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Au Centre Primo-Levi, on répare les âmes et les corps hantés par les violences et l’exil

Par Thomas Saintourens

Publié aujourd’hui à 03h42

Les patients ont pris place, sans dire un mot, dans la salle d’attente du 107, avenue Parmentier, dans le 11e arrondissement de Paris. En cet après-midi d’hiver, comme les autres jours, le cabinet de médecine générale du deuxième étage fera le plein. Ragaillardis par le chocolat chaud offert sur la table basse, leurs corps encore emmitouflés, noués au plus profond à force d’être sur le qui-vive, détendent peu à peu leurs muscles.

Le portrait de Primo Levi affiché au mur s’invite dans la scène : le chimiste juif italien, rescapé d’Auschwitz et auteur de Si c’est un homme (1947), œuvre majeure sur les camps de la mort, semble couver des yeux ces patients si particuliers. Ils sont une dizaine, femmes et hommes, de tous âges, de toutes origines, formant un demi-cercle de dos voûtés, comme si chacun portait un fantôme écrasant sur ses épaules. Cet endroit est leur refuge : le Centre Primo-Levi, spécialisé dans la prise en charge de la torture et l’aide aux âmes hantées par les violences et l’exil.

S’ouvre la porte du cabinet d’Agnès Afnaïm, l’une des trois médecins du centre. La pièce est sobre, elle ne laisse entrevoir ni instruments ni bocaux, mais une troisième chaise, réservée aux interprètes. Entre ces murs, où souvent règne le silence, quarante langues peuvent être parlées. La consultation est peu conventionnelle : ausculter pareils survivants n’a rien d’une routine. « La prise en charge médicale de personnes ayant vécu des violences extrêmes induit de manière quasi biologique une défiance pour son semblable, quel qu’il soit », prévient la praticienne. Il lui faut mille précautions avant d’effleurer puis de manipuler les chairs meurtries : « Plusieurs mois peuvent s’écouler entre la première consultation et le premier examen clinique – même une banale prise de tension. »

Une fois la confiance établie, le travail d’« humanisation » de ces « corps prématurément vieillis » se poursuit aussi au moyen d’imposition calme des mains, de massages doux. Diabète, hypertension, troubles musculosquelettiques, mais aussi strabisme (après avoir vu l’horreur en face) figurent parmi les diagnostics récurrents. Mais au « 107 », on traite avant tout les séquelles invisibles, celles de l’âme.

Mémoire traumatique

Tout a commencé en 1995. A l’époque, le génocide des Tutsi au Rwanda et les conflits dans les Balkans charrient leur lot de rescapés. Créé par cinq grandes ONG, le Centre Primo-Levi devient une structure pionnière de l’accueil des blessés de guerre, des réfugiés des dictatures, des victimes de violences politiques.

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