Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’est distancié, lundi, des propos alarmistes de Washington sur le risque d’une guerre imminente avec la Russie. Ce n’est pas la première fois que le dirigeant ukrainien prend le contre-pied des pays de l’Otan depuis le début de cette crise, tout en réclamant leur soutien militaire. Un exercice d’équilibriste compliqué.
Il a l’air sérieux devant les caméras et la situation ne l’est pas moins. Pourtant, le propos de Volodymyr Zelensky ressemble plus à une boutade. “On nous dit que l’invasion russe va commencer mercredi 16 février. Je déclare donc que ce jour sera celui de l’unité en Ukraine”, a affirmé le président ukrainien, lundi 14 février.
Les Ukrainiens bénéficieront ainsi d’un jour férié ce mercredi, alors que Washington a indiqué détenir des informations suggérant que Moscou risque fort de déclarer la guerre. Volodymyr Zelensky n’a évoqué aucun effort particulier de mobilisation militaire supplémentaire pour faire face à cette menace, appelant simplement ses compatriotes à chanter l’hymne national à 10 h du matin et à hisser le drapeau afin de “montrer au monde notre unité”.
Tout sauf la panique
Une réponse qui peut sembler décalée par rapport aux multiples sonnettes d’alarme tirées par Washington et d’autres capitales occidentales. Ce n’est en tout cas pas la première fois que Volodymyr Zelensky traite avec une certaine ironie la rhétorique alarmiste des États-Unis et des pays de l’Otan en général.
C’est même devenu, depuis le début de la crise avec la Russie, une sorte de marque de fabrique pour le président et ex-humoriste. Fin janvier, il avait demandé au président américain, Joe Biden, de “calmer le message”, alors que le Maison Blanche avertissait déjà sur la possible imminence d’une attaque russe. “On n’est pas à bord du Titanic”, avait-il ajouté, suggérant que l’Ukraine n’avait pas le sentiment d’être au bord du précipice.
Volodymyr Zelensky a aussi demandé, la semaine dernière, aux pays occidentaux de lui “fournir des preuves” que Vladimir Poutine s’apprête à lancer ses chars sur Kiev.
“Il faut bien comprendre que les Ukrainiens vivent avec la menace russe depuis 2014, et qu’ils n’ont aucun respect pour les dirigeants qui céderaient à la panique. Volodymyr Zelensky le sait et se doit d’être calme face à l’adversité”, souligne James Sherr, spécialiste de la Russie et de l’Ukraine, à l’Institut estonien de politique internationale du Centre international pour la défense et la sécurité de Tallinn, contacté par France 24.
Une autre raison derrière la bravade du président ukrainien tient à la situation économique. “Elle s’était améliorée depuis l’arrivée de Zelensky au pouvoir, et la dernière chose qu’il voudrait, c’est qu’un mouvement de panique à cause du risque d’une guerre vienne déstabiliser l’économie. La panique ne servirait que les intérêts russes”, résume Andrew Wilson, spécialiste de l’Ukraine à l’University College de Londres, contacté par France 24.
Sans compter l’inclination personnelle de Volodymyr Zelensky, qui a grandi dans la région russophone du sud-est de l’Ukraine. “Même s’il n’a plus aucune confiance en Vladimir Poutine, il reste imprégné de l’idée que les Russes sont les amis des Ukrainiens et qu’il faudrait une sérieuse provocation pour une guerre entre les deux pays”, note Ryhor Nizhnikau, spécialiste de la politique ukrainienne à l’Institut finlandais des affaires internationales, contacté par France 24.
Entre le marteau russe et l’enclume de l’Otan
Mais le président ukrainien ne se contente pas de minimiser le risque d’un conflit militaire. Il lui arrive aussi de jeter de l’huile sur le feu. Il a multiplié les appels aux pays alliés de l’Otan pour obtenir des armes et a remercié, à plusieurs reprises, Joe Biden et le Premier ministre britannique, Boris Johnson, pour l’envoi de matériel militaire qui permettra à l’Ukraine « de faire face à la menace russe”.
Cette rhétorique à l’humeur changeante de Volodymyr Zelensky “donne l’impression que le président ukrainien tient un discours anxiogène, quand les Ukrainiens ont besoin d’être rassurés, et balaie la menace russe du revers de la main quand il devrait se montrer plus ferme face à Moscou”, regrette Ryhor Nizhnikau.
Mais le président ukrainien n’a guère le choix. “Il doit tout faire pour obtenir un maximum d’aide des pays de l’Otan tout en essayant de ne pas faire monter la pression militaire”, assure Julia Friedrich, spécialiste des questions de sécurité entre la Russie et l’Ukraine au Global Public Policy Institute, un centre de recherche basé à Berlin, contactée par France 24.
L’autre option, parfois évoquée dans les médias, serait pour Volodymyr Zelensky d’opter pour une “finlandisation” de l’Ukraine – c’est-à-dire adopter une posture neutre envers la Russie et l’Otan sur le modèle de la diplomatie finlandaise. Mais “ce n’est pas envisageable, tout simplement parce que c’était l’approche ukrainienne en 2014 lorsque Moscou a lancé l’invasion de la Crimée”, rappelle Andrew Wilson.
Une question de survie politique
L’exercice d’équilibriste du président ukrainien tient aussi à la situation politique interne en Ukraine, et notamment la cote de popularité de Volodymyr Zelensky. Elle a fortement chuté depuis son arrivée au pouvoir en 2019. “Son principal problème est sa survie politique. En Ukraine, il y a ce sentiment que les grandes puissances négocient un accord sur le dos du pays, il ne doit donc pas apparaître comme ayant trop ouvertement choisi un camp, de peur qu’on lui reproche d’avoir valider d’éventuelles concessions pour mettre fin à la crise. Ce serait un arrêt de mort politique pour lui”, résume James Sherr, de l’Institut estonien de politique internationale.
“Il doit aussi commencer à penser à son éventuelle réélection”, assure Ryhor Nizhnikau. L’échéance a beau être lointaine – mars 2024 -, il doit trouver un électorat car “il ne peut plus jouer la carte du nouveau venu dans l’arène politique”, confirme Julia Friedrich. Une quête de voix qui n’est pas aisée : la plupart des créneaux sont déjà occupés, puisque le parti de l’ancien président Petro Porochenko rassemble les Ukrainiens les plus favorables à l’intégration à l’Otan, tandis que plusieurs politiciens tentent déjà de séduire ceux qui veulent se rapprocher de la Russie. “Il reste à Volodymyr Zelensky les électeurs de sa région natale du sud-est qui ne veulent pas d’une intégration à marche forcée à l’Otan, sans pour autant la refuser, et qui considèrent que la Russie est un pays ami même s’ils rejettent les dirigeants russes”, estime Ryhor Nizhnikau.
En d’autres termes, durant cette crise, Volodymyr Zelensky a tout intérêt à cultiver l’ambiguïté à la fois sur la scène internationale et dans l’arène politique nationale. Cela lui a permis de ne pas apparaître comme une marionnette de l’Otan “tout en récupérant un soutien politique et militaire des pays occidentaux”, note Andrew Wilson.
Mais c’est un jeu dangereux car “il peut apparaître comme quelqu’un qui ne sait pas sur quel pied politique danser, ce qui peut lui attirer des reproches de tous les côtés et fragiliser l’exécutif à un moment charnière pour le pays”, conclut Ryhor Nizhnikau.
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