Washington a commencé, lundi, à mobiliser plus de 8 000 troupes tandis que Londres multiplie les mises en garde contre une offensive militaire russe « éclair » en Ukraine. Pourtant, difficile sur le terrain de savoir si Moscou met la dernière touche à une attaque ou si c’est une mise en scène d’une escalade militaire.
Du nouveau à l’Ouest. Du moins, à Londres et Washington. Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a multiplié ces derniers jours les sorties alarmistes concernant les risques d’une guerre en Ukraine. Il a assuré, lundi 24 janvier, que la Russie avait dorénavant amassé suffisamment de troupes à la frontière ukrainienne pour lancer une « offensive éclair ». Durant le week-end, le gouvernement britannique a, en outre, soutenu que Moscou avait un plan pour installer un gouvernement fantoche à Kiev, citant des rapports des services de renseignement.
Washington a également joué le jeu de l’escalade des tensions. Joe Biden, le président américain, a annoncé qu’il mettait 8 500 soldats en état d’alerte, prêts à être déployés vers l’Ukraine si la Russie se décidait à déclencher les hostilités. Il a aussi demandé aux familles du personnel diplomatique américain en poste en Ukraine de revenir aux États-Unis.
Rien de neuf à l’Est ?
Mais d’autres pays ont eu l’air moins alarmistes… à commencer par la France, qui occupe actuellement la présidence tournante du Conseil de l’Union Européenne. « Le Royaume-Uni a adopté un ton très alarmiste… et nous devons faire attention à ne pas créer des prophéties autoréalisatrices », a indiqué un diplomate français qui a préféré gardé l’anonymat, interrogé par le Financial Times.
L’Ukraine n’a pas non plus semblé ravi que Washington demande à une partie de ses ressortissants de quitter le territoire par mesure de sécurité. Kiev a jugé cette décision « prématurée » et « excessive ».
La Russie, quant à elle, a regretté « l’escalade des tensions » dont se seraient rendus coupables les États-Unis en mettant 8 500 soldats en état d’alerte. Moscou assure, de son côté, ne pas vouloir jeter de l’huile sur le feu.
Il est vrai qu’à l’Est, il n’y a pas grand chose de nouveau « depuis le redéploiement des troupes russes vers la frontière ukrainienne au printemps 2021 qui a commencé à inquiéter les pays occidentaux en novembre », rappelle Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics, interrogé par France 24.
Le nombre de soldats estimés à la frontière russo-ukrainienne est resté à peu près stable depuis novembre aux alentours de 100 000 hommes. « Il n’y a pas eu de regain d’activité qui justifierait le ton alarmiste de certains responsables occidentaux », estime cet expert. Ces hommes sont, en outre, généralement stationnés dans des baraquements à plus de cent kilomètres d’une éventuelle ligne de front, rappelle-t-il.
Sauf que Moscou a annoncé, mardi 25 janvier, que 6 000 soldats, soutenus par une soixantaine d’avions, avaient commencé des entraînements en Crimée. Mais là encore, pas de quoi jouer aux va-t-en guerre, assure Jeff Hawn. « Ce ne sont pas des exercices de grande ampleur, et c’est probablement surtout une réponse à l’annonce américaine de mettre les 8 500 soldats en état d’alerte », estime-t-il.
Des exercices militaires de la Crimée à la Biélorussie
Surtout, le front dans la région du Donbass – où les troupes ukrainiennes affrontent des séparatistes soutenus par Moscou – est particulièrement calme en ce moment. Trop justement pour certains analystes qui ont une vision plus sombre de la situation sécuritaire à la frontière. « Si rien ne se passe dans une zone de conflit, c’est qu’il y a quelque chose qui se prépare, et généralement quelque chose d’important », juge Glen Grant, analyste sénior à la Baltic Security Foundation et spécialiste des questions militaires russes et ukrainiennes, contacté par France 24.
