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Au Kurdistan irakien, les rêves d’ailleurs d’une jeunesse désespérée

Par Ghazal Golshiri

Publié aujourd’hui à 04h44, mis à jour à 06h53

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FactuelSans avenir, les candidats à l’exil quittent en nombre cette région autonome située dans le nord-est de l’Irak et tentent de gagner l’Europe, souvent au péril de leur vie.

Sur le profil Instagram de Muhammed Fatah Muhammed, une phrase est écrite en anglais : « Des jours meilleurs vont arriver. » Loin, sans doute, du centre-ville de Halabja, ville kurde dans le nord-est de l’Irak, où ce jeune homme de 23 ans au regard doux, le visage fin et barbu, travaille dans un petit restaurant. « De 5 heures du matin jusqu’à 15 h 30, précise-t-il. Et, au mieux, je gagne 6 euros par jour. » Aujourd’hui, comme de nombreux autres jeunes, Muhammed n’a qu’un rêve : quitter le Kurdistan d’Irak pour l’Europe, où vit déjà « une centaine » de ses amis et connaissances. Chaque jour, d’autres continuent de partir, souvent au péril de leur vie. Des milliers de migrants bloqués à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne étaient originaires de cette même région autonome du nord de l’Irak. Le 26 décembre encore, les corps de seize migrants kurdes, noyés dans la Manche un mois plus tôt, alors qu’ils cherchaient à joindre l’Angleterre, ont été rapatriés à Erbil.

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Parmi les amis de Muhammed, beaucoup ont emprunté les routes de l’exil. « Au Royaume-Uni, il y en a un qui travaille aujourd’hui comme coiffeur. Il a réussi à acheter une maison pour ses parents ici à Halabja. Il a aussi payé pour le mariage de son frère. Je voudrais faire pareil ! », glisse le jeune Kurde.

Muhammed sait pourtant à quel point le chemin est semé d’embûches. En 2016, un bateau de migrants traversant la mer pour arriver en Italie depuis la Grèce a coulé, tuant dix-neuf membres de sa famille, du côté de sa mère. « Seule la tante de ma mère est restée en vie. Elle est partie ensuite aux Pays-Bas avant de retourner ici, où elle est morte il y a peu de temps », explique le jeune homme. En 2018 déjà, lui-même a tenté sa chance. Quarante jours de route, 4 300 dollars dépensés (3 800 euros) de ses économies pour payer les passeurs, plusieurs pays traversés et une mer franchie, avant qu’il ne se retrouve enfin à Thessalonique, en Grèce.

A Halabja, en Irak, le 15 décembre 2021, Muhammed Fatah Muhammed montre des photos d’un ami qui a réussi à rejoindre l’Angleterre. Beaucoup de ses amis sont parvenus à s’installer en Europe. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE » Muhammed Fatah Muhammed devant la tombe de membres de sa famille dans le cimetière du massacre de Halabja, en Irak, le 15 décembre 2021. Il rêve de tenter sa chance en Europe. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »

A trois reprises, Muhammed a ensuite tenté une nouvelle traversée pour l’Italie. La dernière fois, dit-il, la police l’a arrêté après l’avoir tabassé. Le jeune Kurde a alors décidé de faire demi-tour. « Mais je vais refaire le même chemin, peut-être d’ici au printemps. Je veux aller dans n’importe quel pays, pour me débarrasser du Kurdistan, me sauver d’ici. La vie est dure. Il n’y a pas de boulot. Je vendrai la voiture que je viens d’acheter », assure-t-il.

Crise sans issue

Selon les chiffres de l’Organisation des Nations unies (ONU), le taux de chômage, pour les Kurdes âgés de 15 à 29 ans, est de 24 % pour les hommes et de 69 % pour les femmes. Dans cette région, la croissance économique est loin de suivre le rythme de la croissance démographique. Chaque année, pour absorber l’arrivée de jeunes sur le marché du travail, il faudrait quelque 50 000 emplois nouveaux dans la région, estime l’ONU.

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