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Lula, un guerrier souriant à la reconquête du Brésil

Luiz Inácio Lula da Silva, président du Brésil de 2002 à 2010, a réalisé en novembre une tournée triomphale en Europe. L’occasion pour lui de recueillir le soutien de la gauche européenne, toutes sensibilités confondues, et de rôder son discours de pré-candidat à l’élection présidentielle qui se tiendra en octobre 2022. Sa stratégie pour déloger Jair Bolsonaro s’appuie autant sur sa personnalité hors du commun que sur sa capacité à négocier avec les faiseurs de rois de la politique.

Pour José Luis Rodriguez Zapatero, l’ancien dirigeant socialiste espagnol, « Lula est un maitre à penser en matière de réduction des inégalités ». « Je suis ravi de t’avoir revu cher Lula, tu représentes l’espoir pour le Brésil », ajoutait François Hollande le 17 novembre 2021 pour saluer la venue à Paris de l’ex-président brésilien.

Du parlement européen de Bruxelles à Madrid, en passant par Berlin et Paris, Lula, blanchi par le tribunal suprême brésilien en avril 2021, s’est offert une tournée européenne digne d’un chef d’État. Discours, conférences, interviews, accolades, sourires et remerciements ont rythmé un agenda surchargé.

Dans les salons d’un grand hôtel parisien, où il est venu recevoir le Prix du courage politique décerné par la revue Politique internationale, l’ex-président âgé de 76 ans semble bien avoir l’énergie et la détermination d’un homme de 30 ans, comme il aime à le dire quand on l’interroge sur son âge.

Retrouvailles tout sourire entre Jean-Luc Mélenchon et Lula, le 17 novembre à Paris. Christophe Archambault, AFP

Détendu, en costume d’homme d’État rassurant 

Est-il candidat aux élections présidentielles de 2022 pour affronter Jair Bolsonaro ? « Je vous le ferai savoir en février ou en mars », répond-il calmement. En voulez-vous à la presse de vous avoir trainé dans la boue ? « Au Brésil, il y a une partie de la presse qui ne cherche pas à informer mais à faire élire le candidat qu’elle a choisi. C’est une industrie du mensonge », répond-il toujours aussi posément.

L’ex-ouvrier métallo, qui a retrouvé la liberté en novembre 2019, est égal à lui-même quand il déclame son amour pour le peuple brésilien, « bon, démocrate, généreux, travailleur et qui vaut bien mieux que les ignorants qui le dirigent actuellement », ou quand il défend la vocation du Brésil à devenir une puissance économique et régionale pour le bien de la planète. L’œil est malicieux, les phrases sont bien rodées et le charme opère sur les dizaines de chefs d’entreprises, hommes politiques et journalistes venus l’écouter et le voir.

Quelques heures plus tard, il était reçu à déjeuner à l’Élysée par Emmanuel Macron avec les fastes de la République. L’interminable séquence judiciaire entamée en 2011 qui a vu Lula être condamné dans plusieurs affaires pour corruption, détournement de fonds publics et entrave à l’exercice de la justice semble terminée. Pour Gaspard Estrada, directeur de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc) à Sciences Po, l’ex-président brésilien est « de retour dans la Champions League des dirigeants internationaux ».

Une stratégie électorale qui a fait ses preuves

Avec cette tournée, Lula a fait la démonstration qu’il n’est pas un paria aux yeux de la communauté internationale, contrairement à Jair Bolsonaro. Un élément essentiel à ses yeux pour reconquérir le cœur des Brésiliens et construire sa victoire à l’élection d’octobre 2022.

De retour au Brésil, et avant un autre déplacement aux États-Unis prévu dans les prochaines semaines, l’ex-président va poursuivre la stratégie électorale qui lui a tant souri pour accéder à la présidence du Brésil en 2002 : parler avec tout le monde, négocier et rallier les forces politiques au-delà du Parti des Travailleurs (PT), sa formation, notamment au centre de l’échiquier politique.

« Lula n’a pas de concurrence à gauche mais après la destitution de Dilma Rousseff (en 2016, NDLR), le PT s’est tourné vers sa gauche. Lors de la présidentielle de 2018, son candidat a choisi un colistier plus à gauche que lui. Mais historiquement, le PT ne gagne qu’avec une formule qui propose un vice-président qui vient du centre droit », souligne Oliver Stuenkel, professeur de relations internationales à la fondation Getulio Vargas à Sao Paulo.

Pendant ses deux mandats, Lula avait eu pour vice-président un homme d’affaires évangélique, José Alencar, « qui avait permis le ralliement de certains secteurs de la société qui ne lui étaient pas favorables », ajoute Armelle Enders, historienne du Brésil contemporain à l’université Paris-8.

