Shift, le nouveau siège de Nestlé France à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), n’a pas encore été inauguré, mais il a eu droit le 13 avril à une visite bien peu agréable: les gendarmes de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP) ont débarqué dans l’immense agora. Leur enquête porte sur l’intoxication d’une cinquantaine de consommateurs de pizzas surgelées Buitoni, dont une majorité d’enfants, parmi lesquels deux sont décédés. Des perquisitions ont aussi eu lieu dans des laboratoires de la firme et, bien sûr, dans l’usine de Caudry (Nord), où les produits ont été préparés. Le parquet a retenu les chefs de blessures et homicides involontaires.
Pierre-Alexandre Teulié, le patron des affaires publiques de Nestlé France, a fait appel à des « huissiers pour certifier la transparence » des expertises et a affirmé que « les 75 prélèvements réalisés sur la ligne de fabrication concernée se sont tous révélés négatifs ».Mais la préfecture a bloqué la production en raison de « menaces pour la santé publique ».
Vente de sites rentables
Contrairement au siège d’Issy-les-Moulineaux, les usines françaises du géant suisse ne sont pas conçues pour séduire les travailleurs. Depuis le début des années 2000, période marquée par des grèves dans plusieurs sites, Nestlé se désengage du sol français. « Le groupe n’aime pas la France, pays des 35 heures et des Gaulois réfractaires, indique un salarié. Ce sentiment est partagé au siège mondial, en Suisse, où les dirigeants sont tous anglo-saxons. » »L’usine de Caudry devait prouver qu’elle était aussi rentable que des sites allemands et italiens. On a peut-être fait des économies sur la maintenance. » Un ancien cadre.
Après les yaourts et desserts lactés (marques Nestlé et La Laitière), les plats cuisinés Findus et les surgelés Davigel, la multinationale a cédé deux fleurons présents dans tous les foyers français: la purée Mousline et le jambon Herta. « Nestlé vend ces usines très rentables pour investir dans des productions encore plus lucratives, comme les steaks végétaux et les protéines, car cela plaît au monde de la finance », analyse Maryse Treton, secrétaire générale de la CGT agroalimentaire.
Nettoyages moins fréquents
Sous couvert d’anonymat, un ancien cadre dénonce une obsession pour la productivité: « Les usines françaises sont soumises à une pression forte du siège mondial, qui préfère agrandir des sites européens dans des pays aux coûts salariaux moins élevés. La France gagne rarement ces arbitrages. L’usine de Caudry devait en permanence prouver qu’elle était aussi rentable que des sites allemands et italiens de Nestlé. Même si l’on affirme que la sécurité est une priorité, on a peut-être fait des économies sur la maintenance. »
A la CGT, on juge que cette pression a poussé la filiale française à réduire la fréquence de nettoyage des lignes de production, qui « crachaient » 200.000 pizzas par jour. « Pour améliorer la productivité, la direction a instauré une période de nettoyage et de maintenance de cinq heures après vingt-sept heures de production, contre huit heures après seize heures de production auparavant. » Le groupe répond avoir mené des contrôles inopinés qui n’ont relevé « aucun écart avec la réglementation ».
L’enquête montrera si cela a pu favoriser le développement de la bactérie tueuse E.coli. Un autre salarié signale: « La gamme Fraich’Up Buitoni est la seule au monde à produire des pizzas surgelées dont la pâte est crue. Le consommateur cuit chez lui, et cela rend le processus industriel plus sensible aux contaminations. » A l’arrêt, l’usine de Caudry, qui emploie 195 personnes, pourra difficilement reprendre son activité avant longtemps.
Jean-François Arnaud
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