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Comment le « convoi de la liberté » des camionneurs canadiens tente de s’exporter en France

Le mouvement canadien Freedom Convoy, mobilisation de camionneurs hostiles à l’obligation vaccinale, a pris d’assaut Ottawa. Et, désormais, s’internationalise. JUSTIN TANG / AP

Le maire d’Ottawa a déclaré, dimanche 6 février, l’état d’urgence dans sa ville, paralysée par l’action de camionneurs hostiles aux mesures sanitaires contre le Covid-19. La capitale fédérale canadienne est paralysée depuis plusieurs jours par le Freedom Convoy (« convoi de la liberté »), une manifestation de camionneurs hostiles à la nouvelle loi sur l’obligation vaccinale. Environ cinq cents poids lourds partis de tout le pays s’étaient rejoints le 29 janvier à Ottawa, bloquant les grands axes et klaxonnant à longueur de journée. Certains arboraient des drapeaux confédérés et nazis.

Le mouvement a fait tache d’huile, avec des manifestations de soutien les 5 et 6 février à Toronto, à Vancouver ou à Québec. Et des velléités d’exporter le mouvement en Europe et au-delà ont émergé ces derniers jours dans les réseaux hostiles à la politique sanitaire. Des initiatives comparables ont été observées à Leeuwarden aux Pays-Bas, à Schwerin en Allemagne, ou encore à Canberra en Australie, tandis qu’un convoi prévoit de déferler sur Bruxelles le 14 février. En passant par une étape stratégique : Paris.

Un convoi qui s’organise pour converger vers Paris

Dès que le Freedom Convoy a fait parler de lui, les opposants à la politique sanitaire du gouvernement français ont salué l’initiative des routiers canadiens, quitte à relayer de fausses informations en exagérant l’importance ou l’impact politique. Ils affirmaient par exemple que le convoi avait contraint à la fuite le premier ministre, Justin Trudeau, alors que celui-ci, atteint du Covid-19, s’était isolé.

Sur les réseaux sociaux français circulent de nombreux appels à instaurer un blocage routier de Paris du vendredi 11 au dimanche 13 février. Un site Internet a été créé pour recenser les routes que pourraient emprunter ces convois pour converger vers la capitale, en partant de Morlaix (Finistère) ou de Nice (Alpes-Maritimes). Pour les plus motivés, l’objectif est d’aller jusqu’à Bruxelles le 14 février, pour y rejoindre les convois venus d’autres pays.

Plusieurs groupes de discussion Facebook et Telegram ont été créés ces deux dernières semaines pour coordonner l’initiative, au niveau national ou local. Le principal, « Le convoi de la liberté », compte plus de 250 000 inscrits, tandis que sur Telegram, plusieurs délégations par pays ont été créées, comme le groupe « Convoy France » avec 23 000 sympathisants ou encore « Tous à Paris ». La chaîne La Meute, hommage au collectif Mamans louves, qui lutte contre la vaccination des enfants, compte entre 100 et 500 suiveurs sur chacune de ses 90 antennes départementales.

Ces groupes mêlent des profils hétérogènes. On y trouve de nombreux « gilets jaunes », des routiers, des restaurateurs, des « insoumis », des militants du Rassemblement national, ainsi que des Anonymous – mouvement international de gauche radicale né lors de la crise des subprimes. Mais aussi des naturopathes, des « coachs en confiance », ou des spécialistes en « vibration » opposés aux vaccins anti-Covid-19 et promoteurs de traitements alternatifs contre l’épidémie (hydroxychloroquine, ivermectine…)

Malgré une apparente volonté de modération, on peut lire dans ces groupes Telegram des propos violents (certains parlent de « sortir les guns ») ou illégaux, avec des offres de faux passes sanitaires.

Une initiative « apolitique » qui attire l’extrême droite

Parmi ces milliers d’anonymes, une figure a émergé : celle de Rémi Monde, coorganisateur et porte-parole du mouvement. Selon sa page Facebook, il se présente comme adepte de groupes de routiers, du professeur Didier Raoult et du documentaire à tendance conspirationniste Hold-up. Estimant que « le peuple de France en a assez », le 30 janvier, il appelle dans une vidéo à une convergence des automobilistes vers Paris, au nom des libertés.

« Il faut que nous nous levions, nous, peuple de France, de tous horizons, parce qu’ils [les gouvernants] vont trop loin et que, si nous ne disons pas stop, ils ne s’arrêteront jamais. »

De nombreux groupes en lien avec la mouvance conspirationniste QAnon, comme « Les DéQodeurs », « QactusPublic », « Qode17info », « Nouvel Ordre mondial » ou encore « Patriotesfrancophones » ont relayé l’initiative.

Elle a aussi reçu le soutien de figures politiques comme Jean-Frédéric Poisson, président de « Via, la voie du peuple » et proche d’Eric Zemmour, du conférencier pro-Raoult Idriss Aberkane ou encore du président des Patriotes, Florian Philippot, qui surfe depuis un an sur la vague des mouvements antirestrictions : « Les résistants français sont à fond avec eux. Il se passe quelque chose d’immense !, » s’est enthousiasmé ce dernier. Cette tentative de récupération n’a pas été du goût de Rémi Monde, qui présente le convoi de la liberté comme « apolitique, appartenant aux citoyens, tout simplement ».

Dans ses messages, M. Monde demande la levée de toutes les restrictions sanitaires, mais ses revendications sont plus vastes : la suspension de toutes les directives européennes, la détaxation partielle de l’essence, l’augmentation des salaires nets, la démission des députés, des sénateurs, des ministres et du président de la République, et l’instauration du référendum d’initiative populaire. Des thématiques qui rappellent celles des gilets jaunes à l’automne 2018.

Entre le Canada et la France, des situations très différentes pour les routiers

Le « convoi de la liberté » français peut-il prendre la même ampleur que son homologue canadien ? Ce n’est pas si évident, car les situations sont différentes dans les deux pays.

Tout d’abord, les restrictions sanitaires qui s’appliquent aux transports routiers ne sont pas les mêmes qu’en Amérique du Nord. Depuis le 15 janvier, les camionneurs canadiens sont, en effet, soumis à l’obligation vaccinale. Du côté français, les règles sont différentes. Ils ont le droit de voyager entre les pays et ils peuvent se restaurer dans les relais routiers sans passe vaccinal. « On nous inclut dans un mouvement qui ne nous concerne donc pas. Ils se servent de l’imaginaire de la puissance d’un convoi pour bloquer je-ne-sais-qui ou je-ne-sais-quoi » , explique Christophe Denizot, secrétaire général de la Fédération Sud-Solidaires des transports routiers, qui se désolidarise de ce mouvement.

Autre différence majeure, relevée par M. Denizot :

« Contrairement au Canada, nous ne sommes pas propriétaires de notre camion, si on participe à ce convoi, on peut se voir retirer notre permis et être viré pour entrave à la liberté de circulation. »

Les organisateurs du convoi français en ont déjà pris acte. Rémi Monde a donc choisi, à l’inverse des manifestations canadiennes, d’ouvrir à tous la possibilité de rejoindre le cortège : « en camion, en voiture, en vélo ou à cheval, il faut réunir le plus de monde possible » et « inonder les réseaux sociaux », annonce-t-il. C’était le cas également aux Pays-Bas avec le convoi parti de La Haye, le 30 janvier. La majorité du mouvement était composée de voitures, de tracteurs ou de motos, accompagnés seulement par quelques camions.

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