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Comment le variant britannique menace de déstabiliser l’épidémie en France

Au Royaume-Uni, comme en France, la rentrée de septembre 2020 fut l’occasion pour les pouvoirs publics de tenter un retour à la normale, ou presque. La réouverture des établissements scolaires a suivi celle des commerces. Les modélisateurs et épidémiologistes britanniques avaient pourtant averti dès le mois d’août que l’hiver 2020-2021 serait difficile.

Retour sur ces quelques mois qui ont précipité l’Angleterre dans une nouvelle phase de l’épidémie.

  • Octobre : un « petit » confinement pour briser la dynamique épidémique

Les mesures restrictives prises localement en septembre et octobre n’ont pas réussi à enrayer le rebond de l’épidémie et le gouvernement de Boris Johnson a annoncé fin octobre un confinement national de quatre semaines en Angleterre, ce que l’on appelle un circuit breaker. « Le concept du circuit breaker, c’est que vous faites un petit confinement à temps limité pour diminuer le nombre de cas et soulager la pression sur les hôpitaux », explique Marc Baguelin, maître de conférences en épidémiologie des maladies infectieuses à l’Imperial College London et professeur associé à la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM).

Début décembre, l’Angleterre sort donc de son deuxième confinement. Tous les indicateurs épidémiologiques sont orientés dans le bon sens et laissent présager que les Britanniques pourront célébrer les fêtes de fin d’année.

  • Décembre : une situation atypique dans le Kent

Tous les indicateurs sont à la baisse… ou presque. « Les tout premiers signaux sont venus en novembre, lorsque le confinement était en place. Nous avons vu une recrudescence dans certaines régions », indique au Monde Adam Kucharski, épidémiologiste et modélisateur de la LSHTM. Une région en particulier semble résister à la décrue observée dans le pays : le Kent. Dans ce comté de presque deux millions d’habitants situé dans le sud-est du pays, au contraire, le nombre de nouveaux cas de Covid-19 augmente.

Le 8 décembre, un petit groupe de scientifiques travaillant au Royaume-Uni se réunit en visioconférence, comme tous les mardis, pour discuter de l’évolution de l’épidémie. Les chercheurs ne comprennent alors pas pourquoi l’épidémie rebondit dans cette région si vite après la sortie du confinement. « L’impression qu’on avait, c’est que dans ces régions, le confinement ne fonctionnait pas très bien, mais il n’y avait pas non plus une explosion, donc c’était difficile de se rendre compte », glisse M. Baguelin.

Les génomes séquencés dans la région sont alors inspectés. « Les Anglais avaient à l’époque des problèmes de tests PCR. Comme ils font beaucoup de séquençages, ils ont commencé à regarder ça et ils se sont rendu compte qu’il y avait un variant qui commençait à se propager », poursuit M. Baguelin.

  • Du séquençage du « variant anglais » à l’explosion épidémique

Deux données frappent les chercheurs : ce variant possède un grand nombre de mutations dans son génome (dont 17 sont significatives) et il se propage beaucoup plus vite que les autres, suggérant qu’il a acquis un avantage sélectif.

Lire le décryptage : Neuf questions sur le nouveau variant du SARS-CoV-2 observé au Royaume-Uni

Après le Kent, l’épidémie rebondit dans le sud de la région londonienne. A Londres, le variant était responsable de 62 % des infections au 9 décembre, contre seulement 28 % des infections début novembre. En quelques semaines seulement, le variant devient majoritaire dans toutes les régions anglaises, contraignant M. Johnson à reconfiner toute la population britannique et lui demander de renoncer aux festivités de Noël.

« La courbe de remplacement est en “S” *****, elle commence doucement et puis vient un moment où, quand il y a suffisamment de transmission du nouveau variant, elle monte très haut et se stabilise à nouveau », explique M. Baguelin. Les données des prélèvements séquencés en Angleterre montrent en effet une croissance soutenue sur un intervalle de temps très court.

