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Au Brésil, les milices de Rio sont un Etat dans l’Etat

Par Bruno Meyerfeld

Publié hier à 17h31, mis à jour à 02h01

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EnquêteLes groupes armés, notamment créés par des policiers au nom de la lutte contre les délinquants, contrôlent la moitié de l’agglomération de Rio de Janeiro. Leur collusion avec les autorités publiques fragilise la démocratie brésilienne.

« J’ai l’impression qu’ils sont là depuis toujours », soupire Laura, une habitante de Campo Grande, dans l’ouest de Rio de Janeiro. La jeune femme, qui préfère ne pas donner sa véritable identité, se souvient qu’au début, « ils » se contentaient de patrouiller dans les rues de son quartier : « Des jeunes hommes ordinaires, qui disaient être là pour assurer notre sécurité. » Avec, toujours, une arme à la ceinture.

Sous ce prétexte, « ils ont d’abord taxé les commerces, avant de prendre le contrôle de tout ce qui génère des revenus », raconte-t-elle : le gaz, l’électricité, les transports, le téléphone, Internet, les ascenseurs… Gare à ceux qui refusent de se soumettre à leurs extorsions. Des voisins disparaissent. Dans les faubourgs de Rio, émergent parfois des cadavres carbonisés et des ossements humains. « Ici, c’est la milice qui commande », assène Laura, lapidaire.

« Milice » : le mot donne des frissons d’un bout à l’autre de Rio de Janeiro. Le terme, utilisé de manière générique au Brésil, renvoie en réalité à une multitude d’organisations criminelles, fondées le plus souvent par des policiers. Au fil des années, celles-ci se sont taillé un véritable empire à l’ombre du Corcovado, menaçant la démocratie à Rio. Voire, à terme, dans tout le Brésil.

Irrésistible montée en puissance

Les chiffres sont vertigineux. D’après une étude de 2020, coordonnée par l’Université fédérale Fluminense (UFF), les milices contrôlent plus de la moitié de l’agglomération de Rio de Janeiro. Sous leur férule vivent 3,6 millions d’habitants – le tiers de la population locale : l’équivalent d’une ville comme Berlin. Pour comprendre cette irrésistible montée en puissance, il faut fouiller les entrailles de Rio, remonter le fil de l’histoire compliquée de sa police, de ses narcotrafiquants et de son urbanisme débridé. La chronique d’un naufrage annoncé.

A la fin des années 1950, Rio est une fête. Le Brésil s’industrialise à toute allure. Edith Piaf, Orson Welles, Marlene Dietrich et Joséphine Baker défilent sur l’Avenida Atlantica et s’enivrent dans les salons dorés du Copacabana Palace. Celle qui sera, jusqu’en 1960, la capitale du Brésil gagne son titre de cidade maravilhosa, la « ville merveilleuse ». Mais le miracle a sa part d’ombre. Par centaines de milliers, les miséreux de l’intérieur du pays s’installent ici pour tenter leur chance. La population urbaine explose. « Par manque de place, tous ces gens n’ont pas eu d’autre choix que de s’installer à la périphérie », explique Bruno Paes Manso, journaliste et chercheur, auteur d’un ouvrage remarqué sur l’histoire des milices, A Republica das milicias (« La république des milices », Todavia, 2020, non traduit).

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