En Ukraine, l’armée russe est accusée de bombarder des civils, en utilisant notamment des bombes interdites par le droit international. Dans ce contexte, la Cour pénale internationale a lancé une enquête pour identifier d’éventuels crimes de guerre commis par la Russie en Ukraine. Vladimir Poutine pourrait être poursuivi, tout comme les chefs de ses armées. Mais pas avant des mois, voire des années.
Au neuvième jour de l’invasion de la Russie en Ukraine, les forces russes continuent de bombarder plusieurs villes ukrainiennes, dont Marioupol, Kharkiv ou encore la capitale, Kiev et ses alentours. Depuis le début de l’invasion, la Russie assure ne viser que des cibles militaires. Mais ces informations sont démenties par les autorités ukrainiennes, qui accusent la Russie de cibler des lieux publics, comme des écoles, des centres villes et des zones résidentielles.
Par ailleurs, les frappes qui ont provoqué, vendredi 4 mars, un incendie dans la plus grande centrale nucléaire d’Europe, Zaporijie, située dans le sud de l’Ukraine, ont poussé le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU à approuvé une résolution en faveur d’une commission d’enquête internationale sur les violations des droits humains et du droit humanitaire en Ukraine.
La Cour pénale internationale (CPI) a elle aussi agi en urgence, en ouvrant, le 2 mars, à la demande de 39 de ses États parties, une enquête sur la situation en Ukraine, où la Russie est accusée de perpétrer des crimes de guerre.
Cette juridiction internationale, indépendante et impartiale, juge les personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide.
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« Il semble évident aujourd’hui que des crimes de guerre ont déjà été commis par les forces russes contre la population ukrainienne et peut-être éventuellement contre des militaires ukrainiens. C’est pour cette raison que la CPI a décidé d’ouvrir une enquête », affirme William Julié, avocat spécialiste en droit pénal international, contacté par France 24.
Le crime de guerre, défini et mis en œuvre par les Conventions de Genève et de celles de La Haye, correspond à des violations du droit international visant des civils ou des combattants lors d’un conflit.
Selon l’ONU, le crime de guerre peut être constitué par un grand nombre d’atteintes aux personnes et correspondre ainsi, notamment, à des « meurtres, atteintes à l’intégrité physique ou à la santé, viols, attaques intentionnelles contre la population civile, pillages et destructions de biens civils, parfois indispensables à la survie de la population civile, de façon illicite et arbitraire ».
Pour William Julié, il y a peu de doutes sur la responsabilité de la Russie : « Le fait de bombarder des écoles, des habitations, des civils sans pouvoir justifier que des militaires ou des sites militaires étaient visés, sans pouvoir justifier que cela a été fait de façon proportionnée sont des actes qui constituent potentiellement des crimes de guerre ».
Une utilisation de munition illégales contre des civils
Non seulement, en Ukraine, les forces russes sont accusées de s’en prendre aux civils mais elles sont aussi soupçonnées d’utiliser des armes interdites par le droit international : les bombes à sous-munitions. Cette arme est composée d’un conteneur (un obus, une roquette ou un missile par exemple) rempli de projectiles (dites sous-munitions) qui explosent à leur tour une fois que la bombe a explosé. Ces bombes sont, d’une part, très sensibles et, d’autre part, en libérant leurs sous-munitions, elles couvrent une zone d’impact très large.
.@bellingcat prouve photos à l’appui que des bombes à sous-munition sont utilisées par les Russes en Ukraine. Rappel : ces armes sont incompatibles avec des frappes ciblées. Elles ne permettent donc pas d’éviter les victimes civiles. https://t.co/XoSOehHRm4
— Julien Pain (@JulienPain) March 3, 2022
Elles ne permettent donc pas de viser une cible de façon précise. C’est pourquoi, selon l’ONG Handicap International, « les civils représentent 97 % des victimes » de ces bombes et, précise l’organisation, parmi elles, 36 % sont des enfants. En outre, toujours d’après Handicap International, « jusqu’à 40 % des sous-munitions n’explosent pas quand elles touchent le sol ». Enfouies sous la terre, elles peuvent exploser des années plus tard. Pour toutes ces raisons, l’utilisation, la fabrication, le commerce et le stockage de ces armes sont interdits par la Convention d’Oslo de 2010.
Pour William Julié, « l’utilisation de ce type d’armement dans le cadre d’un conflit armé peut, en lui-même, caractériser la commission d’un crime de guerre dans la mesure où le fonctionnement et l’utilisation de ces armes visent de manière quasi systématique et indiscriminée des populations civiles et provoquent des dommages disproportionnés ».
