénégal, le personnel de santé sous tension face à la seconde vague de Covid-19

Deux jours plus tard, un autre laboratoire sud-africain annonce que ses recherches, menées cette fois sur une souche vivante du variant, vont dans le même sens. « Travailler avec un pseudovirus reconstitué en laboratoire, c’est un peu comme prendre un chihuahua et le déguiser en pitbull », résume le professeur de Oliveira.

Le docteur Benjamin Chimukangara vérifie des échantillons, dans le laboratoire Krisp, à Durban, en décembre 2020. Le docteur Benjamin Chimukangara vérifie des échantillons, dans le laboratoire Krisp, à Durban, en décembre 2020.

En n’utilisant qu’une partie du génome du virus, les résultats donnent une idée de ce qui pourrait se passer dans un environnement réel, mais la recherche sur les souches vivantes est considérée comme la référence. « Le plus important, c’est que, quelle que soit la méthode, on aboutit aux mêmes résultats », souligne le chercheur.

La gloutonnerie des pays riches

Tous ces travaux ont fait l’objet de prépublications mises à disposition avant d’avoir été validées par un comité de lecture scientifique. C’est la nouvelle norme face à l’urgence du Covid-19. « Dès que les données sont disponibles, même imparfaites, elles sont partagées », explique le professeur Hanekom.

A la tête de l’African Health Institute, à Durban, il coordonne un consortium de chercheurs créé pour l’occasion. Le groupe s’apprête à publier une nouvelle étude très attendue sur l’efficacité de plusieurs vaccins face au variant d’origine sud-africaine.

Episode 4 Malgré un contrôle strict, le Rwanda commence à se faire déborder

Reste un problème : « La science triomphe, mais la solidarité s’effondre », regrettait il y a quelques jours Jeremy Farrar, le directeur du Wellcome Trust, une fondation spécialisée dans la recherche médicale à Londres. Tulio de Oliveira abonde : « La découverte du variant est un avertissement. Il est crucial de se réveiller sur le contrôle de la transmission à l’échelle planétaire si on veut éviter les prochaines vagues et l’émergence de nouveaux variants qui pourraient se transmettre plus vite ou échapper à la réponse immunitaire », implore-t-il.

Comme le président sud-africain qui dénonçait « l’accaparement » des vaccins par quelques pays dont certains ont commandé « jusqu’à quatre fois ce dont leur population a besoin », lors de son allocution au Forum économique mondial, Tulio de Oliveira est écœuré par la gloutonnerie des pays riches : « Personne n’est à l’abri tant que tout le monde n’est pas à l’abri. »

Lundi 1er février, alors qu’il saluait l’arrivée des premiers vaccins sur le sol sud-africain, Cyril Ramaphosa a annoncé qu’il entendait rendre les vaccins accessibles « à tous les adultes vivant en Afrique du Sud, quel que soit leur nationalité ou leur statut », y compris les migrants sans-papiers.

Notre série « L’Afrique face à sa deuxième vague »

Relativement épargnée pendant la première phase de la pandémie de Covid-19, l’Afrique fait face à une accélération des cas qui engorge les systèmes de santé d’un certain nombre de pays du continent.

Le 21 janvier, John Nkengasong, le directeur du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC), a évoqué un « retournement » en cours alors que le taux de mortalité en Afrique, qui représente officiellement 2,5 % des cas recensés dans le monde, dépasse désormais la moyenne mondiale qui est 2,2 %.

Du Sénégal au Ghana, de la Tunisie au Zimbabwe, Le Monde Afrique fait le point sur la situation sanitaire dans une série de pays du continent pour mieux saisir les caractéristiques de cette seconde vague que John Nkengasong appelle à « combattre âprement ».

Episode 1 Au Ghana, une deuxième vague qui frappe davantage les jeunes
Episode 2 Au Zimbabwe, le sommet de l’Etat décimé par le Covid-19
Episode 3 Au Sénégal, le personnel de santé sous tension face à la seconde vague de Covid-19
Episode 4 Malgré un contrôle strict, le Rwanda commence à se faire déborder
Episode 5 En Tunisie, les craintes d’une saturation du système de santé face au Covid-19
Episode 6 Au Soudan, la pandémie s’aggrave sur fond de crise économique
Episode 7 En Afrique du Sud, le laboratoire Krisp traque les évolutions du Covid-19

Source

L’article En Afrique du Sud, le laboratoire Krisp traque les évolutions du Covid-19 est apparu en premier sur zimo news.