Une façon de motiver une « équipe vedette » de cadres, à une époque d’ »euphorie économique »: l’ancien président du Medef Ernest-Antoine Seillière a retracé mercredi les origines d’un programme d’intéressement baptisé Solfur, au cœur du procès pour fraude fiscale d’anciens dirigeants de la société d’investissement Wendel.
Treize anciens cadres de Wendel et un ex-avocat fiscaliste sont jugés depuis lundi à Paris, soupçonnés d’avoir sciemment participé en 2007 à un montage financier savamment élaboré visant à tromper le fisc sur plus de 300 millions d’euros de plus-values.
Après d’épineux débats de procédure, le tribunal a entamé mercredi l’examen du fond, avec l’interrogatoire de celui qui était alors président du conseil de surveillance de Wendel, Ernest-Antoine Seillière.
Haute taille, cheveux gris et lunettes sans montures, le baron Seillière, 84 ans, revient à la barre sur son parcours: l’ENA, le corps diplomatique, le cabinet ministériel de Jacques Chaban-Delmas et sa campagne malheureuse pour la présidentielle de 1974.
En 1976, il rejoint Wendel, alors groupe metallurgique presque tricentenaire, contrôlé par sa famille depuis « 10 générations ». La sidérurgie française vient d’être étatisée, il organise alors une « renaissance » de l’entreprise en société d’investissement.
« En 2001, j’ai estimé que la stratégie de Wendel était devenue plus attentiste et j’ai pensé qu’il était de ma responsabilité de rechercher à initier une nouvelle stratégie », dit-il d’une voix forte.
Il recrute Jean-Bernard Lafonta, alors 40 ans, à qui il donne une « carte blanche » pour engager un « sursaut positif du groupe » et choisit, avec lui, « une équipe de jeunes et dynamiques collaborateurs ».
Composée au total d’une « soixantaine de personnes », Wendel était « considérée par la place et par le monde international comme une équipe vedette, pour ne pas dire championne, de l’investissement industriel dans les sociétés d’industrie et de services », assure le prévenu.
Ernest-Antoine Seillière lors d’une assemblée générale des actionnaires de Wendel, le 9 juin 2008 à Paris (AFP/Archives – ERIC PIERMONT)
Les dirigeants décident d’abandonner les traditionnelles stock-options pour proposer aux « managers » un nouvel intéressement: un « co-investissement ». Après un premier programme dans l’équipementier Legrand, ils offrent, en 2004, à une quinzaine de cadres d’acquérir une option d’achat sur environ 4,6% du capital de Wendel.
C’est le « dénouement » de cette opération baptisée Solfur qui, en 2007, génèrera 315 millions d’euros et ce « en totale franchise d’imposition », selon le parquet national financier (PNF), qui représente l’accusation à ce procès.
– « Lapins dans la prairie » –
« Il faut s’arrêter aux chiffres parce qu’ils peuvent apparaître considérables, d’ailleurs ils le sont », déclare à la barre M. Seillière.
« Mais il faut comprendre que nous sommes à cette époque-là dans la même mentalité que des start-up, des +licornes+ », poursuit-il. « Il y a une très forte compétition » pour recruter des cadres, « c’est pour cela que nous avons été ambitieux dans la rémunération des managers ».
Jean-Bernard Lafonta, lors d’une conférence de presse sur les résultats du groupe Wendel, le 27 mars 2007 à Paris (AFP/Archives – ERIC PIERMONT)
A l’époque, la crise financière de 2008 n’est pas encore arrivée. « Nous étions dans une période d’euphorie économique », souligne M. Seillière. « Entre 2004 et 2007, la valeur de l’action Wendel va passer de 40 à 140, c’est à dire plus qu’un triplement ! »
« Qui sont ces +talents+ ? » alors embauchés par Wendel, l’interroge la présidente.
« Eh bien Madame, vous les avez devant vous ! », lance le prévenu, provoquant des rires dans la salle d’audience où sont assis ses coprévenus.
La magistrate l’interroge sur la date d’entrée de tous les cadres, l’un après l’autre, chez Wendel: le baron Seillière se retourne vers la salle, lance des boutades, interpelle ses anciens collaborateurs, une main parfois glissée dans la poche de son costume gris.
« Concrètement, ça consiste en quoi leur métier ? » poursuit la présidente.
« C’est un métier dans lequel vous devez mêler une capacité d’analyse excessivement précise, avec une certaine forme de sens du risque et d’intuition » qui « font, je crois, l’entrepreneur », répond le prévenu, retrouvant des accents de patron des patrons. « C’est un peu comme des lapins qui passent dans la prairie et qu’il faut tirer », dit-il aussi.
En 2006, à 67 ans, il « se retire de l’opérationnel » pour se consacrer à la présidence du syndicat européen des patrons, rappelle la magistrate. Il est cependant l’un des principaux bénéficiaires du programme Solfur (à 25%). « En ce qui vous concerne, ça ressemble presque à un package de départ de la société Wendel ? » demande la présidente.
Le prévenu affirme qu’il n’était pas totalement parti à l’époque, mais acquiesce cependant: « Je pense qu’on a, en effet, reconnu ma participation au groupe, qui valait 50 millions à mon arrivée en 1976, et 5 milliards quand je l’ai quitté ».
Son interrogatoire se poursuit jeudi.
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