Les graphiques suivants juxtaposent la moyenne mobile hebdomadaire des nouveaux cas de Covid-19 et la part du variant B.1.1.7 en fonction du temps. On observe que le variant n’a commencé à produire des effets qu’au moment où il est devenu le variant majoritaire en circulation en Angleterre, comme en Irlande.

  • Le retour au confinement strict

Depuis, les confinements stricts appliqués dans les deux pays ont fait très nettement reculer l’épidémie. L’étroitesse des pics épidémiques est particulièrement prononcée : les nouveaux cas sont montés très rapidement avant de décroître à un rythme aussi spectaculaire.

Ce phénomène suggère que l’intervalle sériel, c’est-à-dire le temps entre deux infections dans la chaîne des transmissions, est plus court avec ce variant. « Quand un pathogène a un intervalle sériel très court, l’épidémie monte très vite mais si le taux de reproduction est en dessous de 1, elle redescend très vite aussi, indique M. Baguelin. La grippe a un taux de reproduction faible, mais cela n’empêche pas qu’on ait des épidémies explosives tous les hivers parce que l’intervalle sériel est très court. »

  • Une trajectoire similaire en France

La contagiosité accrue du variant B.1.1.7 – 50 % à 60 % par rapport à la couche « originelle » – ne fait désormais plus guère de doute. De nombreux travaux sont arrivés à cette même conclusion en utilisant des modèles et des méthodes différents.

Il apparaît donc hautement probable que ce variant B.1.1.7 provoque une accélération brutale de l’épidémie en France, où sa circulation s’intensifie. Les deux « enquêtes flashs » menées par Santé publique France avec la participation d’un réseau de virologues hospitaliers et des laboratoires de biologie médicale les 7 et 8 janvier puis le 27 janvier ont conclu que ce variant avait progressé de 1 % à 2 % des cas à 13,2 % entre les deux dates.

Lors de sa conférence de presse hebdomadaire, jeudi 18 février, le ministre de la santé, Olivier Véran, a indiqué que le variant B.1.1.7 représentait environ 36 % des cas positifs examinés ces derniers jours. Comme lors du début de l’épidémie de Covid-19 en France au printemps 2020, il existe pour l’instant de grandes disparités géographiques et certaines régions sont nettement plus touchées que d’autres. L’Ile-de-France est particulièrement concernée, selon les relevés issus des laboratoires Biogroup, avec un taux de pénétration de 34 % à 54 % des nouveaux cas, selon les départements, lors de la première semaine de février ; alors que l’ensemble de la région pointait à 21 % le 24 janvier. Une accélération nette typique des croissances exponentielles.

  • « Vieux » variants, nouveau variant : « deux épidémies différentes »

Pourquoi l’épidémie décline-t-elle alors en France ? Parce que les mesures restrictives actuelles ont permis d’infléchir la circulation des « vieux » variants, tandis que le nouveau progresse rapidement mais à bas bruit. « Il faudrait presque le voir comme deux épidémies différentes : vous avez une petite épidémie qui croît rapidement avec le nouveau variant, et une grosse épidémie du virus originel sur le déclin, résume M. Kucharski. Donc au total, l’épidémie semble décliner, mais avec le temps, vous obtenez une épidémie croissante rapidement avec le nouveau variant. » La progression du B.1.1.7 étant exponentielle, ses effets ne se manifestent pas encore nettement, mais il est à craindre qu’ils deviennent visibles d’ici peu.

« Je pense qu’on est dans une situation assez similaire à la situation anglaise au moment du deuxième confinement, livre pour sa part M. Baguelin. On est un peu dans la situation anglaise de décembre, où le virus est contrôlé sans l’être suffisamment pour que tout baisse. »

Des travaux menés par Vittoria Colizza, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), publiés le 16 janvier et actualisés le 14 février, prévoient que le variant B.1.1.7 deviendra majoritaire en France entre la fin février et le début du mois de mars :