« Moscou achemine quotidiennement, actuellement du matériel neuf pour équiper les combattants dans le Donbass », souligne cet expert. Å ses yeux ce n’est « pas suffisant pour assurer une percée dans cette région, mais cela peut servir à fixer une partie des troupes ukrainiennes pendant qu’une offensive est organisée ailleurs », conclut Glen Grant.
Potentiellement depuis la Biélorussie. C’est le long des 1 120 km de frontière entre ce pays allié de la Russie et l’Ukraine que Moscou déploie dorénavant de nouveaux contingents de soldats. « Des troupes venus de Sibérie y arrivent quotidiennement actuellement », précise l’analyste du Baltic Council. De quoi donner des sueurs froides aux habitants de Kiev qui sont bien plus près de la frontière avec la Biélorussie que de celle avec la Russie.
Certes, sur le papier, il s’agit d’exercices communs aux troupes russes et biélorusses qui n’ont pas grand chose à voir avec l’Ukraine. Et « lancer une offensive depuis la Biélorussie signifierait que ce pays accepte également d’entrer en guerre contre l’Ukraine, ce qui n’est pas une décision à prendre à la légère pour le régime d’Alexandre Loukachenko », prévient Jeff Hawn, de la London School of Economics.
Mais entre ce redéploiement des troupes russes en Biélorussie, les exercices militaires en Crimée, « l’arrivée prochaine en mer Noire de bateaux d’assaut amphibie détachés de la flotte russe de la mer Baltique [prévue entre le 1er et le 4 février], et la décision américaine de sanctionner des Russes accusés d’activités de déstablisation en Ukraine il y a un faisceau de signaux qui suggèrent qu’un conflit armé risque d’éclater bientôt », estime Oscar Jonsson, expert des questions militaires russes à la Swedish Defence University, contacté par France 24.
Prix à payer pour Moscou
Pour lui, Moscou ne peut pas avoir décidé de mobiliser « près de 40 % à 50 % des bataillons mécanisés de son armée – c’est-à-dire ces forces d’invasion – simplement dans une posture défensive ». À ce stade, « le statu quo n’est plus une option pour Vladimir Poutine », ajoute Glen Grant.
Moscou paie déjà le prix politique d’une posture militaire perçue comme belliqueuse. Elle renforce le camp antirusse en Ukraine, a poussé l’Occident à accroître son soutien à Kiev et a relancé le débat en Suède et en Finlande sur l’opportunité de rejoindre l’Otan.
Pour Vladimir Poutine, seule une victoire militaire permettrait à la Russie de sortir la tête haute de cette crise, estiment Glen Grant et Oscar Jonsson. « S’il décide de ne rien faire, cela donnera l’impression qu’il a plié face à l’Occident alors que jusqu’à présent, Moscou a toujours fait en sorte de ne jamais céder aux menaces extérieures », rappelle Oscar Jonsson.
Mais est-ce que Moscou peut se permettre d’aller au conflit ? « Des sanctions économiques supplémentaires sont un prix trop important à payer pour la Russie », veut croire Jeff Hawn. Pour ce spécialiste, la Russie souffre déjà économiquement du régime de sanctions internationale, et s’il y en avait encore plus, « ce pays sera réduit à une trop grande dépendance économique par rapport à la Chine, ce qui est incompatible avec le statut d’une puissance de premier plan que Vladimir Poutine veut donner à la Russie ».
Le président aurait tout intérêt à maintenir la menace d’une attaque, ajoute Jeff Hawn. Ce serait diplomatiquement plus payant que de lancer une offensive qui ne ferait qu’isoler politiquement et économiquement la Russie encore plus sur la scène internationale.
« Le 20 février est une date clé pour en savoir plus sur les intentions russes », prédit Glen Grant. Ce sera la fin des Jeux olympiques d’Hiver en Chine et « Moscou ne lancera pas d’offensive pendant cette période afin de ne pas contrarier Pékin », estime-t-il. La fin de cette « trêve olympique » coïncidera, en outre, avec le terme des exercices militaires en Biélorussie. On verra alors ce qu’il adviendra de toutes ses troupes transférées depuis la Sibérie…
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