Sous l’œil discret de la caméra de la réalisatrice Marie Amiguet, le photographe animalier Vincent Munier a arpenté les hauts plateaux du Tibet en compagnie de l’écrivain Sylvain Tesson à l’affût d’un animal mythique : la panthère des neiges. Le film documentaire, sorti en salles le 15 décembre 2021, offre au spectateur des images époustouflantes et l’invite à la réflexion sur notre modèle consumériste effréné. Le photographe se livre en toute humilité pour 30millionsdamis.fr.
30millionsdamis.fr : Vous êtes connu pour être un vrai loup solitaire. Comment est né le projet de cette expédition au Tibet aux côtés de l’écrivain voyageur Sylvain Tesson ?
VINCENT MUNIER. J’avais envie de terminer mes expéditions au Tibet par un livre et un film, en mariant la poésie du sauvage avec cet échange incarné par Sylvain qui amène hauteur et réflexion. Les spectateurs se mettent à sa place en tant que novice. Avec Marie (Amiguet, ndlr) pour nous filmer, il y avait là une complémentarité de talents. C’est sûr que ça change de mes voyages en solitaire, mais je me suis conditionné et cela s’est magnifiquement passé.
Apôtre de la patience et de l’humilité face à la nature, Vincent Munier nous partage sa passion de la vie sauvage à travers un film émouvant et époustouflant. /©V. Munier
Que vous a apporté le regard de Sylvain Tesson ?
Il m’a déjà fait un énorme cadeau en disant oui ! Il a apporté son talent d’écrivain pour mettre en avant l’idée de préserver cette nature sauvage. Il m’a subjugué par sa volonté, car il a subi des choses incroyables dans des conditions très difficiles comme les températures glaciales. Il m’a ébloui. Même si nous ne sommes pas du même univers, moi étant un Vosgien ayant grandi dans la forêt et lui davantage un citadin, nous avons tellement de points communs. Que ce soit ce besoin de liberté, cette faim des grands espaces et cette nécessité d’échapper à notre zone de confort et ce « soi-disant » progrès.
Vous avez voyagé plusieurs fois au Tibet, que représente ce lieu pour vous ?
La panthère des neiges symbolise un milieu incroyable qu’est le toit du monde.
Vincent Munier
J’aime ces grandes terres hostiles où l’humain est quasiment absent. Je suis toujours épaté par l’adaptation de ces animaux dans des conditions si sévères. C’est aussi un lieu méconnu. Nous avons beaucoup de reportages sur le continent africain mais très peu sur le Tibet. J’ai aussi été animé par les récits comme ceux de Fritz Pölking (célèbre photographe animalier allemand décédé en 2007, ndlr). Le Tibet, c’est aussi le Yack sauvage, cet animal fabuleux.
Pourquoi la panthère des neiges fascine-t-elle autant les photographes animaliers ?
Elle représente le graal des naturalistes parce qu’elle n’a été photographiée que très tard, dans les années 70. Il s’agit d’un gros félin qui a le pouvoir de se fondre dans la roche. On en parle mais on ne la voit jamais. C’est un animal qui symbolise un milieu incroyable qu’est le toit du monde. Cette capacité qu’elle a à nous regarder sans être vue, c’est magnifique. Mais elle était finalement un prétexte.
C’est-à-dire ?
Le but de notre voyage était aussi de découvrir d’autres espèces incroyables comme le renard du Tibet ou l’ours brun du Tibet. C’était la première fois que je voyais ce dernier. C’était magnifique. Cela montre à quel point nous ne sommes pas les maîtres des lieux là-haut. Se confronter à ces animaux qui sont là depuis des temps immémoriaux, je trouve cela fabuleux. J’admire tout autant le loup, le lynx, ces super-prédateurs qui nous entourent. Ce film est un hommage pour eux. L’être humain, lui-même, en était un avant de devenir un super-destructeur.
