Il ne savait pas, ou il savait au contraire trop bien, l’embarras que la lettre allait créer. Mardi 1er février, Sergueï Garmonine, ambassadeur de Russie en Suisse, est passé en coup de vent à la chancellerie fédérale, à Berne, pour y déposer un message de son patron, le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov. Sous le jargon diplomatique de circonstance, ce dernier exige de connaître la position helvétique dans la crise ukrainienne : Kiev ou Moscou ? Soit précisément le genre de document que le pays déteste recevoir, lui qui défend avec âpreté son statut d’Etat neutre – obtenu au congrès de Vienne en 1815 – au prix de contorsions parfois difficiles à expliquer à ses plus proches voisins et partenaires.
Il existe certes d’autres pays neutres en Europe – Autriche, Suède, Finlande, Irlande, Malte –, mais ils tous sont membres de l’Union européenne, et, à ce titre, tenus à la solidarité avec les positions prises à Bruxelles. Ainsi, après l’annexion de la Crimée en 2014, tous ont suivi les sanctions contre la Russie, alors que la Suisse ne l’a pas fait, se contentant d’appliquer des mesures pour que son territoire « ne soit pas utilisé pour contourner les sanctions européennes ».
La question se repose ces jours-ci avec acuité, alors que le camp occidental évoque des mesures de rétorsion contre Moscou, très dures et immédiates, en cas d’opération militaire russe en Ukraine. La Suisse gèlerait-elle les avoirs des oligarques russes, proches de Poutine, qui ont leurs habitudes dans les Alpes et chez leurs banquiers à Genève ? C’est sans doute pour prendre la température sur ce front que la diplomatie russe a envoyé sa missive, plutôt raide.
« Passager clandestin de l’Europe »
Berne n’a pas encore répondu, mais la gêne est perceptible dans la capitale. « Les lettres font partie des instruments diplomatiques normaux. Lavrov a envoyé la même lettre à différents pays », a minimisé le chef de la diplomatie suisse, Ignazio Cassis, qui est aussi cette année président en exercice de la Confédération.
« On peut supposer que la Suisse adopterait la voie la plus légaliste, à savoir qu’elle suivrait uniquement une résolution contraignante passée par le Conseil de sécurité de l’ONU, explique Jean-Marc Rickli, directeur du programme risques globaux et émergents au Geneva Center for Security Policy (GCSP) et auteur d’une thèse sur la neutralité suisse. Or, vu que la Russie en fait partie, ce n’est évidemment pas aux Nations unies que l’on discuterait de sanctionner la… Russie. Les sanctions seraient prises au niveau européen et aux Etats-Unis, et Berne ne se sentirait pas légalement obligé de les suivre. »
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