Histoire d’une notion. En rétorsion à la reconnaissance par Vladimir Poutine des deux républiques autoproclamées par les rebelles prorusses de l’est de l’Ukraine et pour le dissuader d’aller plus loin, Joe Biden menace le président russe de sanctions économiques « comme il n’en a jamais vu ». L’Américain refuse néanmoins toute intervention militaire. Aurait-il dû lancer une mise en garde du type « nous n’excluons rien », laissant dans le flou ce que pourraient être la natures et l’ampleur de la riposte occidentale ?
« La crédibilité est un élément central de la dissuasion, et une menace n’est pas crédible si les moyens sont insuffisants ou si la riposte évoquée est disproportionnée, analyse Olivier Schmitt, directeur des études et de la recherche à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). L’Ukraine n’étant pas membre de l’OTAN, aucun pays de l’alliance n’est prêt à risquer un conflit ouvert avec la Russie. » La dissuasion est un exercice délicat imposant un équilibre entre la certitude des représailles que l’on est prêt à infliger et une forme d’incertitude à même de compliquer l’équation pour l’agresseur.
La crise ukrainienne a fait resurgir cette notion qui connut son apogée pendant la guerre froide. « La dissuasion est fondamentalement un processus psychologique pour convaincre un acteur de renoncer à ce qu’il s’apprête à faire parce que la prise de risque est trop importante par rapport au bénéfice escompté. Mais avec le nucléaire elle est devenue une stratégie avec des plans et des concepts complexes », note Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, ajoutant que « l’idée du nucléaire comme arme de dissuasion ne s’est imposée que très progressivement ».
Equilibre de la terreur
Ainsi les Etats-Unis ont-ils pensé un temps utiliser l’arme atomique lors de la guerre de Corée alors même qu’ils n’en avaient plus le monopole depuis l’explosion de la première bombe A soviétique en août 1949. Tirant les leçons de ce conflit, le secrétaire d’Etat américain John Foster Dulles évoque, dans un discours du 12 janvier 1954, le nécessaire emploi de « la puissance de la dissuasion ».
A partir du milieu des années 1950, les bombes thermonucléaires, infiniment plus redoutables que les bombes A, et le développement de la balistique font prendre conscience à Washington, comme à Moscou, du risque d’un anéantissement mutuel – mutual assured destruction –, dont l’acronyme MAD signifie « fou ».
L’équilibre de la terreur devint dès lors consubstantiel à la guerre froide – « paix impossible, guerre improbable », selon la célèbre formule de Raymond Aron. Les armes nucléaires stratégiques étaient pensées comme des armes d’« empêchement », dans l’objectif de ne pas avoir à les utiliser, mais elles devaient néanmoins pouvoir l’être afin de sanctuariser le territoire et les intérêts vitaux du pays. La doctrine française poussa à l’extrême cette dimension en assimilant la dissuasion au seul champ nucléaire.
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