Parmi les nombreux articles réalisés cette année par la rédaction du Monde Afrique, certains ont une résonance toute particulière pour leurs auteurs. Parce qu’ils témoignent d’une actualité marquante ou racontent les évolutions profondes qui traversent le continent. Parce qu’ils bousculent aussi nos certitudes et nous questionnent sur notre métier. En cette fin d’année, nous avons demandé aux journalistes qui le souhaitaient de choisir l’un de ces textes pour le proposer à nouveau à nos lecteurs. Florilège.
« La Tunisie face à la dérive autocratique de son président, Kaïs Saïed », par Frédéric Bobin
Un portrait du président tunisien, Kaïs Saïed, est exposé dans un magasin de photographie à Tunis, le 23 septembre 2021. JIHED ABIDELLAOUI / REUTERS
C’est l’histoire de la fin d’un mythe. Une jolie légende auréolait la Tunisie, « modèle exemplaire » du chantier démocratique dans les pays arabes. Ce petit pays d’Afrique du Nord était gratifié d’une double vertu, célébrée jusqu’à plus soif dans les forums internationaux : il était à la fois le « pionnier » des printemps arabes de 2011 et l’unique « rescapé » de l’automne contre-révolutionnaire qui a suivi dans sa double version djihadiste et prétorienne.
Or voilà que l’icône s’ébrèche. Le 25 juillet 2021, un homme, Kaïs Saïed, élu président deux ans plus tôt, a torpillé l’ouvrage post-2011 en décrétant un régime d’exception. Au nom d’un « peuple » sacralisé dont la voix aurait été confisquée par des institutions parlementaires « corrompues », Kaïs Saïed a mis à bas la démocratie représentative, en attendant d’instaurer une « véritable démocratie » enracinée dans des conseils locaux.
D’où vient cet ovni de la politique tunisienne ? De quoi est-il le nom ? Sa rhétorique sur la démocratie directe n’est-elle que l’habillage d’une restauration de l’autocratie ? L’inquiétude sourd et, à juste titre, chez les démocrates tunisiens.
« En Ethiopie, sur les traces des combats entre rebelles tigréens et forces gouvernementales », par Noé Hochet-Bodin
Un char détruit près du village de Mezezo, en Ethiopie, le 8 décembre 2021. EDUARDO SOTERAS POUR « LE MONDE »
Il est rare d’approcher la guerre civile qui se déroule dans le nord de l’Ethiopie depuis novembre 2020. Le Monde Afrique n’a ainsi jamais pu se rendre dans la province septentrionale du Tigré, où se sont concentrés l’ensemble des combats pendant près de neuf mois. Mais après l’extension du conflit à la région Amhara, la deuxième plus grande du pays, nous avons pu visiter cette province, théâtre durant plusieurs semaines d’affrontements, de massacres et de pillages.
Dans cette guerre à huis clos, parasitée par des campagnes de propagande tous azimuts, rien n’a plus de valeur que le reportage pour se faire l’écho du drame dont sont victimes les populations civiles du nord de l’Ethiopie, au Tigré et en Amhara. Et documenter, autant que possible, des actes déjà qualifiés par les Nations unies de « possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité ».
« Forêt d’Afrique centrale : le pacte vert de Lee White », par Laurence Caramel
Des rangers marchent dans la forêt d’Akanda, au Gabon, en septembre 2019. STEEVE JORDAN / AFP
Les grandes ONG de conservation anglo-saxonnes exercent une influence importante et controversée sur les politiques de protection de la nature en Afrique centrale. Elles disposent de moyens scientifiques et humains souvent supérieurs aux Etats et savent capter les subsides des bailleurs de fonds internationaux, qui voient en elles le moyen de mieux contrôler les financements alloués.
Au Gabon, cette influence s’illustre de la manière la plus aboutie, puisque le ministre de l’environnement et du climat, Lee White, est un scientifique britannique issu de l’ONG Wildlife Conservation Society (WCS). En partant en reportage dans ce pays forestier du bassin du Congo, j’ai eu envie de raconter la trajectoire de cet homme singulier qui a accepté, au nom de ses engagements pour la nature, de lier son destin au régime autoritaire et kleptocrate d’Ali Bongo.
