Trois grands patrons, Denis Kessler (Scor), Augustin de Romanet (ADP) et Claude Tendil (ex-Generali) plaident dans ce texte pour une refonte du système social français. Ils s’expriment comme administrateurs de l’Institut pour l’innovation économique et sociale (2IES):
Un système impraticable et inefficace
« En fin d’année, un sondage BVA pour RTL et Orange nous apprenait que « l’avenir du système social » arrive en tête des préoccupations des citoyens pour la présidentielle. A la racine du « mal » français, le sujet a gagné en vigueur à la faveur du débat sur le projet dit de « Grande sécu ». Il apparaît cependant sous forme de promesses parcellaires, comme si la protection sociale n’était plus qu’une composition hétéroclite, croissant de façon anarchique, au gré des priorités du moment. A l’instar de l’œuvre du Facteur Cheval, notre système social est remarquable par son foisonnement mais largement impraticable. En dépit des ressources qui y sont consacrées, il a perdu son efficacité, est déficitaire, ne répond pas aux risques nouveaux tel le déclassement, et peut mettre en péril notre contrat social.
Les réformes paramétriques n’y suffiront pas. Le temps de la refondation est venu, pour revenir aux sources d’un modèle économique de protection sociale qui soit soutenable, lisible et en phase avec les attentes et les besoins présents et conjecturables des citoyens.
Une nouvelle protection soutenable, lisible et adaptée
Les fondateurs de la Sécurité sociale considéraient que les risques universels, ceux auxquels chacun peut être confronté au cours de son existence sans pouvoir seul y faire face, relèvent de la protection que la Nation doit à ses enfants. Au XXIème siècle comme en 1945, ces risques sont principalement la maladie et la pauvreté. Le mécanisme économique qui permet d’en assurer la garantie est la solidarité: la contribution de tous au malheur de quelques-uns. Il n’y a pas de contrepartie à la solidarité. Elle relève du principe de (re)distributivité. Elle devrait être financée uniquement par l’impôt.
Le principe de la mutualisation
Les autres risques, particuliers car fonction de la situation de chacun, ne relèvent pas de la responsabilité de la collectivité. La mutualisation est la technique qui permet de les garantir dans le respect des choix de vie et des besoins de différenciation et d’autonomie fortement revendiqués par les citoyens. La mutualisation permet d’assurer les autres tout en s’assurant soi-même. Elle relève du principe de commutativité. Il y a une contrepartie aux cotisations versées.
Vers une nouveau schéma
Sur ces fondements inscrits dans la Constitution, il est possible d’esquisser un schéma qui combine solidarité et mutualisation, redistribution (impôts) et commutativité (cotisations sociales), responsabilité de l’Etat, des acteurs économiques et des personnes, aspiration à l’égalité et individualisme croissant. A l’inverse du système actuel qui combine ces mécanismes en fractionnant la solidarité (base + complémentaire pour un même risque) et contrairement aux projets d’étatisation de la protection sociale, nous proposons de distinguer deux univers correspondant aux aléas selon qu’ils sont universels ou non. Lisible, cohérent et frappé au coin du bon sens, il permet à chacun de savoir qui est responsable de quoi, et de mesurer ce qu’il paye et pourquoi. Cela répond à l’exigence de grande clarification d’un système de protection sociale devenu illisible et opaque.
A investissement constant, nous distinguons la protection sociale solidaire (PSS) de la protection sociale mutualisée (PSM)
1-La protection solidaire
La PSS financée par l’impôt (de préférence la CSG déductible) garantit :
– L’accès aux soins hospitaliers pour tous, la prise en charge des soins des personnes en affection de longue durée, handicapées ou très démunies, via la protection universelle maladie (PUMA) que nous connaissons déjà mais dont les contours sont redessinés.
– Le bénéfice de moyens convenables d’existence via la protection universelle risque économique. Celle-ci prend la forme d’une ressource de solidarité accordée à toute personne de 18 ans et plus résidant régulièrement sur le territoire national. D’un montant mensuel à déterminer – disons 600 euros -, majorée pour les retraités ou les personnes en situation de handicap, elle incite à travailler en étant cumulable avec des revenus – à 100% jusqu’au salaire médian puis dégressive jusqu’à environ 3.400 euros par mois. Elle se substitue à toutes les aides et prestations sociales, véritable maquis inextricable.
2-La protection mutualisée
La PSM financée par les cotisations sociales garantit la perte de revenu résultant d’une incapacité ou d’une invalidité, les dépenses de santé ne relevant pas de la solidarité, la retraite, la perte d’activité. La couverture santé est obligatoire, le principe de non-sélection permettant à chacun d’accéder à une protection. La mutualisation de chacun de ces risques peut être opérée au niveau des entreprises ou tout autre périmètre pertinent de façon à couvrir la population la plus large. Les dépenses et cotisations correspondantes doivent être équilibrées pour éviter de reporter sur les générations à venir des charges indues.
Un projet de société pour un quinquennat
Ce projet global de refondation de notre système s’inscrit à rebours des replâtrages par segment ou saupoudrages par catégorie. Il est équilibré car il appréhende les situations nouvelles et améliore celles qui sont aujourd’hui mal traitées. Il est ambitieux, notamment en ce qu’il s’inscrit dans l’histoire de la protection sociale tout en intégrant les changements du monde. Il est politique au sens où il s’appuie autant qu’il met en œuvre des principes et des valeurs qui caractérisent notre société et auxquels nous sommes particulièrement attachés: solidarité, autonomie, responsabilité pour garantir la liberté et la sécurité de chacun. A l’heure de la concurrence des modèles – et où l’on constate que ces valeurs ne sont pas partagées par des pays qui ont l’avantage sur nous – il importe de les réaffirmer, de les redéfinir et de les faire vivre.
C’est une piste. Il en existe certainement d’autres. Saisissons l’élection à venir pour en débattre sans céder à la facilité consistant à simplifier à outrance un sujet qui ne l’est pas. Conjuguons nos forces pour mettre l’avenir du système social pris dans son ensemble au cœur du prochain quinquennat.
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