La junte birmane a condamné lundi la dirigeante Aung San Suu Kyi à quatre ans de prison, ensuite ramené à deux années. Une sanction bien loin d’ébranler les mouvements de résistance au pouvoir militaire.
Icône de l’opposition aux militaires en Birmanie, l’ex-dirigeante Aung San Suu Kyi a été condamnée, lundi 7 décembre, à deux ans de prison pour incitation aux troubles publics et violation des règles sanitaires. L’opportunité, espère la junte, de mettre à mal son parti politique, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et d’étouffer le sentiment antimilitaire qui prévaut de nouveau depuis le coup d’État du 1er février.
Mais quelques heures seulement après la condamnation de la lauréate du prix Nobel de la paix, des manifestants sont descendus dans les rues de Rangoun et dans tout le pays, brandissant banderoles et slogans pour dénoncer le régime militaire.
Nombre de manifestants ont levé trois doigts en signe de protestation, symbole de résistance d’une jeunesse birmane imprégnée des idéaux démocratiques qui s’est répandu à l’échelle du pays. « Nous ne manifestons pas contre l’arrestation ou l’emprisonnement d’Aung San Suu Kyi », a déclaré à France 24 Kyaw Win, directeur exécutif du Burma Human Rights Network. « Nous manifestons pour le peuple. Chaque jour, des gens sacrifient leur vie pour leur pays et pour le changement. »
Fer de lance de ces mouvements, les jeunes générations ont connu la démocratie, contrairement à leurs aînés soumis à la culture de la peur sous le régime militaire. « Les jeunes étaient simplement habitués à dire ce qu’ils pensaient sur les réseaux sociaux », explique Mark Farmaner, directeur de Burma Campaign UK, une ONG pour les droits de l’Homme en Birmanie, à France 24. « Ils sont habitués à avoir plus de liberté d’expression et avaient, avant tout cela, l’avenir devant eux. Ce que les militaires leur ont arraché », ajoute-t-il.
La jeunesse birmane joue un rôle crucial tant en ligne, où elle relaie les histoires de la résistance, que sur le terrain où elle mène régulièrement des mobilisations éclairs. Les générations les plus âgées agissent elles aussi, mais différemment, en distribuant des masques aux manifestants, bravant les interdictions de l’armée.
D’une génération à l’autre, la résistance devient une habitude et atteint toutes les strates de la vie quotidienne. Que ce soit en tapant sur des casseroles tous les soirs, en refusant de servir le personnel militaire dans les magasins, en boycottant certains produits comme la bière birmane ou le réseau téléphonique Mytel, en ne payant pas les factures d’électricité ou en ne jouant pas à la loterie : résister est devenu un passe-temps national extrêmement populaire. « Les gens protestent chaque jour de mille façons différentes », souligne Mark Farmaner. « Personne ne reste assis à attendre qu’Aung San Suu Kyi soit libérée », ajoute-t-il.
Risques de violentes représailles
Mais la résistance peut avoir de graves conséquences. L’organisation de Kyaw Win reçoit fréquemment des rapports faisant état de familles entières arrêtées et torturées, ou de massacres de masse dans des villages. « L’armée n’a aucune limite et elle est en train de tuer à tour de bras en utilisant les mêmes schémas du génocide des Rohingya en 2017 », s’inquiète le directeur. « Nous assistons à des crimes systémiques contre l’humanité. »
Des choses d’apparence aussi minimes que critiquer l’armée sur Facebook peuvent valoir de sérieuses représailles. « La police et les soldats arrêtent les gens et vérifient leurs téléphones portables […] De nombreux cas de tortures de masse sur des personnes arrêtées, d’agressions sexuelles sur des femmes détenues ou encore de personnes qui disparaissent, nous ont été relatés », poursuit-il.
Dix mois après le coup d’État du 1er février, le groupe militant local Assistance Action for Political Prisoners rapporte que plus de 1 300 personnes ont été tuées par la junte.