« Afrique du Sud : profitant de la pandémie, des pillards ont désossé les gares », par Mathilde Boussion
La gare de Park Station, à Braamfontein, dans le centre-ville de Johannesburg, en mars 2020. MARCO LONGARI / AFP
Dans le township de Soweto, s’asseoir sur un quai de gare permet de raconter le pays tout entier. Au-dessus des voies, les fils électriques disparaissent, engloutis par les « mangeurs de câbles ». Les voleurs en quête de cuivre ont redoublé d’efforts quand le confinement a mis les trains à l’arrêt. Depuis, le système est paralysé, les dégradations se poursuivent et pour les habitants des townships qui dépendent du rail – les plus modestes –, le quotidien est devenu un enfer.
Le phénomène montre tout à la fois les conséquences inattendues de la pandémie de Covid-19, la criminalité endémique sur fond de chômage de masse, l’inexorable délitement des services publics en Afrique du Sud… Dix mois après l’écriture de ce reportage, la situation ne s’est pas améliorée. Plus de 80 % du réseau de la province de Johannesburg est désormais hors service.
« Au Mali, un dialogue avec les djihadistes sous pression », par Morgane Le Cam
Le président français, Emmanuel Macron, lors d’une conférence de presse conjointe avec le président du Niger, Mohamed Bazoum, au palais de l’Elysée, à Paris, le 9 juillet 2021. STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Faut-il négocier avec des djihadistes ? Jamais cette épineuse question n’a été aussi centrale pour l’avenir du Mali. A la tête d’un pays harassé par dix ans de conflit malgré les multiples interventions militaires internationales, les autorités semblent de plus en plus enclines à s’engager sur la voie du dialogue. C’est d’ailleurs l’un des éléments clés du programme d’action du gouvernement de transition mis en place au lendemain du coup d’Etat de mai 2021.
Seulement, Paris s’est toujours opposé à ces discussions, n’hésitant pas à user de pressions pour faire fléchir Bamako. J’ai voulu comprendre les ressorts de cette confrontation à l’heure où les autorités de transition maliennes affichent de plus en plus clairement leurs velléités d’émancipation vis-à-vis de la France et alors que cette dernière s’apprête à réduire sa présence militaire au Mali avec la reconfiguration de l’opération antiterroriste « Barkhane ».
« “Ce sont les oubliées, les invisibles de la migration” : l’odyssée des femmes africaines vers l’Europe », par Mustapha Kessous
Une femme enceinte secourue au large des Canaries, en novembre 2019. BORJA SUAREZ / REUTERS
Lors d’un reportage en Tunisie sur les harraga, ces personnes qui « brûlent » les frontières pour venir en Europe, l’un d’eux me racontait combien il avait été choqué de voir des femmes risquer leur vie comme lui en traversant sur une petite embarcation la mer Méditerranée. Les chiffres racontent la même histoire : les femmes tentent davantage leur chance que les années précédentes ; elles sont aussi plus nombreuses à rejoindre les Canaries et à mourir en plein océan Atlantique.
L’été dernier, je me suis rendu à Las Palmas pour rencontrer ces migrantes et comprendre pourquoi elles ont « choisi » l’exil. Elles m’ont longuement décrit l’enfer subi tout au long de leur voyage. Les agressions, les attouchements, les viols, les vols, le racisme… Après avoir écouté le récit de leur calvaire et malgré leurs larmes versées pendant les entretiens, j’ai surtout retenu leur soif de vie.
« Prix Nobel alternatif à la Camerounaise Marthe Wandou, féministe “jamais tranquille” », par Sandrine Berthaud-Clair
La féministe camerounaise Marthe Wandou, Prix Nobel alternatif 2021, lors de l’émission « Internationales » sur TV5Monde, le 22 novembre 2021, à Yaoundé. TV5MONDE
Jusqu’à ce jour de décembre où le prix Nobel alternatif lui a été décerné à Stockholm par la fondation Right Livelihood, Marthe Wandou était inconnue des médias et de la plupart de ses compatriotes. Pourtant, le travail quotidien qu’elle accomplit depuis plus de vingt-cinq ans avec son association Aldepa, dans le nord du Cameroun, a un grand impact pour les filles et les femmes de son pays. Un portrait s’imposait.
