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Cette coalition vent debout contre l’annulation de la dette

Henri Sterdyniak est l’un des fondateurs des Economistes Atterrés, rassemblés, en 2010, pour dénoncer la « doctrine néolibérale », jugée responsable de la crise financière. Mais, aujourd’hui, il ne reconnaît plus ses pairs. « Une drôle d’épidémie sévit actuellement parmi les économistes. Heureusement, elle n’est pas mortelle puisque le ridicule ne tue pas », lâche ce polytechnicien, économiste à l’OFCE. La raison de son courroux ? La proposition des économistes « hétérodoxes », classés à gauche, d’annuler la dette publique portée par la Banque centrale européenne (BCE), qui a explosé avec la crise sanitaire. « Cette proposition n’a aucun sens et ne change rien car la banque centrale appartient à l’Etat. Ce serait un coup d’épée dans l’eau », lance-t-il, rappelant qu’aucun économiste américain « radical » comme Joseph Stiglitz, ne le préconise.

Erreur après la crise de 2009

Dans ce débat, Henri Sterdyniak a donc changé de camp, rejoignant celui des « orthodoxes », qui dénoncent cette idée. « Une annulation de la dette de la BCE n’est ni légale, ni utile, ni souhaitable », martèle Agnès Benassy-Quéré, la chef économiste du Trésor, à Bercy. D’abord, l’annulation est interdite par les traités, que l’Allemagne n’accepterait jamais de renégocier. Ensuite, si l’Etat s’allégeait d’une partie de la dette et des intérêts, il ne percevrait plus de dividendes de la banque centrale (6

milliards d’euros en 2019 pour la France), ses fonds propres étant devenus négatifs.

Surtout, l’opération ferait peur aux investisseurs. « Si on annule une fois les créances des banques centrales sur les Etats, on le refera inévitablement, s’alarme dans Les Echos Benoit Coeuré, ancien membre du directoire de la BCE, maintenant à la Banque des règlements internationaux (BRI). Cela conduira à long terme à plus d’inflation et une perte de confiance dans la monnaie. » Un risque jugé inutile, « puisque la BCE permet le financement sans limite des déficits publics à des taux nuls ou négatifs », relève Henri Sterdyniak. Grâce à l’institution de Francfort, qui a inondé le marché de liquidités, l’Allemagne, la France et même le Portugal gagnent de l’argent en s’endettant à taux négatif.

Vent debout contre l’annulation de la dette, ces économistes ont tout de même fait leur mue idéologique avec la crise sanitaire, en justifiant cette valse des milliards financée par la BCE. Ils ont pris conscience de l’énorme erreur de politique économique, sous la pression des Allemands, après la récession de 2009 : le serrage de vis budgétaire, qui avait fait replonger l’économie européenne. Une erreur documentée dans l’ouvrage A qui la faute ? : comment éviter les erreurs économiques, de Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry (Fayard). « Face à la violence de la crise actuelle, les politiques et les économistes allemands ont changé, en préconisant désormais une réponse budgétaire massive », décrypte Agnès Bénassy-Quéré.

Un changement conforté par la baisse historique des taux d’intérêt. Avant la crise du Covid, des chercheurs comme Olivier Blanchard, l’ex-économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), avaient montré que la baisse des taux changeait la donne, en réduisant drastiquement le coût de l’endettement pour les Etats. Et beaucoup d’experts sont convaincus que les taux vont rester bas. « Le taux d’épargne mondial a augmenté de cinq points depuis le début des années 1990, une tendance qui va se poursuivre », prévoit Patrick Artus, le chef économiste de Natixis.

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Bienveillance des marchés

En même temps, ces experts invitent les Etats à organiser leur redressement budgétaire. « L’idée que la combinaison du Trésor et de la banque centrale puisse impunément émettre de la dette publique et la monnaie sans limite est une naïveté », prévient Jean-Claude Trichet, l’ancien patron de la BCE, qui signe la préface de l’ouvrage collectif La dette : potion magique ou poison mortel ? (Télémaque). Pour lui, la bienveillance actuelle des marchés financiers ne durera pas. Ce probable « effondrement de la confiance », qui se traduira par une prime de risque, donc une hausse des taux, frappera, tôt ou tard, les pays les plus endettés. Et la France est mal placée. En 2000, elle était moins endettée que la moyenne de la zone euro, elle l’était autant en 2007 et l’est beaucoup plus aujourd’hui, rappelle Trichet. Donc plutôt que d’affoler les marchés financiers avec des projets d’annulation de dettes, la priorité est bien de les rassurer. En leur disant que cet argent magique sera remboursé.

