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Tunisie : un imposant dispositif policier étouffe les manifestations d’opposants à Kaïs Saïed

Publié le : 14/01/2022 – 21:29

Plus de 1 000 personnes ont bravé l’interdiction de manifester vendredi à Tunis pour protester contre l’accaparement des pouvoirs par le président Kaïs Saïed depuis son coup du 25 juillet 2021. Les rassemblements ont été violemment dispersés par la police, avec l’usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau.

L’obscurité tombe sur l’avenue Bourguiba en cette soirée du 14 janvier, et l’artère principale de la capitale tunisienne revient lentement à la vie. Les cafés rouvrent et quelques piétons se pressent entre les barrières métalliques et les dizaines de fourgons policiers positionnés juste à côté de ce haut-lieu de la révolution tunisienne. 

Dans son palais de Carthage, le président Kaïs Saïed peut souffler : les opposants qui voulaient dénoncer la dérive autocratique de son régime n’ont pas réussi à mobiliser suffisamment de monde pour déborder l’imposant dispositif sécuritaire.  

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Plus d’un millier de manifestants ont été dispersés en milieu d’après-midi par des policiers faisant usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau. 

Tunisie : des manifestants ont bravé un important dispositif policier ainsi qu’une interdiction de manifesté à Tunis pour protester contre le Président qui s’est arrogé les pleins pouvoirs fin juillet et pour marquer les 11 ans de la révolution qui a mené à la chute de Ben Ali. pic.twitter.com/Zk024PsbBD

— Anonyme Citoyen (@AnonymeCitoyen) January 14, 2022

Un petit groupe de manifestants déterminés restaient cependant mobilisés en début de soirée, maintenu à l’écart de l’avenue Bourguiba par un barrage policier.  

« On attendra ici jusqu’à ce que tous nos camarades soient libérés ! », affirme à France 24 Khelil Ezzaouia, le président du parti social-démocrate Ettakatol. Sept manifestants ont été arrêtés ici par la police pendant la manifestation, et l’un d’eux était toujours détenu en fin de journée.  

Khelil Ezzaouia, le président du parti social-démocrate Ettakatol, attend devant un barrage policier la libération de l’un de ses camarades arrêté plus tôt lors de la manifestation du 14 janvier 2022. © Mehdi Chebil, France 24

« On a manifesté pour marquer la symbolique du 14 janvier [jour de la chute de l’ancien dictateur Ben Ali en 2011], une date que Kaïs Saïed veut gommer en réécrivant l’histoire […]. On voulait aussi marquer notre opposition contre sa tendance à un pouvoir personnel, un népotisme, et un autisme déconcertant – le président n’écoute même pas les partis qui le soutiennent », ajoute le responsable politique. 

Interdiction de manifester pour raisons sanitaires

L’ex-ministre des Affaires sociales estime que la mobilisation des opposants a souffert de l’interdiction de tout rassemblement annoncé deux jours auparavant, pour des raisons sanitaires. 

« C’était un prétexte pour empêcher les manifestations du 14 janvier. Regardez dans les cafés, vous verrez des gens en train de fumer le narguilé pendant qu’ils regardent la CAN… Les autorités ont aussi voulu faire peur aux gens avec cet important déploiement policier », explique Khelil Ezzaouia. 

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À quelques centaines de mètres de là, les partisans du parti islamo-conservateur Ennahda se sont eux aussi mobilisés. Les deux groupes n’ont pas manifesté ensemble, Ettakatol rejetant tout retour à l’ancien parlement suspendu par Kaïs Saïed en juillet 2021. 

« Nous étions plus de 3 000 personnes avant que la police ne nous envoie des canons à eaux pour nous empêcher d’avancer. On espérait qu’il y aurait encore plus de monde et qu’on pourrait aller fêter la révolution sur l’avenue Bourguiba », confie à France 24 Sarra Hamdaoui, une militante du parti Ennahda. « Kaïs Saïed est encore pire que Ben Ali. Il a suspendu le parlement, écarté tous les autres partis politiques et aucun dialogue n’est possible avec lui », ajoute la jeune femme, qui a perdu son emploi dans le fret international en raison de la crise du Covid-19.

Sarra Hamdaoui, une militante du parti islamo-conservateur Ennahda ayant participé à la manifestation du 14 janvier 2022 contre Kaïs Saïed. © Mehdi Chebil, France 24

La relative faible mobilisation du 14 janvier n’a pas surpris Romdhane Ben Amor, le porte-parole du Forum Tunisien des Droits économiques et sociaux (FTDES). 

« Cette date est d’abord l’occasion pour les partis politiques de mobiliser leurs militants dans la rue, mais ça n’intéresse pas beaucoup les jeunes », décrypte le militant des droits humains.  

« Le pire en Tunisie est encore à venir »

Un répit qui ne signifie cependant pas que le président Kaïs Saïed soit tiré d’affaires. Plus de 1 000 mouvements sociaux ont agité le pays en décembre, selon le FDTES, tandis que les indicateurs économiques – PIB, chômage, endettement, inflation – continuent à se dégrader. 

« Le pire est encore à venir selon la feuille de route des négociations avec le FMI qui a fuité sur le site iwatch, avec des mesures très impopulaires comme le gel des embauches et des salaires dans la fonction publique », craint Romdhane Ben Amor. 

Ce document estampillé « confidentiel » indique clairement que le gouvernement tunisien est conscient des résistances que pourrait susciter cette cure d’austérité. 

« Cette situation va aller de mal en pis et je crois que des jours sombres nous attendent », affirme à France 24 Saïda Ounissi, députée Ennahda et ex-ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, qui a participé à la manifestation de ce 14 janvier. 

« Nous étions déjà, depuis 2011, dans une situation très compliquée […], mais le pays arrivait quand même à rassurer, à vendre l’idée selon laquelle il fallait être particulièrement patient avec la Tunisie, parce que c’était une démocratie en construction », avance la responsable politique. « Aujourd’hui, cette patience est épuisée de la part de l’ensemble de nos partenaires et de nos créanciers », conclut-elle. 

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