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Dakar a vécu, vendredi 5 mars, des scènes de guérilla urbaine entre les forces de l’ordre et des centaines de jeunes réclamant la libération du principal opposant au pouvoir, Ousmane Sonko, dont l’arrestation a libéré une exaspération accumulée devant la dureté des conditions de vie.
Vendredi soir, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, s’est dit « très préoccupé » et a appelé « à éviter une escalade », alors que le gouvernement sénégalais disait regretter « la perte de quatre vies humaines » depuis mercredi et a promis de mettre en œuvre « tous les moyens nécessaires pour ramener l’ordre ».
Les tensions, sensibles depuis deux jours dans un pays habituellement considéré comme un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest, se sont intensifiées sans perspective apparente d’apaisement, la justice ayant maintenu M. Sonko en garde à vue.
Plusieurs quartiers de Dakar ont connu des affrontements d’une ampleur inconnue depuis plusieurs années, bien que la riposte policière semble se limiter essentiellement aux moyens antiémeutes. La bataille a laissé après coup le spectacle saisissant de rues vidées de gens et de véhicules, jusqu’aux proches abords des lieux de pouvoir, et jonchées de projectiles de toutes sortes, entre les magasins tous fermés.
Dans le quartier populaire de la Médina, au cœur de la capitale sénégalaise à l’arrêt, des groupes de jeunes scandant « Libérez Sonko ! » ont harcelé en jetant des pierres les très nombreux policiers, dans les nuages de lacrymogènes et les déflagrations de grenades assourdissantes, selon des journalistes de l’Agence France-Presse. Les mêmes incidents se sont reproduits un peu plus loin près de la place de la Nation. Des blindés avaient été positionnés auprès du palais de la présidence et ses accès bouclés.
Au moins quatre morts
A Mbao, dans la grande banlieue, des pillards ont été aperçus sortant les bras chargés de marchandises d’un supermarché Auchan, dont au moins quatorze magasins ont été attaqués et dix « pillés », selon la direction du groupe français. Des heurts ont été rapportés dans d’autres villes.
L’arrestation, mercredi, de M. Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et pressenti comme un des principaux concurrents de celle de 2024, a provoqué la colère de ses partisans, mais aussi, disent de nombreux Sénégalais, porté à son comble les frustrations suscitées par les conditions de vie depuis la pandémie de Covid-19. Dans la foule, beaucoup exprimaient leur ressentiment contre le président Macky Sall.
Les manifestations ont fait au moins quatre morts depuis mercredi, a fait savoir le ministre de l’intérieur, Antoine Félix Abdoulaye Diome. Lors d’un discours diffusé en direct à la télévision, il a affirmé que ces morts ont eu lieu lors d’événements qui « relèvent du grand banditisme et de l’insurrection », et a accusé Ousmane Sonko d’avoir « lancé des appels à la violence » et à « l’insurrection ».
« Les manifestations doivent rester pacifiques et les forces de sécurité et de police doivent (…) permettre à ces manifestants d’exprimer leur opinion et volonté », a réclamé le porte-parole de M. Guterres, Stéphane Dujarric.
Jeudi soir, des manifestants ont attaqué les locaux du quotidien Le Soleil et de la radio RFM, jugés proches du pouvoir. De nombreuses enseignes françaises ont été attaquées, la France étant volontiers considérée comme soutenant le président Sall. Les écoles françaises dans le pays ont fermé, tout comme l’agence d’Air France.
Trouble à l’ordre public
La garde à vue d’Ousmane Sonko doit s’achever dimanche. Il sera présenté à nouveau au juge lundi, selon ses avocats. M. Sonko a été arrêté officiellement pour trouble à l’ordre public, alors qu’il se rendait en cortège au tribunal où il était convoqué pour répondre à des accusations de viol.
Dans le cadre de l’affaire de viols présumés, il est ressorti sans être inculpé vendredi du bureau du juge, mais avec un nouveau rendez-vous lundi, et a été replacé en garde à vue dans la procédure pour trouble à l’ordre public, selon ses avocats. M. Sonko fait l’objet d’une « tentative de liquidation aux fins d’élimination d’un adversaire politique », a ainsi dénoncé Abdoulaye Tall.
L’opposant est visé depuis début février par une plainte pour viol et menaces de mort déposée par une employée d’un salon de beauté dans lequel il allait se faire masser pour, dit-il, soulager ses maux de dos.
Personnalité au profil antisystème, le député crie au complot ourdi par le président Sall pour l’écarter de la prochaine présidentielle. M. Sall a démenti, fin février, mais gardé le silence depuis sur l’affaire.
Perturbations d’Internet
Les réseaux sociaux ont rapporté des perturbations d’Internet, à l’instar de celles observées dans certains pays à l’initiative des gouvernants dans les périodes de crise. L’observatoire spécialisé Netblocks a confirmé des restrictions sur les réseaux sociaux et les applications de messagerie, affectant le partage de photos et de vidéos.
Jeudi soir, les autorités ont suspendu le signal de deux chaînes de TV coupables selon elles de diffuser « en boucle » des images de violence.
« Les autorités sénégalaises doivent immédiatement cesser les arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes, respecter la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression, et faire la lumière sur la présence d’hommes armés de gourdins aux côtés des forces de sécurité », a demandé Amnesty International. Reporters sans frontières a condamné une « vague de violations de la liberté de la presse inédite ces dernières années dans ce pays d’Afrique de l’Ouest ».
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