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Ukraine, puissance nucléaire : “Une attaque russe pour détruire des réacteurs n’a aucun sens”

Publié le : 04/03/2022 – 18:42

Le plus important site nucléaire d’Europe, la centrale de Zaporojie, dans le sud de l’Ukraine, a été bombardé par la Russie dans la nuit de jeudi à vendredi, sans qu’aucune fuite n’ait été signalée. Mais face à la menace d’un accident, quels risques représentent les 15 réacteurs présents sur le territoire ?

La plus grande centrale nucléaire d’Europe, celle de Zaporojie, dans le sud de l’Ukraine, a été touchée, vendredi 4 mars, dans la nuit par un incendie, après qu’elle a été bombardée par les forces armées russes. Selon Rafael Mariano Grossi, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), aucune fuite n’a été signalée. Mais face à la menace d’un accident nucléaire, il s’est déclaré « prêt » à se rendre sur place ainsi qu’à Tchernobyl pour inspecter les installations passées sous contrôle militaire russe.

La situation est « inédite », a également signalé Rafael Mariono Grossi, avant d’alerter : « La situation aurait pu être dramatique, nous savons ce qui est en jeu. » C’est en effet la première fois qu’un pays aussi nucléarisé vit une guerre sur son sol. 

Le parc de l’Ukraine, qui représente la huitième puissance nucléaire mondiale, compte quinze réacteurs en fonctionnement, répartis sur quatre sites, à Zaporojie, à Rivne, à Khmelnytskyï et en Ukraine du sud à Youjnooukraïnsk, dans l’oblast de Mykolaïv,  auxquels s’ajoutent les quatre réacteurs à l’arrêt de l’ancienne centrale de Tchernobyl. Un panel « important » d’installations nucléaires, remarque Karine Herviou,  directrice générale adjointe chargée de la cellule de crise de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) contactée par France 24.

L’Ukraine compte 15 réacteurs nucléaires, répartis sur quatre sites. © France 24

Enceintes de confinement en béton

Le parc nucléaire ukrainien est constitué, en majorité, de réacteurs à eau pressurisée de 1 000 mégawatts électriques de conception russe. Relativement récents, ils représentent le « risque principal » d’accidents nucléaires, selon Karine Herviou.

Les standards adoptés pour les sécuriser sont « comparables à ceux adoptés par la France et par l’Europe », développe la spécialiste. Ils sont protégés par des enceintes de confinement en béton renforcé d’acier, qui permettent de confiner la radioactivité en cas de dégradation du cœur du réacteur. Prévues pour résister à différents types de missiles, elles peuvent néanmoins être dégradées si elles sont délibérément prises pour cible.

La centrale de Zaporijie, située à 80 kilomètres de Kiev, a ainsi continué à fonctionner normalement cette nuit, malgré l’incendie déclenché par un projectile russe non identifié. Un seul de ses six réacteurs VVER-1000 est actuellement en fonctionnement et les cinq autres continuent à être refroidis « normalement », selon les informations communiquées par l’autorité de sûreté ukrainienne à l’IRSN, qui ajoute que les opérateurs ukrainiens habituels étaient toujours chargés de la gestion de la salle de contrôle.

Seuls deux réacteurs plus petits, ceux de la centrale de Rivne, dans le sud-ouest de l’Ukraine, ne sont pas équipés d’une telle enceinte de confinement. Mis en service à la fin des années 1970, ils peuvent présenter davantage de risques en cas d’attaque, même si les mesures de sécurité qui les entourent ont été renforcées ces dernières années. « Les réacteurs de Rivne sont les plus vulnérables, rapporte Dominique Grenêche, docteur en physique nucléaire et consultant international, contacté par France 24. Si leurs cœurs fondaient, nous pourrions nous retrouver dans une situation comparable à celle de Fukushima, qui n’était pas équipée d’une enceinte de ce type. » 

Déchets radioactifs

Qui dit centrales nucléaires dit également déchets radioactifs. L’Ukraine compte plusieurs piscines de refroidissement pour accueillir les combustibles usés utilisés par les réacteurs des différentes centrales, des sites d’entreposage de déchets nucléaires radioactifs et des parcs d’entreposage à sec. On y trouve également des réacteurs de recherche et de faible puissance. Au contraire des réacteurs extrêmement sécurisés, ces dizaines de lieux de stockage ne sont pas tous conçus pour résister à des bombardements. Leur attaque pourrait provoquer des fuites de déchets radioactifs.

« Un nouveau Tchernobyl est impossible », affirme Dominique Grenêche. « Ça fait peur d’apprendre que les Russes ont pris une centrale, mais même s’ils se battent à l’intérieur, il y a peu de chances qu’ils provoquent un accident. La protection n’est jamais absolue mais le risque d’accident nucléaire est peu probable. »

Reste le risque d’une attaque intentionnelle des Russes contre une centrale nucléaire ukrainienne.

« Une réflexion de bon sens consiste à penser qu’une attaque délibérée pour détruire des réacteurs n’a absolument aucun sens comme objectif tactique. Il s’agit d’un risque beaucoup trop grand que feraient courir les militaires russes à leurs propres hommes et à leur propre territoire », remarque Benjamin Hautecouverture, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, interrogé par France 24. « Il semble évident que la maîtrise des 15 réacteurs qui composent l’ensemble du parc de puissance ukrainien, et qui assurent à peu près la moitié de la production d’électricité du pays, puisse être un objectif raisonnable de l’opération militaire en cours [si l’on peut s’exprimer ainsi], mais évidemment pas leur destruction », conclut-il.


Le maître de recherche remarque néanmoins qu’en choisissant de bombarder la centrale de Zaporojie, la Russie a délibérément violé les principes qu’elle s’était engagée à respecter en tant que membre de l’AEIA. Il est en effet formellement interdit d’attaquer des sites nucléaires civils. Le pays a également bafoué la convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, adoptée en 2005 par l’ONU sur une proposition… de la Fédération de Russie.

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