L’usage de ces armes par la Russie (qui n’a pas signé la Convention d’Oslo, tout comme l’Ukraine) a, par ailleurs, été dénoncée, vendredi, par le secrétaire général de l’Otan, après des révélations, notamment, des ONG Amnesty International et Human Rights Watch et du média d’investigation Bellingcat. En menant des enquêtes, ils ont mis au jour l’utilisation par les forces russes de bombes à sous-munitions en Ukraine depuis l’invasion. Par exemple, Human Rights Watch, qui estime que l’utilisation de telles armes « pourrait constituer un crime de guerre », a documenté leur usage « dans au moins trois quartiers résidentiels de Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine, le 28 février ». En utilisant des images satellites, et en s’appuyant sur les recherches du chercheur Michael Sheldon, chercheur pour le think tank américain Atlantic Council, la rédaction des Observateurs de France 24 a également documenté l’utilisation, le 28 février 2022, de bombes à sous-munitions dans la ville de Kharkiv.
Après les ONG et les médias, la justice internationale a pris le dossier en main. Invité par France 24, le procureur général de la CPI, Karim Kahn, a affirmé qu’ »une équipe de terrain s’est mise en route » pour collecter des preuves. Recueil de témoignages, intensification du matériel et de la provenance des projectiles… Un long travail attend les enquêteurs. D’autant que l’enquête recouvrira tous les actes commis en Ukraine « depuis le 21 novembre 2013 », a affirmé Karim Kahn. Il s’agirait, selon lui, de « toutes les allégations passées et présentes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide commis sur toute partie du territoire de l’Ukraine par toute personne ».
« Quel pays déciderait d’arrêter Vladimir Poutine ? »
Une fois les preuves collectées, la machine judiciaire pourra se mettre en route. L’Ukraine n’a certes pas ratifié le Statut de Rome, le traité international qui fonde la CPI, mais a reconnu la compétence de la Cour pour juger les crimes commis sur son territoire. De son côté, la Russie a retiré sa signature du Statut de Rome. Mais comme l’a souligné Karim Kahn à France 24, « il s’agit ici d’actes qui ont lieu non pas en Russie mais sur le territoire ukrainien ».
Dans ce contexte, la CPI jugeant des personnes physiques et non pas des États, « Vladimir Poutine pourrait faire l’objet de poursuites par la CPI, tout comme ses colonels, ses chefs d’armée », si la juridiction réunit des preuves suffisantes pour les accuser de crimes de guerre. La CPI pourrait alors en venir à considérer que le dossier est suffisamment solide pour entamer des poursuites et délivrer des mandats d’arrêt internationaux. « Juridiquement tout cela est possible, mais la question qui se pose est la suivante : est-ce que le mandat d’arrêt pourra être exécuté ? Autrement dit, Quel pays déciderait d’arrêter Vladimir Poutine ? », demande William Julié.
En effet, la CPI est également limitée par son absence de force de police et par la discrétion des États pour faire arrêter les suspects présents sur leur sol. Et jusqu’à aujourd’hui, un seul mandat d’arrêt international a été délivré contre un chef d’État en exercice, celui contre l’ancien président du Soudan, Omar El-Béchir, recherché notamment pour génocide et crimes contre l’humanité lors du conflit au Darfour.
Concernant la Convention d’Oslo sur les bombes à sous-munitions, la Russie et l’Ukraine ne font pas partie des signataires. « Ce traité a quand même été signé par un nombre important d’États à ce jour et donc elle a une valeur mondiale pour dire que dans la communauté internationale, un grand nombre d’États s’accordent sur le fait que ces armes-là doivent être prohibées », explique William Julié. Et l’avocat de poursuivre : « L’Ukraine et la Russie n’ayant pas signé cette convention, il ne pourrait pas y avoir, à mon sens, d’actions directes engagées contre l’un ou l’autre devant la Cour internationale de justice », l’autorité compétente pour juger des violations de la Convention d’Oslo.
« Mais par contre, il est évident que l’utilisation de ces armes rentrera dans l’analyse du procureur ou des magistrats de la CPI pour caractériser des crimes de guerre », affirme-t-il. Avec cette enquête, la CPI est donc entrée dans un parcours long et minutieux, qui prendra sûrement des années. Mais pour l’heure, la justice internationale n’a pas d’autres cordes à son arc.
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