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Evasion fiscale : la firme montréalaise Blue Bridge sommée de collaborer avec la France

Cette fois, la firme montréalaise spécialisée dans la gestion de fortune Blue Bridge n’a plus le choix : jeudi 16 décembre, la Cour suprême du Canada a mis fin à près de six années de contestation judiciaire, en refusant d’entendre son appel déposé pour tenter d’infirmer les jugements antérieurs. Dès le lendemain, le magazine Capital affirmait que l’entreprise, propriété d’un ancien banquier suisse installé au Québec, Alain E. Roch, « remettrait aux autorités fiscales canadiennes le complément d’information demandé par la France visant 14 trusts ».

Cette décision de la Cour suprême canadienne intervient trois jours après que Libération a révélé que quelques dizaines de grandes fortunes françaises, notamment les familles Seydoux, Schlumberger et Guerrand-Hermès avaient bénéficié, pendant plus d’une décennie, de ces « trusts » canadiens opaques, leur permettant de réduire leur facture fiscale, et d’échapper notamment à l’impôt sur la fortune.

Selon Libération, Blue Bridge aurait permis à ces riches clients hexagonaux de mettre près de quatre milliards d’euros à l’abri. Une série d’articles qui a provoqué « l’indignation » du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, lequel, en réponse à une question du député LFI François Ruffin, a affirmé, mardi 14 décembre à l’Assemblée nationale : « Nous avons lancé toutes les procédures depuis plusieurs années pour obtenir les informations de la part des autorités canadiennes. » Il a ajouté que le gouvernement était « mobilisé » pour lutter contre « la fraude ou contre l’évasion fiscale ».

Base de repli

Dès 2012, en vertu de la convention franco-canadienne sur l’échange de renseignements fiscaux, Bercy s’est en effet rapproché de l’Agence de revenu du Canada (le service des impôts national), pour tenter d’obtenir des informations précises au sujet des clients de la firme Blue Bridge. Une information judiciaire a également été ouverte en 2019 par le parquet national financier pour « fraude fiscale aggravée », « complicité de fraude fiscale », « blanchiment aggravé » et « association de malfaiteurs ». Ces clients français étaient soupçonnés d’avoir transféré au Québec de l’argent auparavant hébergé aux Bermudes, un paradis fiscal avec lequel la France a signé en 2009 un accord afin qu’il lève une partie de son secret bancaire.

La société de gestion de patrimoine montréalaise aurait bénéficié d’une grande mansuétude de la part de l’Autorité des marchés financiers du Québec

La Belle Province aurait donc servi de base de repli plus sûre pour ces fortunes françaises soucieuses d’échapper à l’impôt. Et Blue Bridge, créé en 2002 à Montréal, aurait été le bras armé de cette grande évasion. Avec deux atouts de taille. D’abord, une faille dans la convention fiscale qui lie la France et le Canada, dans laquelle elle se serait engouffrée, pour le plus grand bénéfice de ses clients. « Les investisseurs étrangers peuvent bénéficier des avantages fiscaux des fiducies [trusts] de revenus, à condition de ne posséder aucun actif au Canada », explique Alain Deneault, philosophe et auteur du livre Paradis fiscaux : la filière canadienne (éditions Ecosociété, 2014). « On n’est pas un supermarché fiscal comme les Bahamas ou d’autres, mais on a nos spécialités, et chaque pays a les siennes », a-t-il confié au journal numérique québécois La Presse.

Ensuite, la société de gestion de patrimoine montréalaise aurait bénéficié d’une grande mansuétude de la part de l’Autorité des marchés financiers du Québec (AMFQ). Quoique alertée des demandes françaises, et après enquête, l’AMFQ s’est contentée, en 2018, d’infliger une amende de 180 000 dollars canadiens (environ 125 000 euros, au cours actuel) à Blue Bridge pour avoir exercé son activité « sans détenir les autorisations requises en vertu de la loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne ». « Tout le monde ici me dit qu’on aurait pu contester l’amende et on aurait gagné », se gargarisait à l’époque Alain E. Roch dans Le Journal de Montréal, précisant qu’il s’était plutôt fait dérouler le « tapis rouge » pour enregistrer sa « trust company » au Québec.

Multiplication des recours

Blue Bridge Inc., qui a pignon sur rue dans le centre-ville de Montréal, a longtemps cru pouvoir échapper aux injonctions françaises. A partir de 2016, elle a multiplié les recours auprès des différents tribunaux canadiens afin d’éviter d’avoir à transmettre les informations à Bercy. Les avocats de Blue Bridge ont plaidé que les lois canadiennes les obligeaient au secret. « Il est impossible de transmettre l’information demandée par Bercy (…) sans enfreindre les dispositions des lois d’ordre public régissant la protection des renseignements personnels », argumentait Blue Bridge en 2016 dans un litige devant la Cour supérieure.

La firme assurait également qu’il n’y avait pas d’impôt sur la fortune au Canada, contrairement à la France (jusqu’à sa transformation en 2018 en impôts sur la fortune immobilière). Mais en 2020, la Cour fédérale a donné raison à Ottawa, qui réclamait ces informations pour la France. Un jugement donc définitivement confirmé par la Cour suprême, qui clôt le bras de fer.

La firme Blue Bridge était apparue dans l’actualité canadienne lors du scandale des Panama Papers, en 2016 ; à l’époque, Radio-Canada et le quotidien Toronto Star avaient identifié le président de Blue Bridge, Alain E. Roch, et l’un de ses associés, l’avocat Jules Brossard, comme faisant partie des principaux intermédiaires canadiens avec le cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca.

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