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Bruno Cautrès, politologue : “La peur ne donne pas envie de changer de pilote”

C’était officieux, mais c’est désormais officiel : Emmanuel Macron est candidat à l’élection présidentielle française. Sa campagne s’annonce aussi courte qu’inédite, bouleversée par la crise ukrainienne et les soubresauts d’une pandémie dont la page n’est pas encore tournée. Analyse avec Bruno Cautrès, politologue, chercheur au Cevipof.

Sa candidature laissait certes fort peu de place au doute, mais se devait encore d’être officialisée. C’est enfin chose faite jeudi 3 mars. Par une lettre, Emmanuel Macron est désormais candidat à sa propre réélection. Presque in extremis, moins de 24 heures avant “le gong” final. En effet, les prétendants à l’Élysée sont tenus de formaliser leur candidature auprès du Conseil constitutionnel avant le 4 mars, à 18 h.

Lancée le 24 février par Vladimir Poutine, l’invasion russe de l’Ukraine a précipité Emmanuel Macron dans une intense activité diplomatique. Au point d’avoir presque éclipsé la campagne présidentielle française.

La présidence du Conseil de l’Union européenne qu’occupe la France depuis le 1er janvier 2022 et pour toute l’année confère également une importance accrue à la gestion de cette crise aux portes de l’Europe. 

Un hasard du calendrier : dès sa campagne en 2017, le jeune président s’était fait l’apôtre d’une Europe souveraine, et d’une défense européenne.

Annoncée tardivement, et dans un contexte de forte instabilité internationale, la candidature d’Emmanuel Macron à sa réélection survient également au terme d’un mandat jalonné de crises, parmi lesquelles la pandémie de Covid-19 demeure d’actualité.

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, le président-candidat a gagné plusieurs points dans les intentions de vote, les sondages le donnant à 27-28 %, soit une dizaine de points devant sa rivale d’extrême droite, Marine Le Pen (RN), qui creuse l’écart avec Valérie Pécresse (LR) et Éric Zemmour (Reconquête!). 

Pour Bruno Cautrès, politologue, chercheur au CNRS et au Cevipof (le Centre de recherches politiques de Sciences-Po) ce contexte permet à Emmanuel Macron de se présenter comme un capitaine, au milieu d’une dangereuse tempête mondiale.

France 24 : L’annonce de la candidature d’Emmanuel Macron a vraisemblablement été retardée par un agenda surchargé. Mais pour le président désormais officiellement candidat, ce front diplomatique ukrainien ne constitue-il pas la meilleure des campagnes ?

Bruno Cautrès : Il est certain, en effet, qu’Emmanuel Macron se trouve dans une campagne dans laquelle il a des avantages comparatifs indéniables sur ses adversaires politiques, à la fois en tant que chef de l’État, et via la présidence française du conseil de l’Union européenne. 

Cette crise répond – en partie – à la question centrale que la candidature d’Emmanuel Macron à sa propre réélection posait : “un deuxième mandat pour quoi faire ?” C’est une question qui se pose à tout président briguant un autre mandat et à laquelle il est d’accoutumée très délicat de répondre. À la logique de la continuité, du “faire pareil”,  l’électorat peut opposer l’impopularité des mesures prises. À la stratégie du “je vais faire différemment », on peut objecter un “alors, pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?” 

Or l’élan européen inédit suscité par la crise ukrainienne donne une nouvelle signification à un des piliers de la politique étrangère de Macron : une souveraineté européenne renforcée dans tous les domaines (stratégique, militaire, économique…), une Europe unie.

Le positionnement européen d’Emmanuel Macron à la lumière de la crise ukrainienne est dès lors en parfaite cohérence, tant avec la narration des débuts (lors de sa campagne en 2017) qu’avec son engagement européen tout au long de son mandat. Dans cette Europe en quête d’unité et d’autonomie, Emmanuel Macron est chez lui, il joue à domicile.