A quel point vos aventures démontrent l’influence nocive de l’humain sur la nature ?
Pour moi, la photo est un prétexte pour apprendre à connaître les animaux pour mieux les respecter.
Je ne l’ai vu que trop souvent. En Arctique, on le note avec la migration de tous ces animaux. Ce n’est pas nouveau, mais l’érosion de cette biodiversité s’accélère. Rien que chez moi, dans les Vosges, le lynx est braconné. C’est cela qui m’affecte. Je suis un homme blessé car je suis un amoureux inconditionnel de ces êtres vivants. Je les vois se réduire à peau de chagrin. L’homme ne les respecte pas. Il n’y a pas besoin de voyager loin pour l’observer. Chez nous, l’intensification de l’usage des sols, la culture intensive, nos forêts qui se transforment en champs de maïs, c’est navrant. Il y a les beaux discours mais jamais on ne fait passer la vie avant les chiffres. L’homme est toujours au centre. On ne se rend pas compte que les animaux sont indispensables. Sur les grands prédateurs, c’est malheureusement très révélateur. Il n’y a plus du tout d’harmonie. Cela provoque des déséquilibres profonds et finalement, on peut le dire, ce virus qui nous tombe dessus. On se tire une balle dans le pied en agissant ainsi.
On vous reproche parfois de ne montrer que le « beau » dans vos photographies. Que répondez-vous ?
Oui, c’est vrai ! Mais c’est ce qui m’anime. C’est ce qui me donne le sourire. Je me nourris de la beauté de la nature et j’ai envie de le partager. Il y en a qui font du photojournalisme et je trouve cela génial car c’est engagé. Je l’ai moi-même pratiqué lors de la marée noire de l’Erika ou l’ensablement du fleuve Niger. Mais maintenant, je me sens trop fragile et vulnérable. Je me considère comme un grand rêveur, un contemplatif. J’ai besoin de ça.
Vous espérez que ce film ne donnera pas envie aux gens d’aller voir la panthère des neiges. Quel regard portez-vous sur la démocratisation de la photographie animalière ?
Notre rapport au vivant est essentiel !
C’est paradoxal mais j’avoue avoir une crainte de voir cette photographie animalière grandir et devenir de plus en plus consumériste. Aujourd’hui, de nombreuses personnes s’achètent le matériel dernier cri pour voir un ours polaire ou un loup blanc en très peu de temps. Cela m’attriste profondément car il doit y avoir toute une démarche derrière. Cela ne doit pas être de la photo pour de la photo. Chez moi, c’est une excuse pour évoluer dans ce milieu, prendre mon temps, apprendre à connaître les animaux pour mieux les respecter. Il faut être un peu naturaliste, et pas juste un photographe pour avoir des « likes » sur son compte Instagram.
C’est l’un des messages de ce film ?
Oui, nous avons une responsabilité. Le Tibet, c’est un travail d’une dizaine d’années ; je n’y suis pas allé tant que ça. Tout s’est fait progressivement. Quand je vois des gens payer pour faire des images… On en est là. J’ai vu des paquebots déverser des tonnes de touristes pour aller photographier des manchots. C’est terrible. Dans notre film, la panthère est un prétexte.
Qu’espérez-vous provoquer chez les spectateurs ?
Je pense qu’il y a un acte militant dans ce film. On ressort touché par toute cette beauté et cette fragilité. Les mots forts de Sylvain Tesson contribuent fortement à cela. Nous espérons donner des outils pour pousser à ralentir : il y a bien plus important qu’être un simple consommateur. Je crois que nous avons besoin de revoir notre copie, notamment sur notre manière de voyager et de consommer. Moi-même, je ressens un profond sentiment de culpabilité quand je prends l’avion. J’évolue. Il faut être plus sobre. Notre rapport au vivant est essentiel. Protéger le peu de biodiversité qu’il reste près de chez nous est devenu urgent.
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