Des centaines de personnes ont rejoint les zones tenues par les rebelles des Forces de défense populaires (PDF), une organisation peu structurée de groupes armés qui propose de se former au combat et qui fomente des attaques contre des cibles militaires dans tout le pays. Les combattants des PDF ont déjà fabriqué des bombes artisanales, tendu des embuscades militaires, attaqué des cibles, notamment des entreprises de télécommunications, et assassiné des personnalités de premier plan, comme l’ancien dirigeant de Mytel, Thein Aung.
Selon certaines estimations, le nombre total de combattants des PDF s’élèverait à environ 8 000. Selon les chiffres officiels de l’armée, 986 « attaques terroristes », 2 344 attentats à la bombe et 312 incendies criminels ont été perpétrés en Birmanie entre février et fin octobre.
Il s’agit en soi d’un changement radical par rapport aux instructions d’Aung San Suu Kyi, qui appelait au respect de l’État de droit. Pour Mark Farmaner, cela montre que, même si l’ex-dirigeante est encore largement admirée, « elle n’est plus l’icône de la démocratie qu’elle avait été pour les générations précédentes, et que les jeunes ne vont pas se contenter de suivre ce qu’elle dit. Ils s’organisent désormais eux-mêmes ».
Une nouvelle forme de résistance
Ces dernières semaines, de nombreux anciens collègues d’Aung San Suu Kyi ont été condamnés à des peines de prison, dont 75 ans pour un ancien ministre en chef et 20 ans pour l’un de ses assistants accusé de trahison. D’autres ex-membres de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) ont quant à eux joué un rôle de premier plan dans la création d’un gouvernement fantôme, le gouvernement d’unité nationale de la Birmanie (NUG). Bien qu’il ne dispose d’aucun pouvoir légal, le NUG a pour rôle essentiel de sensibiliser la communauté internationale et d’empêcher l’armée de devenir l’interlocuteur par défaut.
L’ambassadeur de Birmanie auprès des Nations unies, Kyaw Moe Tun, affichant sa solidarité avec la résistance en faisant un salut à trois doigts, aux Nations unies, le 26 février 2021. © United Nations, AFP
Le NUG a également pris des mesures pour se distancer de certaines des politiques les plus autoritaires d’Aung San Suu Kyi s’il devait un jour gouverner le pays. Ainsi, le NUG a indiqué qu’il reconnaîtrait les Rohingya comme un groupe ethnique légitime de Birmanie et accepterait la juridiction de la Cour pénale internationale (CPI) pour tous les crimes internationaux commis sur le territoire depuis 2002. Dans un pays souvent divisé selon des critères ethniques et raciaux, le NUG s’est également efforcé de nommer des personnes issues de divers groupes ethniques dans ses ministères.
Mais pour l’heure, la résistance est entre les mains du peuple. Ce qui pourrait être l’une de ses plus grandes forces. L’arrestation d’Aung San Suu Kyi n’a pas freiné l’élan comme la junte aurait pu l’espérer, pas plus que l’arrestation des quelque 8 000 prisonniers politiques depuis le début du coup d’État. Selon Mark Farmaner, « les choses ne dépendent plus d’un seul dirigeant, et ils ne peuvent pas arrêter suffisamment de personnes car la résistance n’a plus la même ampleur qu’avant ».
La résistance est en marche, et elle semble désormais inarrêtable. Kyaw Win, comme beaucoup d’autres, a l’espoir d’un avenir meilleur. « Voir que les jeunes sur le terrain sont comme des frères et sœurs est une grande source de motivation pour moi. Indépendamment de la race et de la religion, nous résistons ensemble, et c’est une chose très encourageante. J’espère voir cette jeunesse diriger ce pays un jour, tel est mon espoir pour l’avenir », déclare-t-il.
Cet article a été adapté de l’anglais par Soraya Boubaya. Cliquez ici pour lire l’original.
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