Dans son allocution télévisée sur l’Ukraine, le 2 mars, Emmanuel Macron affirmait “entendre » nos « angoisses”, et avoir pour unique “boussole”, notre “protection”. La crainte pousse sans doute l’humain à s’accrocher à ce qu’il connaît déjà… Et donc peut-être, en l’occurrence à Emmanuel Macron ?

La peur, en effet, ne donne pas envie de changer de pilote. Si encore Emmanuel Macron donnait l’impression de naviguer à vue, et faisait montre de désœuvrement face à cette crise, cette stratégie ne fonctionnerait évidemment pas. Mais les situations de crise favorisent immanquablement un dirigeant en poste à une seule condition, c’est qu’il fasse preuve d’une forte capacité de leadership : et c’est exactement l’image qu’offre Emmanuel Macron.

Cette posture est une fois de plus renforcée par ses fonctions au sein de l’Union européenne, et les propos de la présidente de la Commission européenne. Ursula von der Leyen met en exergue les liens positifs qu’elle entretient avec l’Élysée, et laisse entendre que la présidence française du conseil de l’UE en cette période est un salutaire hasard du calendrier pour l’ensemble du continent.

Le Premier ministre, Jean Castex, annonçait, le même jour, la fin du port du masque obligatoire dans la quasi-totalité des lieux et la suspension du passe vaccinal à partir du 14 mars.  Le retour espéré à une forme de “normalité sanitaire” suffira-t-il à contrebalancer le mécontentement des Français quant à la gestion erratique du début de cette pandémie ?

L’évaluation qu’on d’abord faite les français de la gestion pandémique par l’exécutif était en effet très mauvaise au début de la crise sanitaire (souvenons-nous des tergiversations et ratés autour de la question du port du masque). Cette évaluation, encore aujourd’hui, reste certes en demi-teinte. 

Mais un bilan plutôt flatteur (amélioration de la situation sanitaire, couverture vaccinale importante, soutien à l’économie française) fait apparaître la stratégie promue par Emmanuel Macron à partir de 2021, a posteriori, comme la bonne direction. Cette stratégie, c’est celle du “apprenons à vivre avec le Covid-19”.

Un élément supplémentaire qui peut renforcer l’image qu’Emmanuel Macron voulait inspirer dès 2017 : celui du président d’une France appartenant au camp de l’optimisme, une France libérée de ses “passions tristes”, maintes fois fustigées par le président français. 

Aura européenne, stature internationale renforcée, reflux de la pandémie… Cet alignement des planètes pourrait-il dispenser Emmanuel Macron de faire campagne ?

J’espère qu’il ne tombera pas dans cet écueil, et ne pense pas qu’il commette une telle erreur. Il ne peut raisonnablement pas aborder cette campagne électorale, les mains dans les poches, fort de sa stature internationale. Emmanuel Macron doit répondre à plusieurs questions sur le plan national, et notamment réfléchir aux politiques publiques qu’il propose aux Français. Gillets jaunes, Covid-19… Son mandat a été celui de crises continuelles. 

Quelles conclusions en tire-t-il ? En bref, la leçon se résume-t-elle par un “j’avais raison” ou au contraire par un mea culpa, “je dois m’améliorer, j’ai appris de mes erreurs et compte proposer quelque chose de nouveau” ?

Plus Emmanuel Macron communiquera sur des chantiers domestiques fondamentaux tels que la redéfinition du système de protection social français, plus il pourra ensuite les justifier – si réélu – comme des réformes avalisées par le débat démocratique. 

En revanche, plus il fera l’impasse sur ces éléments de politique intérieure, plus il court le risque d’être reconduit à l’Élysée sur un malentendu. Celui d’une France qui l’aurait réélu pour une stature diplomatique rassurante, mais sans connaître, ni approuver, son projet sur le plan national. 

Ce malentendu éclaterait au grand jour, notamment à la faveur d’un apaisement de la crise ukrainienne. Le chef de l’État doit éviter ce malentendu électoral, car oui, il y aura bel et bien un “jour d’après la guerre d’Ukraine. »

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