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Arabie saoudite : l’administration Biden ne cache pas “son hostilité vis-à-vis de MBS”

Alors que l’administration Biden s’apprête à publier le rapport du renseignement sur l’assassinat de Jamal Khashoggi, et que le nouveau président américain entend désormais échanger avec le roi Salmane, et non plus avec son fils, le prince héritier Mohamed Ben Salmane, interlocuteur privilégié de Donald Trump, les relations entre Washington et Riyad semblent se dégrader. Décryptage avec Karim Sader, politologue spécialiste du Golfe.

Au sommet de son influence et de son pouvoir sous l’ère Trump, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, dit MBS, n’est pas dans les bonnes grâces de la nouvelle administration américaine qui veut recalibrer ses relations avec Riyad.

La Maison Blanche ne s’en cache pas et a annoncé, mercredi 24 février, que le président Joe Biden allait « bientôt » parler, pour la première fois, au roi Salmane plutôt qu’à son fils.

De plus, Joe Biden, qui avait critiqué à plusieurs reprises pendant sa campagne les atteintes aux droits de l’Homme en Arabie saoudite, va également autoriser la déclassification du rapport du renseignement américain sur l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018. Un rapport rédigé six semaines après l’assassinat perpétré dans l’ambassade saoudienne à Istanbul, qui est potentiellement très compromettant pour Mohammed Ben Salmane.

« Il est indéniable que l’on assiste à la rupture avec la diplomatie américaine sous l’ère Trump vis-à-vis de l’Arabie saoudite, explique Karim Sader, politologue et consultant spécialiste du Golfe, interrogé par France 24. Toutefois, il faut être précis, car il s’agit surtout d’un changement d’attitude vis-à-vis d’une personne, à savoir le prince héritier Mohammed Ben Salmane, qui était ‘le chouchou’ de l’administration Trump ».

« Autre preuve de l’hostilité affichée vis-à-vis de la personne même de MBS, la décision on ne peut plus explicite consistant à choisir le roi Salmane comme interlocuteur, et non plus son fils qui avait une porte d’entrée presque intime dans le Bureau ovale, à travers le gendre du président Trump, Jared Kushner, réputé pour échanger avec lui quotidiennement ».

Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Joe Biden « a multiplié les décisions défavorables au prince hériter et à ses œuvres, comme la fin du soutien de la guerre au Yémen, ou encore la décision de retirer les Houthis de la liste antiterroriste américaine, qui était le dernier cadeau diplomatique offert par Donald Trump juste avant de quitter le pouvoir », rappelle Karim Sader. Sans oublier, ajoute-t-il, la main tendue par les États-Unis à l’Iran, dans l’optique d’un éventuel retour dans l’accord sur le nucléaire iranien.

Autant de dossiers chers à MBS, dirigeant de facto de la pétromonarchie wahhabite, nommé par le roi Salmane prince héritier en juin 2017, qui après avoir connu une ascension fulgurante et une certaine notoriété en Occident a vu son image de réformateur se ternir peu à peu. Notamment en raison de ses méthodes de gouvernance brutale et une dérive autoritaire illustrée par des campagnes d’arrestations menées dans le royaume à l’endroit de militants des droits de l’Homme, des intellectuels et des critiques.  

Guerre au Yémen, embargo contre le Qatar… MBS a également collectionné les mauvais calculs sur le plan diplomatique, avant que l’assassinat de Jamal Khashoggi ne suscite une vague d’opprobre internationale contre l’Arabie saoudite et son homme fort.

Lâcher MBS ? 

Reste à savoir si l’administration américaine peut arrêter de travailler avec celui qui est destiné à régner sur l’Arabie saoudite, et si les décisions de Joe Biden ne sont pas en train d’enclencher un processus visant à lâcher MBS et à provoquer sa chute.

La question peut se poser, selon Karim Sader. « Cette rupture sonne la fin du sentiment d’impunité qui pouvait animer le jeune prince sous le prédécesseur de Joe Biden », estime-t-il. Alors que l’administration Trump avait ardemment défendu le prince hériter, allant jusqu’à le couvrir dans l’affaire Khashoggi et à relativiser sa responsabilité personnelle et directe, « ce blanc-seing ne semble plus d’actualité ».

MBS n’est pas dupe, il sait que cette ère est révolue, selon le politologue.

« Le prince héritier ressent la pression de la nouvelle administration, il a d’ailleurs lâché du lest sur un certain nombre de sujets, notamment au sujet de la réconciliation avec le Qatar, et la libération de la militante saoudienne des droits humains Loujain al-Hathloul, développe Karim Sader. MBS est pris en étau entre, d’un côté ce nouveau président américain qui va exiger de lui plus d’ouverture et de réformes, et de l’autre, la frange conservatrice du royaume qui reste hostile au changement et aux projets de modernisation du jeune prince ».

Si MBS ne peut plus compter sur le soutien de Washington, il se retrouvera dans une position très inconfortable politiquement. « S’il perd son allié américain, Mohammed Ben Salmane perdra beaucoup de crédit en interne, juge le politologue. Et ce, sachant qu’il a beaucoup d’ennemis qui l’attendent au tournant, à commencer par la frange conservatrice et par tous les princes qu’il avait publiquement humilié ».

« L’Arabie saoudite demeure un allié de premier plan des Américains »

Toujours-est-il qu’en tournant publiquement le dos à l’homme fort du royaume saoudien, le président américain a jeté un froid sur l’avenir de la relation entre Washington et Riyad, et de l’alliance historique entre la première puissance mondiale et le premier exportateur de pétrole.

« L’Arabie saoudite demeure un allié de premier plan des Américains, et aucun des deux pays n’a intérêt à mettre un terme à cette alliance, assure Karim Sader. Toutefois, depuis plusieurs années déjà, l’Arabie saoudite n’a plus la même importance stratégique du point de vue des États-Unis ».

Notamment d’un point de vue énergétique. « Les États-Unis qui se sont lancés dans le développement des énergies non-conventionnelles, dont le gaz de schiste, sont arrivés à un stade de production qui leur permet de sortir de leur dépendance vis-à-vis du pétrole saoudien, précise-t-il. Une dépendance qui était le socle de leur alliance ».

Et de conclure : « Joe Biden souhaite rééquilibrer la diplomatie américaine dans la région et entre les différentes monarchies du Golfe, comme avait cherché à le faire Barack Obama avant lui. Qui dit rééquilibrage, ne dit pas rupture avec les Saoudiens, donc il s’agit plutôt de ne plus reconnaître à l’Arabie saoudite son rôle de puissance dominatrice dans le Golfe. D’autant plus que les États-Unis peuvent s’appuyer davantage sur les Émirats arabes unis, sachant que ce pays, comme d’autres dans la région, ont franchi le pas du rapprochement avec Israël ».

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