LETTRE DE BANGKOK
En ces temps d’incertitude globale, l’idée de faire le mort dans un cercueil, avant d’y entrer un jour pour de bon, pouvait constituer une expérience intéressante. Après tout, l’opportunité de s’allonger sous un blanc linceul dans la solitude de la caisse en bois est une réalité que l’on ne vivra guère plus de deux fois dans sa vie.
Au wat (« temple-monastère ») bouddhiste de Bang Na Naï, à une quinzaine de kilomètres du centre de Bangkok, le chef abbé propose une cérémonie pour celles et ceux désireux d’« éliminer le mauvais karma », cette somme des actes de nos vies passées qui, pour faire simple, conditionne les vies postérieures de l’individu. Le but ultime est de sortir du samsara (cycle des réincarnations) afin d’accéder au nirvana. Le karma, terme sanscrit, est un concept central de la théorie de la métempsycose dans le monde hindou et bouddhiste.
Répétition générale
Le bhikkhu (« moine ») de ce wat a ajouté les cercueils à un rituel déjà connu, qui consiste en général à recouvrir le fidèle d’un simple voile, simulant l’apparence du mort dans sa dernière demeure. Au Wat Bang Na Naï, les cinq cercueils alignés dans une pièce ajoutent au piment de l’expérience : le dévot est invité à s’allonger, la tête sur un petit coussin, avant d’être recouvert par un linceul en coton. Un plaisir pervers de claustrophobe, une grande joie pour les angoissés du basculement dans le néant. C’est en quelque sorte une répétition générale avant que ne sonne l’heure de vérité.
Mais pourquoi le simple fidèle doit-il ainsi jouer les cadavres ? Explication de l’abbé Waranukit, depuis l’estrade où il trône, en surplomb sur les fidèles, mains jointes en signe de respect : il s’agit là d’une « antique tradition destinée à porter chance aux gens s’inquiétant de ce que l’avenir pourrait leur réserver ». L’abbé, qui ne donne pas le sentiment d’être un grand théologien, s’en tient à l’explication du rituel.
Rajustant son masque chirurgical sur le visage, il se contente d’ajouter qu’il s’agit là d’« un moyen de conjurer le mauvais sort ». Jouer le mort comme si l’on faisait la nique à cette dernière ? Peut-être. Comme le disait une certaine Juthamas Kirimitir dans une vidéo diffusée en janvier sur le site d’un journal thaï : « Je me suis allongée dans ce cercueil et ça m’a fait du bien : cela est rassurant de réaliser que nul ne sait quand on va mourir, j’ai eu l’impression de laisser dans le cercueil les aspects négatifs du karma. »
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L’article A Bangkok, l’expérience de la « mort avant la mort » passe par le cercueil est apparu en premier sur zimo news.