Après des mois de tension, d’escalade rhétorique et de menace de blocus, le dossier de la pêche entre la France et le Royaume-Uni est-il sur le point de déborder ? Vendredi 10 décembre, la date butoir, auto-imposée par la France, est passée.
Le gouvernement avait demandé aux Britanniques de résoudre le problème de la centaine de licences de pêche en suspens. Ces derniers ne se sont pas exécutés. Ils refusent de reconnaître cette date de vendredi, qui n’a, effectivement, aucune valeur légale. « On ne va pas donner des licences parce qu’on essaie de nous intimider, c’est une question de principe », rétorque un haut responsable britannique. Celui-ci en veut à Paris d’avoir menacé de couper l’électricité de l’île de Jersey, un geste estimé complètement disproportionné – et dont le gouvernement français ne parle plus.
Haute valeur symbolique
Et maintenant ? Paris va-t-il se lancer dans la voie d’un contentieux officiel ? Le gouvernement devait se laisser le temps de la réflexion au cours du week-end pour savoir quelle réponse adopter. Plusieurs scénarios étaient envisagés, du plus sombre au plus optimiste. Si le Royaume-Uni devait camper sur sa position dure, la France pourrait demander à la Commission européenne « d’annoncer qu’un contentieux est engagé », pour reprendre les termes du secrétaire d’Etat aux affaires européennes, Clément Beaune. En revanche, un « geste fort » – de l’ordre d’une soixantaine de licences accordées aux pêcheurs français, ainsi qu’un assouplissement des critères imposés par les Britanniques – serait de nature à dégonfler la crise, estime-t-on à Paris.
La position française doit être arrêtée entre Clément Beaune et le premier ministre, Jean Castex, qui se situe, à en croire un bon connaisseur du dossier, « sur une ligne de fermeté » avec le Royaume-Uni. Mais Emmanuel Macron regarde également de près ce sujet à haute valeur symbolique, à quatre mois de l’élection présidentielle. « J’ai terriblement envie d’avoir un gouvernement [britannique] qui souhaite travailler simplement de bonne foi avec nous », a déclaré le chef de l’Etat jeudi. « Nous ne lâcherons pas nos pêcheurs », avait-il assuré, le 19 novembre, promettant de les recevoir avant Noël.
Pour le locataire de l’Elysée, ardent promoteur de l’intégration européenne, il en va de la crédibilité des institutions communautaires, mises au défi par le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne. « Le visage du Brexit, ce sera celui du pêcheur », a coutume de répéter Clément Beaune.
Ambivalences
Sur le fond, la marge de manœuvre de la France risque cependant d’être limitée. Le gouvernement ne peut pas s’engager seul dans un contentieux légal. Officiellement, les dossiers de pêche sont déposés par la Commission européenne, et c’est donc à elle d’engager d’éventuelles mesures de rétorsion, pas à Paris.
Or, Bruxelles n’a aucune envie de se lancer dans l’escalade sur ce sujet. La Commission a passé la journée de vendredi à tenter de désamorcer la bombe. Sa porte-parole refusait de parler de vendredi comme d’une date butoir.
Vu de Bruxelles, le dossier est avant tout symbolique. « 95 % des licences demandées ont obtenu une réponse positive », note la porte-parole de la Commission. De plus, le bras de fer entre Londres et Paris, qui portait initialement sur près de 200 bateaux, n’en concerne plus que 104, selon le ministère de la mer. Guernesey a récemment attribué quarante-trois licences, et Jersey en a donné neuf.
Le désaccord vient des ambivalences laissées dans l’accord du Brexit. Les bateaux capables de prouver qu’ils allaient dans les eaux britanniques entre 2012 et 2016 peuvent bénéficier d’une licence. Mais les preuves qu’il faut apporter n’ont pas été définies clairement. Pour les plus petits navires, de moins de douze mètres, qui n’ont pas de données GPS, elles sont parfois difficiles à fournir. Le problème concerne aussi les pêcheurs qui ont changé de bateau, qui ne sont pas automatiquement reconnus.
Ces discussions, qui auraient pu rester techniques, sont devenues un symbole politique. Au risque de franchir un cap de plus ce week-end ?
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