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Espionnage : Washington met la main sur un proche du pouvoir russe

L’homme d’affaires russe Vladislav Klyushin est apparu devant un tribunal amaricain, lundi, pour répondre des accusations de fraude et délits d’initié. Mais ce quadragénaire pourrait détenir des informations très sensibles sur les opérations russes à l’étranger, veulent croire plusieurs médias américains.

L’homme qui s’est présenté devant un juge américain, lundi 3 janvier, serait une “véritable mine d’or” pour le renseignement américain. Christopher Krebs, l’ex-directeur de l’Agence américaine de cybersécurité, interrogé par CNN, s’est réjoui de la capture de Vladislav Klyushin, ajoutant qu’elle représentait un “grand coup”. Ce Russe serait “le proche du pouvoir de plus haut niveau que les États-Unis ont réussi à arrêter depuis très longtemps”, ajoute la chaîne économique Bloomberg.

Pourtant, l’acte d’accusation dressé par le FBI contre le quadragénaire ne laisse guère transparaître l’importance qu’il revêt aux yeux de Washington. Il y est dépeint comme un criminel en col blanc, de haut vol certes, mais sans plus. 

Délits d’initié en série

Vladislav Klyushin, PDG de la société russe de sécurité informatique MT-13, est accusé de fraude, de délits d’initié et d’intrusion illégale dans des systèmes informatiques. Les autorités américaines le soupçonnent d’avoir piraté les serveurs de deux sociétés qui aident des grands groupes cotés à transmettre certains formulaires financiers aux autorités. 

L’homme d’affaires russe et quatre de ses associés auraient ainsi réussi à mettre la main sur les résultats financiers de plusieurs grands noms de Wall Street, comme Tesla ou Snap (créateur du réseau social Snapchat) avant qu’ils ne soient rendus publics. De quoi réaliser, entre 2018 et 2020, une série de délits d’initié qui leur aurait permis de gagner près de 83 millions de dollars en Bourse, d’après le FBI. 

Des montants qui font de son procès une affaire judiciaire de premier plan. Cette arrestation “démontre que le FBI travaille sans relâche à traquer les criminels comme Vladislav Klyushin où qu’ils soient dans le monde”, a affirmé l’agence fédérale.

Mais de là à pousser l’ancien patron de l’Agence américaine de cybersécurité à qualifier Vladislav Klyushin de potentielle “mine d’or” ? De là à charger l’une des stars du FBI, B.J. Kang, de l’enquête ? C’est cet agent qui avait dirigé les investigations qui ont mené à l’arrestation, en 2008, de Bernie Madoff, le financier à l’origine de l’une des plus grandes arnaques de l’histoire américaine, et, un an plus tard, à celle de l’homme d’affaires américain Raj Rajaratnam, surnommé “le roi du délit d’initié”. 

En réalité, Vladislav Klyushin représente un bien plus gros poisson pour les États-Unis et il pourrait permettre à Washington “d’obtenir les détails les plus complets à ce jour sur les opérations russes de cyberespionnage, y compris le piratage des serveurs du Parti démocrate avant l’élection présidentielle américaine de 2016”, affirme Bloomberg.

Proche du maître ès propagande russe

Cet homme d’affaires est, en effet, très bien introduit dans les premiers cercles du pouvoir russe. Il est réputé proche d’Alexeï Gromov, un conseiller de Vladimir Poutine décrit comme l’artisan de la machine à propagande russe

MT-13, la société de Vladislav Klyushin, a conclu de lucratifs contrats avec le Kremlin, le bureau du procureur général, le FSB (l’une des principales agences russes de renseignement), la ville de Moscou ou encore la Garde nationale. 

Ce groupe de sécurité informatique fournit des services très spécifiques comme des tests de pénétration de serveurs informatiques – qui sont des exercices permettant de vérifier si un système informatique présente des vulnérabilités – et des simulations d’attaques informatiques de grande ampleur. 

La société MT-13 a aussi développé le logiciel Katyusha, utilisé depuis 2016 par le pouvoir russe pour surveiller les médias, souligne Meduza, l’un des principaux sites d’information indépendants en langue russe. 

Vladislav Klyushin est aussi suspecté, à titre personnel, d’être l’administrateur de Nesygar, l’un des canaux russophones d’information les plus populaires sur la messagerie Telegram (plus de 330 000 abonnés). Un lien que l’homme d’affaires a toujours vigoureusement nié, allant jusqu’à faire condamner le site d’investigation Proekt qui, en 2018, a été le premier à suggérer que Vladislav Klyushin utilisait Nesygar pour diffuser de la propagande pro-Poutine sur Telegram.

Autant de casquettes et de portes d’entrée qui permettraient au fondateur de MT-13 “d’avoir accès aux informations sur les campagnes secrètes du GRU”, affirme la chaîne Bloomberg, qui assure avoir parlé à plusieurs sources proches du renseignement russe. Le GRU – le principal service de renseignement militaire – est suspecté d’être derrière certaines des opérations russes à l’étranger les plus retentissantes, comme la tentative d’empoisonnement de l’ex-agent double russe Sergueï Skripal au Royaume-Uni en 2018 ou encore les efforts déployés en faveur de Donald Trump durant la campagne présidentielle américaine de 2016.

Bataille autour de l’extradition de Vladislav Klyushin

L’enjeu serait clair pour les Américains : s’ils arrivent à “retourner Vladislav Klyushin, il pourrait confirmer les conclusions des services américains du renseignement sur l’interférence russe durant la campagne présidentielle de 2016”, affirme Christopher Krebs à CNN. De quoi rafraîchir encore un peu plus les relations déjà très tendues entre Moscou et Washington.

>> À lire aussi sur France 24 : Le GRU, l’arme pas si secrète de Poutine

Pas étonnant dans ce contexte que la Russie ait tout fait pour éviter que l’homme d’affaires ne tombe entre les mains des États-Unis. La bataille autour de l’extradition de Vladislav Klyushin démontre toute l’importance qu’il a pour les deux camps. 

Le patron de MT-13 avait, en effet, été arrêté en Suisse en mars 2021, sur demande des Américains, deux heures à peine après son arrivée sur le territoire helvète où il comptait passer deux semaines à faire du ski avec sa femme et ses cinq enfants. 

Quelques jours plus tard, Moscou faisait parvenir aux autorités suisses une demande d’extradition assurant que Vladislav Klyushin était accusé de “fraudes” en Russie. “Une méthode utilisée de plus en plus souvent par les Russes ces dernières années quand d’importants ressortissants nationaux sont poursuivis à l’étranger”, assure Bloomberg.

Problème : les États-Unis avaient soumis leur propre demande d’extradition un jour plus tôt, souligne le Moscow Times.

S’engage alors une bataille diplomatique entre la Russie, les États-Unis et la Suisse autour du sort de Vladislav Klyushin. La question de son extradition aurait même été au menu des négociations lors du sommet de Genève de juin 2021 entre Vladimir Poutine et son homologue américain Joe Biden. Les Russes auraient demandé que l’homme d’affaires leur soit remis, ce qui aurait coupé court aux négociations sur un échange de prisonniers “car Washington ne voulait pas en entendre parler”, assure Bloomberg.

Finalement, les autorités suisses ont remis le précieux prisonnier russe aux Américains, le 18 décembre 2021. 

Même si Vladislav Klyushin refusait de coopérer avec les autorités américaines, c’est un coup dur pour Moscou. Quand “quelqu’un comme lui est arrêté, toutes les opérations dont il avait connaissance doivent être considérées comme compromises”, a assuré à CNN Holden Triplett, un ex-agent du FBI en poste en Russie.

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