Quand j’ai rencontré Marthe Wandou à Yaoundé pour l’interviewer, une anecdote lui est revenue : lorsqu’elle était fillette, son père avait décidé de construire un mur d’enceinte autour de leur maison, à Kaélé, une petite bourgade de l’Extrême-Nord. Et comme il rêvait d’avoir une voiture, il avait prévu un large portail pour le moment où il pourrait s’offrir un tel luxe… Durant quinze ans, ses voisins se moquèrent de sa fantaisie, comme ils raillèrent son entêtement à scolariser ses neuf filles. Jusqu’au jour où Christine, l’une des aînées, partie faire ses études à Yaoundé, revint au volant d’une voiture, qu’elle offrit à ses parents. « Mon père, se souvient Marthe Wandou, est allé chercher ma mère et a dit à Christine : “Tu vas nous faire faire le tour de la ville et tout le monde saura que j’avais raison d’envoyer mes filles à l’école !” »
« Burkina Faso : une justice antiterroriste à la peine », par Sophie Douce
Un panneau du ministère de la justice à Ouagadougou, en 2019. OLYMPIA DE MAISMONT / AFP
« A quand la justice ? » Depuis six ans, à chaque nouvelle attaque djihadiste au Burkina Faso, cette même question revient, sans réponse. Les Burkinabés ne cessent de compter leurs morts et le sentiment d’impunité n’a jamais été aussi fort. « Qui sont ces bourreaux qui nous tuent et seront-ils punis un jour ? », me demande-t-on régulièrement lors de mes reportages. Jusqu’en août 2021, aucun terroriste n’avait été condamné dans le pays.
Et pourtant, plus de 900 suspects s’entassent dans les cellules de la prison de haute sécurité, près de Ouagadougou. Il a fallu enquêter pendant près d’un an, gagner la confiance des témoins pour tenter de reconstituer, en quatre épisodes, les maillons de la chaîne de cette justice à la peine. Ses protagonistes : des magistrats trop peu nombreux et sous pression, des familles de détenus toujours dans l’attente d’un jugement, d’anciens prisonniers relâchés dans la nature faute de preuves, des victimes à bout de patience et des accusés sans remords.
« Vingt-sept ans après le génocide au Rwanda, la difficile identification des corps », par Pierre Lepidi
Le Mémorial du génocide de Kigali le 26 mai 2021, avant la visite officielle du premier chef d’Etat français au Rwanda depuis 2010. LUDOVIC MARIN / AFP
Emmanuel Macron devait arriver à Kigali trois jours plus tard pour sceller la réconciliation diplomatique entre la France et le Rwanda. A cette occasion, il devait visiter le Mémorial de Gisozi, à Kigali, où sont enterrés les restes de 250 000 victimes du génocide des Tutsi, qui a plongé le Rwanda dans l’horreur au printemps 1994.
Pour y être allé cinq ou six fois auparavant, je connais bien ce musée dont le parcours se termine par la très émouvante « salle des enfants ». Une dizaine d’immenses portraits de jeunes gens assassinés pendant les massacres y sont affichés, comme celui d’Ariane, 4 ans, « tuée à coups de couteau dans les yeux », ou d’Aurore, 2 ans, « brûlée vive dans la chapelle de Gikondo ».
Encore abasourdi, je décide de prendre un café à l’extérieur avec Paul Rusheka, employé au Mémorial de Gisozi. Pendant plusieurs années, il a pensé avoir retrouvé le corps de son père, tué pendant le génocide et jeté dans une fosse commune, avant de découvrir que ce n’était finalement pas le sien. Une histoire bouleversante, alors que des cadavres continuent d’être exhumés sur les collines du Rwanda.
« Au Cameroun, les Pygmées misent sur l’école pour sauver leurs forêts de la destruction », par Josiane Kouagheu
Des élèves du foyer Notre-Dame de la forêt (Fondaf) de Bipindi, dans la région Sud du Cameroun, jouent au football. JOSIANE KOUAGHEU
C’est l’un de mes plus longs voyages de reportage pour Le Monde Afrique. Des semaines sur les routes, à sillonner une vingtaine de villages et campements, à rencontrer des dizaines de populations autochtones de la forêt et, surtout, ces jeunes garçons et filles « prêts à tout pour sauver [leurs] forêts qui disparaissent », comme me l’a répété Romarick Mabally, premier diplômé de sa famille.
Le Cameroun a perdu en 2020 plus de 100 000 hectares de forêts primaires humides, soit près du double des pertes enregistrées en 2019 du fait, entre autres, de l’agriculture itinérante, de l’exploitation forestière et des grands projets agro-industriels. Comme Romarick Mabally, de nombreux jeunes « Pygmées » (terme que beaucoup jugent péjoratif) sont convaincus qu’il leur faut étudier, devenir médecin, policier, maire… afin d’avoir les moyens, l’autorité et « les armes juridiques », m’a dit Nellie, 16 ans, de protéger leur forêt.
