Publié le : 15/02/2021 – 18:17
Les présidents de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad se retrouvent les 15 et 16 février à N’Djamena, dans la capitale tchadienne, pour un sommet G5 Sahel. Au menu des discussions, le bilan mené ces 12 derniers mois contre le jihadisme dans la région et l’avenir de la force Barkhane que l’exécutif français espère réduire.
« Le sommet de N’Djamena arrive dans un contexte politique, sécuritaire et humanitaire très grave, estime Jérôme Pigné, chercheur sur les politiques européennes au Sahel à l’Institut Thomas More. Plus de huit ans après le début d’une crise sécuritaire dans le Nord du Mali qui continue à s’étendre dans la sous-région, pas un jour ne passe ou presque sans attaque terroriste.
Le nombre de civils morts dans des attaques jihadistes, recensé par l’ONG Acled, spécialisé dans la collecte de data dans les zones de conflit, a d’ailleurs considérablement augmenté avec plus de 2 000 morts recensés en 2019 et 2020. Outre l’augmentation des pertes de civils, ce sont plus de 30 millions de personnes qui actuellement ont besoin d’assistance alimentaire dans la sous-région. Ce sont aussi plus de 200 000 réfugiés maliens, un million de personnes déplacées au Burkina Faso.
« Paris veut réduire la voilure et engager ses alliés européens
Dans ce contexte, le président français, Emmanuel Macron, qui participe également à la rencontre en visioconférence, compte bien profiter du rendez-vous annuel pour mettre en œuvre ses deux principaux objectifs. Le premier consiste à réduire les effectifs de la force Barkhane mobilisée depuis 2014, dont l’engagement fait régulièrement l’objet de critiques, notamment lorsque la France déplore des pertes humaines dans ses contingents militaires. Depuis 2013, l’état-major des armées déplore le décès de 50 soldats au cours des opérations antijihadistes Serval, puis Barkhane.
Au sommet de Pau il y a un an, « la France avait annoncé un réajustement de son positionnement militaire avec l’ajout de 600 soldats français, rappelle à France 24 Jérôme Pigné, spécialiste des questions jihadistes. À présent, le président Macron évoque la possibilité de revenir au format initial, sans pour autant repenser complètement la stratégie de Barkhane. Derrière cela, il faut aussi voir un appel du chef d’État français aux présidents de la région à prendre davantage en main leur destin et leur capacité à articuler leurs opérations militaires. C’est indirectement, une manière de leur mettre la pression. »
Malgré quelques succès de Barkhane, « les jihadistes sont toujours présents et ont montré une forme de résilience », assure Wassim Nasr
Le second objectif vise à engager ses alliés européens sur le plan politique et militaire au Sahel. Paris ne veut plus porter seule le combat à travers la force Barkhane. Emmanuel Macron compte cette fois sur un partenariat avec l’Allemagne pour s’engager sur le plan politique et militaire. Le président français souhaite utiliser le nouveau groupement de forces spéciales Takuba, auquel participent plusieurs dizaines d’Estoniens, de Tchèques et de Suédois, « comme un cheval de Troie pour amener davantage d’Européens sur le théâtre sahélien”, abonde le chercheur.
La Task Force Takuba continue de prendre forme. Les premiers militaires suédois sont arrivés au Mali. D’ici quelques semaines, l’ensemble du contingent suédois sera déployé. https://t.co/6eHpOcD4y5
— Florence Parly (@florence_parly) February 7, 2021
Des « objectifs militaires atteints »
Pour convaincre les plus réticents à s’engager au Sahel, Emmanuel Macron a l’intention de s’appuyer sur un bilan militaire encourageant. « Depuis un an, on peut dire que les objectifs tactiques et militaires de la force Barkhane ont été atteints car les attaques de l’organisation État islamique ont été contenus, souligne Wassim Nasr, spécialiste pour France 24 des mouvements jihadistes. Aucune opération complexe n’a été mise sur pied. »
Les militaires français peuvent aussi mettre à leur compte la neutralisation d’un certain nombre de grands chefs d’Al-Qaïda comme Abdelmadek Droukdel, fondateur d’Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique) abattu par les forces françaises le 3 juin 2020. L’armée française a également annoncé avoir tué le Malien Bah ag Moussa, chef militaire de la branche sahélienne d’Al-Qaïda au cours d’une opération aéroportée.
Par ailleurs, les observateurs ont pu constater une meilleure coordination sur le terrain entre les forces en présence. « Il s’agissait de l’un des objectifs évoqués au sommet de Pau, explique Wassim Nasr. On a pu voir, notamment à travers l’opération Éclipse, qu’il a été atteint. » L’opération menée du 2 au 20 janvier par l’armée malienne et la force française Barkhane a en effet permis de tuer une centaine de terroristes, de capturer une vingtaine de jihadistes et de saisir du matériel.
Autre bon point à noter, les forces maliennes ont gagné en maîtrise. En 2019, les bases de l’armée maliennes faisaient régulièrement l’objet de raids jihadistes meurtriers et de pillages de ses approvisionnements et armements. En 2020, ces attaques ont cessé.
« La question du jihadisme au Sahel est avant tout politique »
De plus en plus de réactions négatives contre la présence française
Il faut dire que depuis 2020, les forces Barkhane ont également profité de la guerre interne que se livrent les combattants d’Al-Qaïda et de l’organisation État islamique. « Les combats entre jihadistes ont été si intenses que les pertes humaines et matérielles les plus importantes des jihadistes viennent d’autres jihadistes, » poursuit Wassim Nasr.
Malgré ces quelques succès, « les jihadistes sont toujours présents et ont montré une forme de résilience, assène Wassim Nasr. Les attaques quotidiennes portées contre les forces de la Minusma et Barkhane montrent à quel point ces jihadistes conservent une réelle capacité d’action. Et les cartes sur la présence des jihadistes au Sahel montrent que le réseau terroriste n’a fait que s’étendre sur le territoire. »
Avant d’être militaire, « le problème est avant tout politique, estime Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche à l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement). Si les États de la zone ne sont pas en capacité à prendre le relais de l’armée française, vous pouvez tuer tous les chefs jihadistes que vous voulez, les seconds couteaux prendront la suite. Le problème ne finira pas. D’autant que certaines armées nationales commettent des exactions qui légitiment les groupes jihadistes et deviennent des forces de protection pour des civils. »
Reste l’épineuse question du désengagement de l’armée française. Encore récemment remise en cause avec la frappe aérienne controversée menée début janvier dans la région de Douentza, au Mali. « Au bout de huit ans, il est nécessaire de s’interroger sur ses objectifs. Ont-ils été atteints au Sahel ? Pour moi, ils ne le sont pas, assure sans ambages le directeur de l’IRD. On a pu constater en huit ans que la présence militaire française, qui suscite de plus en plus de réactions négatives, n’avait rien changé à la situation. La France porte donc une responsabilité directe de la dégradation de la situation. »
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