Le vaccin Spoutnik V, développé par l’institut russe Gamaleya, attire la convoitise des Européens, en manque de doses anti-Covid-19 après les retards de livraison annoncées par Pfizer-BioNTech et AstraZeneca. L’Allemagne propose déjà de produire le vaccin russe si l’Agence européenne du médicament donne son feu vert.
« Une bonne nouvelle pour l’humanité ». C’est ainsi que le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a qualifié, vendredi 5 février, le vaccin russe Spoutnik V contre le Covid-19, pour lequel la revue médicale britannique The Lancet a rendu des « conclusions positives ». En visite à Moscou, le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères a dit « espérer que l’Agence européenne des médicaments (EMA) pourra certifier » le vaccin développé en Russie.
Après un accueil très frileux en Europe, le produit de l’institut russe Gamaleïa suscite désormais l’intérêt croissant des Européens, qui font face à des problèmes d’approvisionnement en doses dans leur lutte contre le Covid-19. En tête de ce revirement, l’Allemagne a même proposé d’épauler la Russie pour une demande d’homologation dans l’UE. La chancelière Angela Merkel a révélé, le 2 février, avoir parlé personnellement du vaccin avec le président russe, Vladimir Poutine. Elle s’est dite favorable à son utilisation en Europe s’il est validé par l’EMA.
De son côté, l’Espagne s’est montrée « ouverte » et « enthousiaste » à l’idée d’utiliser le vaccin russe Spoutnik V. Plus prudente, la France a déclaré qu’il n’existait « aucun obstacle », « s’il correspond aux normes scientifiques et aux exigences de robustesse et de contrôle qui s’imposent en Europe ».
La publication de The Lancet n’y est pas pour rien dans ce changement de ton. La revue médicale a dissipé la méfiance des Européens en donnant, le 2 février, un avis favorable sur le vaccin russe, jugé efficace à 91,6 % contre les formes symptomatiques.
La grande nouveauté, c’est surtout l’accès aux données cliniques de ce vaccin. La Russie a lancé le Spoutnik V très rapidement, avant même la fin de la troisième et dernière phase des essais cliniques, ce qui avait éveillé des doutes quant à sa fiabilité. “Le vaccin Spoutnik V a été lancé en grandes pompes, sans fournir de données précises, ni de publication, ce qui a pu laisser penser à certains que c’était une opération politique pilotée par Vladimir Poutine. Cela a induit beaucoup de réactions négatives et de suspicion au départ”, explique Michel Goldman, professeur d’immunologie à l’ULB et ancien directeur exécutif de l’Agence européenne pour les médicaments innovants (IMI).
Un succès de circonstance
“Nous savions que les Russes disposaient d’une solide expérience dans le domaine vaccinal à l’institut Gamaleïa , qui a travaillé sur le Mers [ syndrome respiratoire du Moyen-Orient, causé par un autre type de coronavirus]. Mais l’intérêt que l’on porte aujourd’hui au vaccin Spoutnik V est dû à la pénurie de vaccins”, souligne Michel Goldman. Depuis l’annonce de la baisse temporaire des livraisons des doses de vaccin du duo Pfizer-BioNTech et des retards de livraison d’AstraZeneca, plusieurs pays de l’Union européenne font face à de grandes difficultés d’approvisionnement de vaccins anti-Covid-19.
Or l’Union européenne ambitionne de protéger 70 % de sa population d’ici l’été et les critiques pour la lenteur de ses campagnes de vaccination se multiplient. Les regards se tournent logiquement vers de nouveaux laboratoires capables de fournir des doses au plus vite. “Tous les vaccins sont bons à prendre si tant est qu’ils présentent des garanties de sécurité, donc une évaluation par l’Agence européenne du médicament », indique Michel Goldman.
Pour la Russie, le succès du vaccin Spoutnik tombe à point nommé, dans un contexte de tensions géopolitiques, au moment même où des sanctions européennes sont à l’étude dans l’affaire Navalny. “On voit bien que le Spoutnik V est un élément de soft power qui va bien au-delà du simple vaccin. C’est une véritable source de pouvoir diplomatique”, commente Frédéric Bizard, professeur d’économie à l’ESCP et président de l’Institut de Santé.