HENRI STERDYNIAK, COFONDATEUR DES ÉCONOMISTES ATTERRÉS. (IBO/Sipa)


Le plan B : cantonner la « dette Covid »

Voici la seule stratégie qu’a trouvée Bercy pour traiter le sujet de la dette à court terme. Le ministre Bruno Le Maire veut isoler les déficits liés au Covid dans une structure spéciale : « Nous proposons de fixer un échéancier qui pourrait courir, par exemple, une vingtaine d’années, jusqu’en 2042. De la sorte, nous assurons que cette dette, mise à part parce que liée à des circonstances exceptionnelles, sera bien remboursée. » La commission sur l’avenir des finances publiques, présidée par Jean Arthuis, a été chargée de plancher sur les modalités de ce cantonnement, l’idée étant de commencer à payer l’addition une fois que la crise sera finie. « Les Français se demandent légitimement comment l’Etat va rembourser cette dette et craignent des hausses d’impôts, note le député LREM Laurent Saint-Martin, rapporteur du Budget . L’intérêt du cantonnement serait au moins de proposer un début de réponse. »

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Sous Louis XV et Juppé, déjà

Pourtant, la création d’un énième machin administratif n’est pas vraiment une innovation. Le premier spécimen de caisse destinée à l’amortissement de la dette remonte au règne de Louis XV ! Depuis, de nombreux avatars se sont succédé dont la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), créée en 1996 par l’ex-Premier ministre Alain Juppé, pour éponger le passif de la Sécurité sociale. La Cades a surtout permis de justifier la mise en place d’un nouvel impôt de 0,5 % sur les revenus, la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), qui lui est affecté. Elle devait disparaître en 2009. Mais, bien sûr, le trou de la Sécu a continué de se creuser et de nouvelles dettes lui ont été transférées : 260 milliards de 1996 à 2019, dont 89 milliards n’ont toujours pas été remboursés. Et ce n’est pas fini, le gouvernement a décidé, cet été, de lui transférer 146 milliards supplémentaires et de prolonger sa durée de vie jusqu’en 2033. Sur ce total, 92 milliards peuvent être considérés comme de la « dette Covid », correspondant aux déficits anticipés de la Sécu de 2020 à 2023 et au plan d’investissement dans les hôpitaux.

Laurent Saint-Martin, rapporteur du budget

Tour de passe-passe

Mais il reste à cantonner le déficit de l’Unédic (19 milliards prévus en 2020) et surtout celui de l’Etat. Alors qu’un déficit budgétaire de 93 milliards était attendu avant le Covid, il a finalement atteint 178 milliards l’an passé. A Bercy, on réfléchit à rééchelonner cette dette jusqu’en 2033, puis à récupérer les recettes de la Cades pour les flécher vers une nouvelle caisse Covid qui pourrait être la méconnue Caisse de la dette publique (CDP). Créée en 2003 pour racheter des titres de l’Etat grâce au produit des privatisations ou des ventes de fréquences, elle n’a que peu servi. « Pour transférer les recettes de la Cades à la CDP, il faudrait que la Sécu soit à l’équilibre, ce qui n’est pas la tendance actuelle, surtout avec les déficits prévus sur les retraites », reconnaît toutefois un haut fonctionnaire.

En fait, cette tuyauterie complexe ressemble fort à un tour de passe-passe politico-budgétaire. « S’il s’agit in fine de transférer à la nouvelle caisse des impôts qui sont aujourd’hui perçus par l’Etat, cela revient à déshabiller Pierre pour habiller Paul », peste François Ecalle, ex-magistrat de la Cour des comptes. Qui plus est, les structures comme la Cades payent généralement des taux d’intérêt légèrement supérieurs à ceux de l’Etat car leur dette est moins liquide. Pour cet expert, l’opération est donc contre-productive. « Cela ne ferait que renforcer la balkanisation de nos administrations et affaiblir la lisibilité de notre système aux yeux des investisseurs et des organismes internationaux. »

 

 

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