En quelques semaines, le milliardaire Elon Musk est passé de la plaisanterie au rachat, pour 44 milliards de dollars, de la plateforme sociale Twitter. Ce qui semble autant un caprice qu’un choix économique stratégique va avoir des conséquences importantes pour ce média social. En répercussion, l’avenir et le pouvoir de ce type de plateforme se trouvent questionnés.
« La liberté d’expression est le fondement d’une démocratie qui fonctionne, et Twitter est la place publique numérique où sont débattues les questions vitales pour l’avenir de l’humanité » proclame Elon Musk qui sera prochainement maître à bord du réseau social. Il ajoute : « Twitter a un potentiel extraordinaire, je vais le débloquer. » Pourtant, derrière la grandiloquence, les tractations de pouvoir et financières qui se sont jouées en direct pour les abonnés au compte d’Elon Musk, patron visionnaire de Tesla et de Space X, ressemblent à un épisode de la série Succession. La transaction en elle-même parait démesurée. À titre de comparaison, Jeff Bezos en 2013 a racheté le Washington Post pour 250 millions de dollars, aujourd’hui, c’est plus de 180 Washington Posts qu’Elon Musk s’offre avec 44 milliards de dollars.
Afin de comprendre cette démesure, il faut revenir en 2018, à l’origine de ce qui semble être le déclencheur psychologique de cette opération financière. Car, quand Elon Musk invoque la liberté d’expression, il pense surtout à la sienne de liberté. Le chef d’entreprise ne supporte pas qu’on lui fixe des limites. Pourtant, c’est ce qu’il lui est arrivé quand il a publiquement tweeté des informations stratégiques relatives à sa compagnie de véhicules électriques Tesla. Dans ses tweets, le dirigeant d’origine sud-africaine remettait en doute ses choix d’entrepreneur et faisait vaciller en conséquence les cours de son entreprise à la Bourse.
Am considering taking Tesla private at $420. Funding secured.
— Elon Musk (@elonmusk) August 7, 2018
La divulgation d’informations à caractère financier enfreint les lois du marché. Elon Musk a été rappelé à l’ordre par les organismes de régulation américains, il lui a même été rappelé que sa communication d’entreprise (par voie de conséquence ses tweets) devait être surveillée et approuvée en amont.
« Je suis viré ou je suis riche ? »
C’est alors devenu une affaire personnelle pour ce visionnaire qui est passé de l’agacement à la supplique, de la volonté de participation à la prise de pouvoir. Dernier coup de poker, le milliardaire a racheté Twitter.
Aujourd’hui, les questions sont nombreuses quant au futur de l’entreprise, comme celle-ci d’un employé de la plateforme : « Je suis viré ou je suis riche ? » Peut-être les deux, lui répondent certains sous son tweet.
Dans un communiqué, Twitter dit que la proposition devrait être finalisée d’ici à la fin de l’année 2022. Et avec l’arrivée d’Elon Musk, c’est une certitude, l’oiseau bleu Twitter ne sera plus jamais le même.
« Sa mission d’étendre la lumière de la conscience »
Dans Une histoire vraie d’argent, de pouvoir, d’amitié et de trahison, Nick Bilton relate les péripéties de cette plateforme, créée en 2006 et devenue mondialement incontournable. On y apprend que Twitter a connu de nombreux bouleversements, des volte-face managériaux et affronté des tentatives de rachat par Yahoo ! ou Facebook. Al Gore, grand fan de la plateforme, présageait à l’échelle mondiale l’immense pouvoir d’influence de cet instrument de communication qu’est Twitter. Depuis l’arrivée tapageuse d’Elon Musk, Jack Dorsey, un des fondateurs, affirme : « Je fais confiance à sa mission d’étendre la lumière de la conscience », puis il juge : « L’objectif d’Elon de créer une plateforme d’une confiance maximale et largement inclusive est le bon (…) Nous sommes sur le bon chemin, j’y crois de tout mon cœur. » Pourtant, c’est lui-même qui a décidé le bannissement de la plateforme du président américain Donald Trump, même s’il regrettait cette décision.
