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Dette: ils veulent effacer l’ardoise… en partie

çais. Mais ailleurs, notamment aux Etats-Unis, les économistes qui militent pour l’effacement d’une partie de la dette publique font plus parler d’eux. Jusqu’alors, l’action énergique des banques centrales a suffi, à l’inverse de 1929, à contrer les effets économiques délétères du Covid-19. Mais avec un gonflement impressionnant des ratios dette/PIB (110 % en Espagne, 116 % en France, 160 % en Italie). Alléger ce fardeau relève donc de l’urgence.

Emmenés par Gaël Giraud, prêtre jésuite et économiste, directeur de recherche au CNRS, ces économistes souvent classés à gauche préconisent d’effacer les 25 % de dette publique détenus par la Banque centrale européenne (BCE) – 600 milliards d’euros sur 2.400 milliards dans le cas de la France. Selon ses promoteurs, cet effacement permettrait d’éviter le retour des politiques d’austérité qui risqueraient de tuer dans l’œuf la reprise attendue cette année.

Comme ce fut déjà le cas en 2011 en Europe. En outre, cette mesure redonnerait une marge de manœuvre indispensable, en particulier pour financer la décarbonation des économies européennes.

Les banques centrales dans le viseur

Leur proposition repose aussi sur le bilan – selon eux négatif – des programmes de rachat de titres par les banques centrales. « Certes, cela a fait baisser les taux d’intérêt à long terme, au point qu’ils sont négatifs pour certains pays de la zone, ce qui allège le coût de la dette , observe Gaël Giraud. Mais cela n’a pas permis de faire remonter l’inflation, ni même d’alimenter suffisamment le crédit bancaire à l’économie réelle pour compenser l’effet déflationniste de la crise des subprimes de 2008 et de la pandémie. » Cette annulation partielle de la dette publique serait aussi plus vertueuse économiquement que son rachat sur le marché secondaire, aux effets pernicieux. « Les banques achètent de la dette publique en sachant qu’elles vont pouvoir la revendre sans perte à la BCE , analyse Jézabel Couppey-Soubeyran, professeure à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Et toutes les liquidités qu’elles reçoivent de la banque centrale sont ensuite recyclées sur les marchés boursiers ou immobiliers, ce qui fausse les prix des actifs et favorise les bulles financières. »

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En outre, cette annulation ne léserait pas les investisseurs privés, à la différence de ce qui s’est passé lors de la restructuration de la dette grecque. Seuls ses actionnaires – les 19 banques centrales de la zone euro auxquelles s’ajoutent quelques établissements privés présents au capital de la Banque d’Italie – seraient concernés. Mais en termes comptables seulement, puisque l’annulation des dettes publiques serait comblée par de la création monétaire du même montant.

Enfin, les partisans de l’effacement de la dette affirment que leur solution n’est pas contraire aux traités européens. « Aucun traité n’interdit à la BCE de renoncer à une créance. S’il y a création monétaire, cela ne peut être qu’au niveau du rachat des dettes par la BCE sur le marché secondaire. Or la Cour de justice européenne et les juges tatillons de Karlsruhe n’ont pas jugé que c’était un problème » , complète Gaël Giraud.

Création monétaire

L’économiste américaine Stephanie Kelton, qui a conçu une partie du programme de Bernie Sanders, radical postulant démocrate à la Maison-Blanche, a théorisé cette approche sous le nom de Modern Monetary Theory : à rebours des monétaristes, pour lesquels l’offre de monnaie doit être régulée, via les taux d’intérêt, afin de limiter la hausse des prix, celle-ci estime que la création monétaire n’est pas inflationniste ; l’inflation étant la résultante d’un phénomène de rareté des ressources (matières premières, main-d’œuvre, machines), le déficit n’est plus un sujet, et l’Etat peut donc dépenser tant qu’il veut pour parvenir au plein-emploi. Mais celle que Larry Summers, ex-ministre des Finances de Bill Clinton, a taxée « d’économiste vaudou » ne prône pas l’application de sa théorie aux pays européens, qui ont perdu le monopole de leur monnaie : pour eux, s’endetter en euro, c’est en quelque sorte s’endetter en devise étrangère. « Seul un pays qui bat sa propre monnaie, comme les Etats-Unis, ne peut pas être en défaut. »

