Vraie visionnaire ou vendeuse de rêve ? L’Américaine Elizabeth Holmes, un temps couronnée plus jeune « self-made woman » milliardaire du monde, grâce aux promesses de sa startup de tests sanguins Theranos, a connu une chute aussi sensationnelle que son ascension, qui a exposé les limites de la culture de la Silicon Valley.
Lundi, elle a été jugée coupable de fraude par un tribunal de San José en Californie, où les jurés ont passé près de quatre mois à entendre les témoignages de médecins, investisseurs, patients, et aussi le sien.
Ils étaient chargés de déterminer si cette femme de 37 ans a « menti et triché » pour lever des fonds, comme l’assure un procureur ou si elle a simplement « commis des erreurs » et « échoué » à réaliser son rêve, selon les mots de son avocat.
Elizabeth Holmes a longtemps été décrite comme une visionnaire et un nouveau Steve Jobs, une comparaison encouragée par le col roulé noir que, comme le défunt fondateur d’Apple, cette blonde aux grands yeux bleu portait presque invariablement.
Fille d’une assistante parlementaire et d’un ancien directeur chez Enron -un groupe qui a sombré dans un immense scandale de fraude- elle n’a que 19 ans quand elle fonde Theranos, en 2003.
Comme Steve Jobs, elle avait été admise à la prestigieuse université de Stanford, et comme lui, elle abandonne rapidement ses études. Elle choisit d’utiliser l’argent mis de côté par ses parents pour financer le démarrage de sa startup, basée à Palo Alto, au coeur de la Silicon Valley.
– Séduction –
Elle met alors en avant des motivations personnelles: la mort subite d’un oncle chez lequel aucune maladie n’avait auparavant été diagnostiquée.
« Pour moi, rien n’a plus d’importance que ce que les gens traversent quand quelqu’un qu’ils aiment devient vraiment très malade », affirmait-elle dans une vidéo sur le site de Theranos. « Le sentiment d’être impuissant est déchirant et si je peux construire quelque chose qui peut changer cela, c’est ce que je veux faire de ma vie ».
Son entreprise promettait des diagnostics plus rapides et moins chers que ceux des laboratoires traditionnels, grâce à des méthodes présentées comme révolutionnaires, permettant des tests multiples avec une toute petite quantité de sang.
Les investisseurs sont séduits. En 2014, Forbes évalue la fortune de Mme Holmes à 4,5 milliards de dollars et la décrit comme la plus jeune femme milliardaire n’ayant pas hérité de sa fortune.
Jim Mattis, ministre américain de la Défense de 2017 à 2019, arrive au tribunal de San Jose pour témoigner au procès d’Elizabeth Holmes, le 22 septembre 2021 (AFP – Glenn CHAPMAN)
Elle était « intelligente, éloquente, déterminée », a raconté pendant le procès Jim Mattis, un ancien ministre américain de la Défense, qui a fait partie du conseil d’administration de Theranos, comme l’ex-secrétaire d’Etat Henry Kissinger.
Il a aussi assuré qu’aucune machine de Theranos « n’avait jamais été déployée par les militaires sur le terrain », contrairement à ce que prétendait à une époque la patronne, selon le parquet.
Elizabeth Holmes met personnellement les logos de géants pharmaceutiques comme Pfizer sur des documents officiels de Theranos vantant ses produits, sans la permission des entreprises concernées. Et garde le secret sur les divers échecs de ses machines.
Mais en 2015, le Wall Street Journal publie une enquête accablante, malgré les tentatives de la dirigeante d’empêcher sa parution en faisant appel à Rupert Murdoch, le propriétaire du quotidien américain et aussi un investisseur de Theranos.
– « Petite fille » –
Les articles révèlent le manque de fiabilité des technologies de la start-up, qui ne servent que pour une petite partie des plus de 200 tests proposés.
Theranos multiplie alors les démentis. « C’est ce qui arrive quand vous travaillez pour changer les choses. D’abord on pense que vous êtes fou et on vous combat, et soudain vous changez le monde », assène Elizabeth Holmes sur CBNC.
Pendant son procès, elle a continué à tenter de convaincre le jury de sa bonne foi. Elle a aussi évoqué sa relation avec Ramesh « Sunny » Balwani, son ex-directeur des opérations et compagnon.
Elle a notamment expliqué qu’il la contrôlait de près, au travail et à la maison, cherchant à la « façonner » en une nouvelle personne, plus masculine et moins « petite fille ». « Il se mettait très en colère contre moi et ensuite il venait des fois dans notre chambre et me forçait à avoir des relations sexuelles avec lui », a-t-elle déclaré.
Aujourd’hui mariée et maman d’un petit garçon né cet été, son histoire a fasciné les médias américains, car elle incarne une certaine image de la Silicon Valley, où la confiance affichée peut tenir lieu d’innovation.
Mais gare au sexisme, a fait remarquer dans une tribune Ellen Pao, l’ancienne patronne de Reddit. Elle y évoque d’autres patrons, d’Adam Neumann (WeWork) à Travis Kalanick (Uber), qui ont levé des milliards malgré de nombreuses controverses.
« Il y a quelque chose de sexiste à la juger pour divers méfaits tout en ne jugeant pas toutes sortes d’hommes malgré les accusations de méfaits les concernant », a-t-elle écrit.
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