D’autant que le produit russe est “très intéressant”, rappelle Frédéric Bizard, avec un taux d’efficacité de plus de 91 %, bien plus que le vaccin d’AstraZeneca (60 % selon l’EMA), alors que tous deux sont basés sur la même technologie.
Une efficacité saluée par The Lancet
Pour le professeur Goldman, “il n’y a pas de secret extraordinaire dans le vaccin Spoutnik V”. ”Il repose sur une technologie bien connue, celle des vecteurs viraux qui transmettent l’information nécessaire pour faire produire par des cellules de l’organisme une protéine vaccinale”. Mais le vaccin russe a une particularité : pour la deuxième injection, il utilise un adénovirus différent de celui de la première. L’adénovirus est un virus très courant, responsable notamment de rhumes, qui représente le cœur de ce vaccin, mais aussi celui du vaccin développé par AstraZeneca. Selon les chercheurs russes, cette différence d’adénovirus entre la première et la seconde injection « pourrait aider à créer une réponse immunitaire plus puissante, tout en diminuant le risque que le système immunitaire développe [entre les deux injections] une résistance envers le vecteur initial », écrit The Lancet.
“Les Russes semblent disposer d’un bon adénovirus. Ce produit pourrait être d’une importance élevée dans la lutte contre la pandémie s’il s’avérait que cet adénovirus soit si efficace”, souligne Frédéric Bizard. Sans compter que le vaccin Spoutnik, comme son cousin d’AstraZeneca, est moins cher et facile à utiliser, car il peut se conserver à des températures variant entre +2 et +8°C, et non pas des températures extrêmement basses comme c’est le cas pour le produit américain de Pfizer-BioNTech.
Avant de pouvoir être mis sur le marché européen, le vaccin de l’institut Gamaleïa devra d’abord attendre le feu vert de l’Agence européenne du médicament. Le fonds souverain russe qui développe le Spoutnik V a indiqué, le 20 janvier, avoir déposé une demande d’enregistrement auprès de EMA, disant s’attendre à un premier examen de son dossier « en février ». “L’expérience des vaccins précédents montre que cela peut aller assez vite, à partir du moment où la demande est introduite. L’approbation pourrait suivre dans les deux à trois mois suivants”, indique Michel Goldman.
Mais pour l’heure, le régulateur européen a précisé que les développeurs russes n’avaient soumis qu’ »une demande d’avis scientifique » et que le Spoutnik V ne fait pas encore l’objet d’une procédure d’examen en continu des données, étape facilitant une demande d’autorisation.
Les Allemands prêts à produire le vaccin russe
Outre l’autorisation de l’EMA, se pose la question de la production du vaccin russe en quantité suffisante. La Russie produit déjà le Spoutnik V pour de nombreux pays alliés. Les capacités de production sont déjà sous pression, bien que le Kazakhstan, l’Inde, la Corée du Sud et le Brésil produisent également le Spoutnik V.
Pour recevoir le feu vert de Bruxelles, le fabricant du vaccin doit de toute façon avoir une capacité de production sur le sol européen, afin d’assurer des livraisons rapides dès le feu vert de l’organisme européen. L’Allemagne a d’ores et déjà expliqué servir « d’intermédiaire » pour la demande russe d’étudier des options de production en Europe. Selon le ministère allemand de la Santé, la Russie a contacté un laboratoire allemand, IDT Biologika, basé dans l’État régional de Saxe-Anhalt.
Tout semble donc prêt pour que le vaccin russe vienne compléter l’offre des produits dont disposent les Européens. Mais rien ne garantit l’efficacité de ce nouveau vaccin, face à la progression des variants du Covid-19. “Le plus grand défi est de vacciner vite un maximum de personnes face aux nouveaux variants, qui sont pratiquement des nouveaux virus et qui risquent d’être plus durs à combattre encore”, alerte Michel Goldman. “Le succès et la belle histoire qui aurait pu s’écrire pour le Spoutnik V dans la lutte contre cette pandémie pourrait alors retomber très vite”, prévient Frédéric Bizard.
Avec AFP
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