Publié le : 27/01/2021 – 07:19
À l’occasion de la journée internationale en la mémoire des victimes de la Shoah, France 24 met en lumière le projet Convoi 77. Depuis plus de six ans, des élèves français et étrangers rédigent les biographies des déportés de ce convoi, le dernier à être parti de Drancy, le 31 juillet 1944. Une autre façon d’enseigner l’histoire de ce génocide.
Fanny Azenstarck avait 23 ans. Elle était résistante à Lyon. Joseph Levy avait 64 ans. Il était bonnetier à Paris. Henriette Korman avait 4 ans. Elle était écolière à Montargis. Henri Netter avait 20 ans. Il était coiffeur à Strasbourg. Tous ont été déportés parce que nés juifs par le Convoi 77, le dernier à être parti de Drancy, en région parisienne, le 31 juillet 1944 vers Auschwitz. Ce jour-là, 1 310 personnes, hommes femmes et enfants, quittent la France dans des wagons à bestiaux en direction de la Pologne. À leur arrivée, 836 sont directement conduits vers les chambres à gaz. Seuls 250 survivront à cet enfer.
Plus de 75 ans plus tard, leurs visages s’affichent désormais sur le site du Convoi 77. Ce projet a été lancé en 2014 par des descendants de déportés. « J’ai décidé de créer cette association afin de réfléchir à la meilleure façon de transmettre autrement l’histoire de la Shoah aux adolescents d’aujourd’hui », explique Georges Mayer, le président de l’association Convoi 77 et lui-même fils de déporté. « Je me suis toujours posé des questions sur la façon dont on en parlait à l’école. Cela a fonctionné pendant un certain temps dans les années 90 et 2000, mais nous sommes arrivés à une inadaptation des méthodes pédagogiques et à une certaine saturation. »
Pour preuve, il cite les derniers sondages réalisés auprès des jeunes. Même si près de 9 Français sur 10 (87 %) âgés entre 15 et 24 ans ont déjà entendu parler de la Shoah, selon un sondage Ifop datant de septembre 2020, un sondé sur cinq indique avoir observé en classe des critiques concernant la place trop importante de l’enseignement de la Shoah par rapport à d’autres périodes historiques.
Pour ne pas laisser le champ libre aux négationnistes et donner un nouveau souffle à cet enseignement alors que les derniers témoins disparaissent, une idée très simple émerge : proposer à des collégiens et à des lycéens de retracer le parcours d’une personne du convoi originaire de leur ville ou y ayant vécu. « On arrête de parler des six millions de morts et des massacres de masse pour faire de la micro histoire et s’intéresser à la vie d’un individu », résume Georges Mayer.
L’association fournit aux enseignants des archives pour démarrer leurs recherches, ainsi que des conseils pédagogiques. « Quand ils commencent à travailler, ils ont déjà des documents à leur disposition, mais cela ne les empêche pas de faire des recherches au niveau local pour trouver des sources supplémentaires », décrit le président de convoi 77.
« Ils réalisent leur propre enquête »
Au fil de l’année scolaire, les collégiens et lycéens se plongent dans le destin de ces vies brisées. Ils rassemblent des informations, récoltent des témoignages tout en développant des connaissances sur le passé de leur ville. Ils confrontent les documents, s’interrogent sur la véracité des sources, se questionnent sur tel ou tel fait. « Ce qui change, c’est que les élèves n’ont pas à subir ce qu’un professeur va leur raconter. Ils sont actifs et réalisent leur propre enquête. Ils construisent eux-mêmes quelque chose », insiste Georges Mayer.
Le résultat est publié sous la forme d’une fiche sur le site de l’association. Près de 230 biographies ont déjà été mises en ligne et presque autant sont en cours d’études. Certains enseignants choisissent aussi de retranscrire ces parcours sous la forme de textes littéraires, de dessins ou même de vidéos.
Très rapidement, le projet a dépassé les simples frontières de la France. Le Convoi 77 était en effet composé de 32 nationalités différentes. En Roumanie, en Algérie, au Maroc ou encore en Grèce, des établissements de 20 pays différents ont rejoint ce combat contre l’oubli. Des travaux peuvent parfois être menés en coopération. « Il peut y avoir une classe polonaise qui va travailler sur la vie d’une personne quand elle vivait là-bas avant d’immigrer, puis une classe française qui va étudier son parcours en France avant sa déportation. Elles réalisent ensemble un travail commun. C’est une belle chose de mettre en relation des jeunes européens autour de ce projet », explique Georges Mayer.
Dans le cadre du projet #Convoi77, une classe du Lycée français de Vilnius a retracé l’histoire de 8 des 1321 déportés du dernier grand convoi parti pour Auschwitz.
Leur travail fait partie des lauréats qui seront mis à l’honneur le 27 janvier à l’Elysée https://t.co/IlUHroHHLq— Fondation Shoah (@Fondation_Shoah) January 8, 2021
« Cela a résonné en lui »
Année après année, des élèves de tous horizons s’attachent à l’histoire de ces 1 310 déportés juifs. Georges Mayer se souvient en particulier d’un jeune réfugié syrien qui a participé au projet avec sa classe de Palaiseau, en banlieue parisienne, et pris part à une pièce de théâtre. « Il a joué le rôle principal, celui du déporté et a même prononcé des phrases en yiddish alors qu’il n’avait jamais entendu parler de la Shoah dans son pays », raconte-t-il. « Il est venu me voir à la fin en me disant combien cela l’avait marqué. Il espérait qu’un jour il pourrait parler de la guerre en Syrie de la même façon qu’il avait pu le faire pour le Convoi 77. Cela a résonné en lui. »
Simone Veil: « Je n’aime pas l’expression devoir de mémoire. Le seul « devoir » c’est d’enseigner et de transmettre ». Les professeur.e.s et les élèves du collège Charles Péguy de @Palaiseau91 l’ont illustré remarquablement avec le spectacle né de leur travail sur #Convoi77 #Shoah pic.twitter.com/t9VJy7c8t4
— Patrick BLOCHE (@pbloche) June 8, 2018
À travers l’histoire des déportés du 31 juillet 1944, la transmission opère. Au rythme actuel, l’ensemble des biographies devraient être rédigées d’ici quatre ou cinq ans. Célestine Ajzykowicz, Isic Fischer, Esther Jaffe, Ignace Natowitz, Regine Roumi, Leopold Stein.Tant de noms du Convoi 77 qui attendent encore qu’on lève un voile sur leur tragique destin. « Nous n’apportons qu’une petite pierre, mais il faut continuer à parler de ces victimes et de leurs histoires. Ils avaient une vie », conclut Georges Mayer.
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