Ce que les partisans de cette mesure radicale de ce côté-ci de l’Atlantique se gardent bien de rappeler…


Le plan B : émettre des titres perpétuels

Autres temps, autres mœurs… Février 2015 : afin d’alléger le fardeau de la dette de son pays au bord du défaut, le fantasque Yanis Varoufakis, ministre hellène des Finance, avance l’idée de convertir la fraction détenue par la Banque centrale européenne (BCE) en obligations dites perpétuelles. Sa proposition fut balayée par les créanciers européens d’Athènes. Pour eux, vouloir transformer des emprunts dont l’échéance de remboursement est connue en une dette dont seuls les intérêts sont payables et fixés à l’avance s’apparentait en effet à une tentative de plus pour en repousser le paiement aux… calendes grecques.

Pari sur l’absence d’inflation

Avril 2020 : inquiet de voir la dette de la zone euro s’envoler, Alain Minc, le conseiller des grands patrons et symbole du « cercle de la raison », reprend à sa façon l’idée du vilain petit canard Varoufakis. Dans Les Echos (et encore tout récemment dans Libération), il propose ainsi que la banque centrale convertisse des bons du trésor en titres perpétuels à bas taux d’intérêt ou, « si l’idée de perpétuité provoque aussi des blocages idéologiques », en titres ayant des échéances très longues, à 50 voire 100 ans. Selon Alain Minc, cette solution est plus réaliste que l’annulation de dettes, « une mesure incompatible avec les traités européens et qui serait bloquée par les Allemands ». En outre, elle permettrait d’éviter le retour à une politique budgétaire restrictive et d’échapper aux augmentations d’impôts : « En faisant rouler sa dette, la Banque centrale européenne va la rendre éternelle. C’est totalement indolore. Tout le monde n’y verra que du feu. » Mais qu’il s’agisse d’échanger des bons du Trésor contre de la dette perpétuelle, ou d’émettre des titres dits Mathusalem à 100 ans (comme l’a notamment fait l’Autriche en 2017), le raisonnement d’Alain Minc repose sur l’hypothèse – forte – que l’inflation ne reviendra pas. Et que du coup les taux d’intérêt à long terme resteront très bas ad vitam. Pariant à la fois sur la dynamique de la concurrence internationale qui exerce une pression à la baisse des prix, sur l’absence de poussée salariale « qui ne se transmet pas à l’économie de services parce que la courroie de transmission syndicale ne fonctionne plus », et sur la faiblesse des prix des matières premières, il affirme ainsi que ce risque est aujourd’hui faible.

 French businessman, political advisor and author Alain Minc is pictured during a photo session on February 22, 2017 in his office in Paris. (Photo by Lionel BONAVENTURE / AFP) - - - FRANCE-ECONOMY-POLITICS-PORTRAITconfidentiel 587

Alain Minc, conseiller et essayiste

Des intérêts plus élevés

Mais la dette perpétuelle n’est pas forcément la panacée. A la différence d’une dette amortissable – dont l’échéancier de remboursement du capital est connu -, dans le cas d’une dette perpétuelle, le capital ne retourne pas dans la poche du prêteur. Autrement dit, pour intéresser des investisseurs, le taux d’intérêt d’une dette perpétuelle doit être supérieur à celui d’une obligation avec échéance. « Sinon seuls des opérateurs institutionnels pourraient être intéressés par l’achat de titres perpétuels à taux très faibles », observe l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran, qui lui préfère l’annulation, pure et simple, d’une partie de la dette.

Enfin, qu’il s’endette à titre perpétuel ou pas, un Etat se doit d’honorer ses engagements. Hélas, comme l’histoire universelle le montre, nombre de gouvernements s’en sont déliés. Mais, en France, un seul s’y est risqué, en 1797 : le Directoire a réduit des deux tiers le capital de sa dette, et converti le reste en une… rente perpétuelle à 5 %. Transformer une créance classique en une dette perpétuelle ne permet pas de « résister aux tentations laxistes des hommes politiques », pour reprendre les mots d’Alain Minc.

 

 

 

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