C’était le monde d’avant. Le 22 février, deux jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, lorsque nous avons rencontré Pierre Moscovici, dans son bureau en bois brésilien de la rue Cambon, à Paris, son discours, calibré, interpellait l’exécutif: la crise est finie et il faut arrêter le « quoi qu’il en coûte ». « Face à la pandémie, qui a débranché nos économies, il a fallu prendre des mesures exceptionnelles. Nous les avons approuvées. Mais le “quoi qu’il en coûte” n’est pas une situation normale, insistait le premier président de la Cour des comptes. Il faut retrouver des règles de gouvernance des dépenses publiques. »
Deux semaines plus tard, ces propos semblent caducs. La guerre fait rage en Europe, l’envolée des prix de l’énergie va provoquer un choc comparable à la crise pétrolière de 1973, dixit Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, et l’Etat prépare un plan de « résilience » pour les entreprises et les ménages.
Alors aujourd’hui Moscovici nuance.
« Nous devons faire face à ce choc, renforcer notre défense et protéger les secteurs qui en ont besoin, notamment au niveau européen, ce qui aura un coût budgétaire, admet le gardien des comptes publics. S’il y a une récession, il faudra y faire face, Mais ces mesures doivent être ciblées. Cela ne peut pas être le retour du “quoi qu’il en coûte ».
Sortir de l’euphorie
Pas facile d’être la vigie des finances publiques, « l’emmerdeur » qui rappelle à l’Etat que la dette ne cesse de gonfler… Le job ingrat de patron de la Cour des comptes, que Pierre Moscovici, 64 ans, a pris à bras-le-corps depuis juin 2020, dans cette période d’argent magique où la rigueur budgétaire n’est plus une préoccupation, comme le révèle l’élection présidentielle. « Par rapport aux précédentes campagnes, il y a une absence quasi générale de la question de nos finances publiques », admet l’ex-commissaire européen.
Peu audible, Moscovici défend son « en même temps ». D’un côté, il assume d’être « dépensier » pour investir dans des secteurs qui musclent notre croissance, comme la recherche, le numérique ou la formation. De l’autre, il lance une mise en garde: dans l’euphorie de la dépense, l’Etat cède à la facilité.
« Nous sommes sortis de la crise sanitaire avec un déficit public structurel, lié à des dépenses pérennes, deux fois plus élevé. Il faudra y remédier et réduire notre dette publique », analyse l’ex-ministre de l’Economie de François Hollande. Qui trouve la France bien mollassonne par rapport aux pays d’Europe du Sud, longtemps taxés de laxistes: « L’Italie, l’Espagne et le Portugal manifestent plus fortement leur volonté de réduire leur dette publique ».
Du prochain président de la République, il attend un plan précis de réduction de l’endettement. « De manière forte, le futur chef de l’Etat devra dire ce qu’il fera dans ce domaine. Je ne crois pas au rabot budgétaire, qui dégrade la performance publique. En revanche, je crois à une vraie transformation de l’action publique. » Pour l’instant, cela reste un vœu pieux. Sous Sarkozy, Hollande et Macron, les projets de réforme de l’Etat se sont soldés par des échecs. A demi-mot, Moscovici l’admet: « Jusqu’alors, les réformes structurelles générant des économies durables ont été peu présentes. » C’est d’ailleurs ce qui explique le surplus de dépenses publiques par rapport à nos voisins, malgré des résultats médiocres, comme dans l’enseignement ou le logement.
Moderniser la Cour
Alors pour insuffler un peu de rigueur, il multiplie les initiatives dans une institution où il craignait de s’ennuyer, comme il nous le confiait, quelques semaines avant sa nomination. Le 9 mars, il a lancé une plate-forme permettant aux citoyens de saisir la Cour des comptes, qui réalisera des contrôles à partir de ces alertes. « Pour éviter la délation et la démagogie, il y aura un filtre », prévient-il. Moscovici veut aussi secouer son institution, vieille dame née en 1807. Il promet de la rendre plus réactive en multipliant les notes « flash », plus transparente en publiant trois fois plus de rapports qu’il y a deux ans, et moins comptable grâce à des évaluations de politiques publiques « à 360 degrés », comme la récente charge sur la gestion du RSA. « Cette maison doit devenir plus rapide et plus citoyenne, promet-il, rappelant qu’elle n’a pas été transformée depuis une vingtaine d’années. Elle est très respectée par les Français et très écoutée des pouvoirs publics ».
Plateforme de participation de la Cour des Comptes https://t.co/dV2YcZxZvI
— Pierre Moscovici (@pierremoscovici) March 11, 2022
S’il a rapidement enfilé sa robe d’hermine de contrôleur des comptes publics, le social-démocrate Moscovici, qui avait dirigé la campagne de Hollande en 2012, n’oublie pas la politique. Malgré son devoir de réserve, il s’autorise quelques piques dans la campagne. Sur son compte Twitter, il a dénoncé l’attaque d’Eric Zemmour contre « les socialistes qui dirigent le pays », qui le visait, ainsi que Laurent Fabius au Conseil constitutionnel. Et il a félicité les socialistes portugais pour leur victoire électorale, saluant « la gauche réaliste ».
Message subliminal du nouveau gardien du temple budgétaire à son camp de la gauche modérée, en déroute dans les sondages et en panne de crédibilité.
Making of
Pierre Moscovici nous a reçus le 22 février dans son bureau de la rue Cambon, à Paris, tout en boiseries créées par Sylvain Dubuisson. Cet entretien d’abord grave puis plus détendu sur la campagne électorale, a été complété en visio début mars pour décrypter le choc de la guerre.
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