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« La guerre en Ukraine a déclenché la fin des tabous allemands en matière de politique extérieure »

Tribune. Le drame de la guerre en Ukraine a conduit l’Allemagne à mettre fin à deux tabous qu’elle justifiait par son histoire et dont la remise en question marque une rupture dans sa culture politique et militaire. Elle ouvre aussi une nouvelle perspective sur la voie de ce qui fait encore défaut à l’Europe : une défense et une doctrine stratégique communes.

Il s’agit d’abord de la dimension militaire de la politique extérieure, certes parfois assumée, difficilement, comme en 1999 lors de l’engagement de l’Allemagne dans la guerre au Kosovo, mais jusqu’ici toujours avec mauvaise conscience et des débats virulents, en référence au passé nazi. Le chancelier, Olaf Scholz, vient de briser ce tabou en annonçant, le 27 février, un réarmement de l’Allemagne et en officialisant la livraison d’armes létales à un pays en guerre, l’Ukraine.

En outre est également remise en question ce que la diplomatie allemande appelait elle-même la «  relation particulière » avec la Russie, déterminée par le souvenir de l’agression hitlérienne barbare de 1941, et concrétisée par la politique d’ouverture à l’Est, la célèbre Ostpolitik, conduite par le chancelier Willy Brandt dans les années 1970. Les acteurs politiques et les historiens considèrent, à l’instar d’Eckart Conze dans Die Suche nach Sicherheit (« la recherche de la sécurité », Siedler, 2009, non traduit) que cette politique, avec l’ancrage à l’Ouest des années 1950, a « contribué à une évolution dont l’aboutissement fut le 9 novembre 1989 [chute du mur de Berlin] et le 3 octobre 1990 [réunification de l’Allemagne] ».

Vers une « Europe puissance »

L’abandon officiel par l’Allemagne de ces deux axiomes, s’il est durablement assumé, pourrait bien constituer une étape essentielle vers la naissance d’une « Europe puissance ». Ainsi, lors de la séance extraordinaire du Parlement fédéral, le 27 février, le chancelier Scholz a insisté sur la dimension européenne, lorsqu’il a annoncé que l’Allemagne créait un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour équiper l’armée fédérale dont, par ailleurs, le budget « classique » continuera à augmenter pour atteindre les 2 % du PIB, critère retenu par l’OTAN. « Nous devons clairement investir davantage dans la sécurité de notre pays pour ainsi protéger notre liberté et notre démocratie, objectif atteignable pour un pays de notre taille et de notre importance en Europe », a-t-il déclaré.

Plusieurs rapports de hauts gradés avaient récemment alerté sur le mauvais état du matériel de l’armée fédérale. Dans un pays où le sujet de la défense reste inflammable, en raison de la pérennité d’éléments de culture pacifiste, encore marquée chez une partie des sociaux-démocrates et des Verts, le sujet ne retenait pas suffisamment l’attention. Néanmoins, deux éléments indiquaient qu’une mutation était en cours.

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