« En l’absence de mesures plus drastiques de distanciation sociale, B.1.1.7 va connaître une croissance rapide dans les prochaines semaines. (…) L’accélération de la vaccination est clé, mais ses effets ne devraient devenir importants qu’à partir du mois d’avril, selon le calendrier vaccinal prévu et en postulant une efficacité contre les seules formes symptomatiques. »

« Les gouvernements peuvent ne pas avoir compris que ce qui fonctionne bien contre les anciens variants ne sera pas nécessairement suffisant contre le nouveau variant, avertit M. Kucharski. C’est vraiment quelque chose que les pays doivent traiter comme une menace nouvelle, je ne pense pas qu’ils puissent le traiter comme s’il s’agissait simplement d’une extension du même virus qu’ils ont connu, parce que sinon, vous obtenez une situation où les mesures de contrôle en place ne suffisent plus. »

  • Un confinement strict pour briser la dynamique du variant

De fait, il apparaît que seul un reconfinement strict est à même de ramener le taux de reproduction du virus sous le seuil épidémique de 1. Les modélisations de l’équipe de Vittoria Colizza montrent que l’épidémie aurait continué de croître même si un reconfinement souple (comme celui de novembre) avait été appliqué dès la semaine du 8 février.

Hospitalisations hebdomadaires dues au Sars-CoV-2 en France (haut) et en Île-de-France (bas), selon trois scénarios : reconfinement souple comme en novembre 2020 (gauche), mesures actuelles (centre) ou détente (situation pré-couvre-feu). Les pointillés verts représentent l’ancien variant, la courbe verte représente le variant B.1.1.7, la courbe noire est le résultat des deux. Hospitalisations hebdomadaires dues au Sars-CoV-2 en France (haut) et en Île-de-France (bas), selon trois scénarios : reconfinement souple comme en novembre 2020 (gauche), mesures actuelles (centre) ou détente (situation pré-couvre-feu). Les pointillés verts représentent l’ancien variant, la courbe verte représente le variant B.1.1.7, la courbe noire est le résultat des deux.

Une étude publiée par la même équipe de l’Inserm et menée par l’épidémiologiste Laura Di Domenico a conclu en revanche qu’un confinement strict de quatre semaines, combiné avec le triptyque tester-tracer-isoler, serait à même de briser nettement la dynamique de l’épidémie du variant et de ramener celle-ci à 5 000 cas détectés par jour en 30 à 45 jours, selon la date d’application du confinement (8 ou 22 février).

Hospitalisations hebdomadaires et infections quotidiennes dues au Sars-CoV-2 avant et après un confinement strict appliqué au 8 février (courbe bleue) ou au 22 février (courbe rouge), selon trois scénarios : le virus non-variant décline (à gauche), est stable (au milieu), ou croît (à droite). Le scénario de gauche est le plus proche de la situation actuelle. Hospitalisations hebdomadaires et infections quotidiennes dues au Sars-CoV-2 avant et après un confinement strict appliqué au 8 février (courbe bleue) ou au 22 février (courbe rouge), selon trois scénarios : le virus non-variant décline (à gauche), est stable (au milieu), ou croît (à droite). Le scénario de gauche est le plus proche de la situation actuelle.

« Ceci est conforme aux trajectoires épidémiques observées au Royaume-Uni et en Irlande après la mise en œuvre d’un confinement strict avec écoles fermées. Cependant, le confinement d’un mois ne sera pas capable de supprimer l’épidémie », préviennent les chercheurs. La sortie même d’un éventuel nouveau confinement pourrait être périlleuse et dépendra à la fois du niveau de télétravail, mais aussi du rythme de la campagne de vaccination, qui « jouera un rôle essentiel pour ralentir l’augmentation des cas ».

« Cette situation me rappelle presque le printemps 2020, lorsque certains pays faisaient face à l’épidémie alors que d’autres n’y étaient pas encore confrontés, confie M. Kucharski. Certains pays ont dû affronter ce nouveau variant, il devient clair que celui-ci va poser problème à d’autres pays. Donc, la question que votre pays doit se poser est : qu’aurions-nous fait différemment l’année dernière si nous avions su plus tôt ce qui nous menaçait ? »

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