« Dans les mines d’or de RDC, enfants et femmes s’épuisent à trouver “le bon filon” », par Coumba Kane
Un jeune garçon travaille sur le site de la mine d’or de Makala, dans la province congolaise de l’Ituri, en avril 2018. GORAN TOMASEVIC / REUTERS
Ce reportage est né dans le sillage d’une série d’articles sur les violences sexuelles commises dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Dans cette région rongée par l’insécurité, la guerre se fait aussi sur le corps des femmes. Une violence endémique entretenue par la ruée vers les richesses minières – parmi les plus généreuses au monde.
Pour comprendre, je me suis rendue à Kadumwa, une localité située à trois heures de route de Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu. Dans cette mine d’or perchée à 2 000 mètres d’altitude, j’ai constaté le travail quotidien exténuant de jeunes hommes, d’enfants, et le calvaire des femmes qui y vivotent en se prostituant. Et l’impossible traçage de l’or, qui disparaît aux frontières du pays dans des filières illégales, contribuant à nourrir l’insécurité et l’exploitation des femmes et des enfants.
« De Lamu à Nairobi, la saga de la lutte anti-charbon au Kenya », par Marie de Vergès
Un pêcheur de Lamu, au Kenya, en mars 2021. TONY KARUMBA / AFP
Quand on distingue pour la première fois la silhouette du port de Lamu, avec ses vieilles maisons swahilies bordées par les eaux tièdes de l’océan Indien, on peine à imaginer que ce lieu hors du temps vit émerger l’une des luttes environnementales les plus emblématiques du continent africain. L’une des plus actuelles aussi, dans un contexte mondial de remise en cause des énergies fossiles. C’est pourtant bien ici, dans ce petit coin de paradis de l’est du Kenya, qu’une poignée de militants, déterminés à protéger leur mode de vie et l’écosystème fragile de leur archipel, se sont efforcés d’empêcher la construction d’une gigantesque centrale à charbon.
En cette année marquée par l’organisation de la COP26, je suis allée à la rencontre de ces militants qui ont réussi à faire triompher leur cause, avec le relais d’organisations basées à Nairobi et à l’étranger. Une façon de raconter comment l’Afrique, qui subit de façon disproportionnée les conséquences du dérèglement climatique, voit aussi se structurer une nouvelle génération de défenseurs de l’environnement, bien décidée à faire entendre sa voix.
« Au Soudan, la ville de Bahri pleure ses martyrs », par Eliott Brachet
Une jeune Soudanaise tient le portrait d’une manifestante tuée, à Bahri, le 25 novembre 2021. AFP
Au Soudan, la révolution a un rythme. Les jours de manifestations ne sont pas décidés au hasard. Ils commémorent des jours de lutte contre les quatre pouvoirs militaires qui se sont succédé depuis l’indépendance. Ces dates sont tracées sur les murs. Indélébiles. Comme le 3 juin 2019, lorsque les mêmes miliciens aux ordres des mêmes militaires ont assassiné une centaine de manifestants pacifiques, le 17 novembre marquera désormais le calendrier révolutionnaire. Cette journée fut la plus meurtrière depuis le coup d’Etat du général Abdel Fattah Al-Bourhane.
Dans les cortèges de manifestants opposés à la junte, les visages des martyrs sont imprimés sur des drapeaux blancs. Ceux de Khartoum, Bahri, Oumdurman ou des grandes villes ont un nom. D’autres restent anonymes. Le 17 novembre, alors que toutes les communications étaient coupées, un autre massacre se déroulait à Jebel Moon, au Darfour, dans l’indifférence.
« A Dakar, dans le Studio des vanités du photographe Omar Victor Diop », par Olivier Herviaux
Omar Victor Diop, chez lui, à Dakar, au Studio des vanités, le 3 mars 2021. OLIVIER HERVIAUX
Avec sa nouvelle série photographique « Allegoria », présentée à la foire internationale Paris Photo en novembre, le jeune artiste sénégalais Omar Victor Diop, très prisé des collectionneurs, débute un nouveau chapitre de son travail. Il se saisit de la question fondamentale de l’environnement et de sa portée sur le continent africain.
Ses œuvres présentent l’allégorie d’une humanité soucieuse d’une nature qui pourrait n’être plus qu’un souvenir des manuels d’histoire naturelle. L’artiste, qui se met en scène entouré de plantes, d’oiseaux, de poissons ou de mammifères, crée un jardin symbolique d’une beauté troublante. C’est chez lui, à Dakar, dans son Studio des vanités, qu’il m’a donné rendez-vous au mois de mars.
L’article L’année 2021 vue à travers les yeux des journalistes du « Monde Afrique » est apparu en premier sur zimo news.