Elon’s goal of creating a platform that is “maximally trusted and broadly inclusive” is the right one. This is also @paraga’s goal, and why I chose him. Thank you both for getting the company out of an impossible situation. This is the right path…I believe it with all my heart.
— jack⚡️ (@jack) April 26, 2022
Car les réactions au rachat ne sont pas qu’économiques, beaucoup craignent pour l’avenir de Twitter qui est devenu un outil diplomatique incontournable : « Musk n’a pas seulement acheté un nouveau jouet très cher, mais une communauté mondiale qui comprend 330 millions d’utilisateurs réguliers. Contrôler une plateforme aussi importante donne des responsabilités tout aussi importantes », a commenté Jessica Gonzalez, co-directrice de l’ONG Free Press.
Voyager dans l’espace est plus simple que de modérer Twitter.
« Quel que soit le nouvel actionnariat, Twitter devra désormais s’adapter totalement aux règles européennes », a déclaré Thierry Breton, le commissaire européen au Marché intérieur, en évoquant le nouveau règlement sur les services numériques, Digital Services Act (DSA), conclu samedi par les législateurs de l’UE et qui va contraindre les grandes plateformes à mieux lutter contre les contenus illégaux. Il a ajouté : « Que ce soit sur le harcèlement en ligne, la vente de produits contrefaits, la pédopornographie, les appels à des actes terroristes, Twitter devra s’adapter à notre réglementation européenne qui n’existe pas aux États-Unis. »
Qu’il s’agisse de voitures ou de plateformes numériques, toute entreprise opérant en Europe doit se conformer à nos règles.
Et ce, quel que soit l’actionnariat.
M. Musk le sait très bien.
Il connaît les règles 🇪🇺 en matière d’automobile et s’adaptera rapidement au #DSA.
— Thierry Breton (@ThierryBreton) April 26, 2022
Selon le porte-parole de Boris Johnson : « Quel que soit leur propriétaire, tous les réseaux sociaux doivent être responsables, ce qui inclut la protection de leurs utilisateurs » contre les contenus néfastes. Comment vont-ils procéder maintenant dans les locaux de Twitter ? Quelles modifications seront réalisées ? Des questions essentielles qui semblent insolubles pour certains experts des réseaux sociaux, dont Nick Bilton qui rapporte qu’Elon Musk apprendra à ses dépens que voyager dans l’espace est plus simple que de modérer Twitter (en référence à Space X le fabricant de lanceurs et d’engins spatiaux d’Elon Musk).
« Inquiet du pouvoir des grands réseaux sociaux sur nos vies quotidiennes »
Jessica Gonzalez reproche à Elon Musk de se servir de Twitter pour attaquer les personnes qu’il n’aime pas, souvent de façon « infantile », encouragé et aidé par sa « meute de fans fidèles ». Les saillies particulières sur Twitter d’Elon Musk (85 millions d’abonnés) ne sont en effet pas exemptes de tout reproche. L’homme le plus riche au monde s’y montre comme un enfant gâté, voire harceleur, qui ne se prive pas de blague douteuse sur le physique de Bill Gates, de remarques déplacées sur les dangers du virus woke sur Netflix…
Selon Marie Turcan, journaliste à Numerama, qui a relevé les dérapages du milliardaire : « ses tweets sont très souvent stupides, parfois dangereux. »
Joe Biden, le président des États-Unis, s’est lui-même dit « inquiet du pouvoir des grands réseaux sociaux sur nos vies quotidiennes », quel qu’en soit le patron. Quant à l’ancien président américain, Donald Trump, suspendu définitivement de Twitter en janvier 2021 pour incitation à la violence, il a assuré que non, il ne reviendrait pas sur Twitter, même si selon lui : « Elon Musk est quelqu’un de bien ».
Bien ? Bien. Qu’envisage Elon Musk pour son futur Twitter ? « Je veux rendre Twitter meilleur que jamais en l’améliorant avec de nouvelles fonctionnalités, rendre les algorithmes “open source” pour augmenter la confiance, vaincre les robots qui font du spam et authentifier tous les humains en travaillant avec l’entreprise et la communauté ».
Il milite également pour l’ajout d’un bouton « modifier » afin de corriger un tweet après publication et envisage aussi des changements dans la formule d’abonnement payante. À suivre donc…
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