L’incontournable « Centrao », ventre mou et corrompu de la politique brésilienne

Car pour gouverner le Brésil, tous les présidents depuis le retour à la démocratie en 1985 ont du faire alliance avec une multitude de petits partis plutôt conservateurs qui se font, à Brasilia, les porte-parole du Brésil « profond », celui qui défend le port d’armes, place la Bible au-dessus de tout et travaille au service de l’agrobusiness (23,5 % du PIB et 44 % des exportations de la première économie d’Amérique latine en 2018, selon les chiffres officiels).

Divisées en une multitude de sigles (25 partis ont des élus au Congrès) et appelées par les Brésiliens « Centrao » (« gros centre ») ces formations font la pluie et le beau temps. « On ne peut pas gouverner le Brésil sans le Centrao, ses membres seront toujours au gouvernement et se fichent bien de savoir qui va gagner l’élection. C’est une particularité du système politique brésilien », dit Oliver Stuenkel. 

Il est donc vraisemblable que Lula souhaite « renouer avec les temps heureux de sa présidence et mettre fin à la polarisation politique », en revenant au « Lulisme », un synonyme de « conciliation, d’acceptation des réalités de la vie politique brésilienne, c’est-à-dire la politique du troc, lorsque l’on échange son soutien contre des avantages matériels, en dehors de toute idéologie politique  » selon Armelle Enders.

« À gauche, on lui a d’ailleurs beaucoup reproché d’avoir des liens personnels avec beaucoup de personnalités de droite ou du centre jugées infréquentables », ajoute l’historienne. Mais en 2022, il est probable que cette même gauche ne fasse pas la fine bouche, puisque l’enjeu de l’élection n’est rien de moins que de mettre le capitaine Jair Bolsonaro définitivement à la retraite.

Renouer avec l’armée ?

Autre défi pour le grand conciliateur, celui de renouer avec l’institution militaire, très populaire auprès des Brésiliens et qui s’est rangée derrière Jair Bolsonaro après sa victoire en 2018. « Lula a essayé d’entamer un dialogue avec la hiérarchie militaire par l’intermédiaire de son ancien ministre de La Défense, Nelson Jobim, mais apparemment sans succès. La mise en place de la commission Vérité et réconciliation par Dilma Rousseff en 2014 a creusé un fossé entre le PT et l’armée, ce qui restreint le dialogue avec l’institution ou la police militaire », explique Oliver Stuenkel. 

Sur ce terrain, à Paris, Lula s’est montré inhabituellement peu conciliant. « Le rôle des forces armées brésiliennes est très bien défini par la Constitution : elles défendent la souveraineté de notre pays. (…)  Elles sont au service de la société civile. C’est ce que dit notre Constitution. Aujourd’hui, il y a 8 000 militaires qui occupent des postes de responsabilité civile, de confiance. Ils vont devoir partir et nous les remplacerons par des personnes non militaires. Il n’y pas de problème, mais je ne veux pas parler d’élections avec les militaires », disait-il devant les journalistes le 17 novembre.

Sous la présidence de Jair Bolsonaro, l’image de l’armée a été écornée par sa gestion catastrophique de la crise du Covid-19, quand le président brésilien a brièvement confié le ministère de la Santé à un militaire, le général Pazuello. Aussi, il ne serait pas étonnant que certains officiers supérieurs ne soient pas opposés à des tractations avec Lula qui, pendant ses deux mandats, affichait un nationalisme sans faille, notamment quand il s’agissait d’achat d’armements pour les forces armées.

Qui peut perturber le duel annoncé entre Bolsonaro et Lula ?

Dans un Brésil durement touchés par le chômage et par la crise sanitaire, alors que la faim a refait surface dans certaines régions du pays, Lula, qui caracole en tête de tous les sondages depuis des mois, veut axer sa candidature sur la réconciliation, en célébrant le Brésil et en rassurant. Et pourtant, c’est bien un duel ultra-polarisé qui s’annonce entre l’ex-président et Jair Bolsonaro.

D’autres personnalités tentent de perturber cet affrontement annoncé. On peut citer le juge Sergio Moro, celui qui envoya Lula en prison en 2018 à quelques mois de l’élection présidentielle avant de devenir le ministre de la Justice de l’actuel président brésilien. Ou encore le « Toucan » Joao Doria, un homme d’affaire multimillionnaire devenu gouverneur du riche État de Sao Paulo en 2019.

Si de nombreux Brésiliens s’intéressent à une « troisième voie » pour sortir de l’extrême polarisation politique dans lequel le pays est plongé depuis 2015, Oliver Stuenkel estime que « Lula espère affronter Bolsonaro au deuxième tour et Bolsonaro espère affronter Lula. C’est pour cela qu’ils ne s’attaquent pas vraiment l’un à l’autre pour l’instant ».

Pour Armelle Enders, « Lula va avoir du mal à ramener à lui les milieux d’affaires. En 20 ans, beaucoup de choses ont changé. Une nouvelle droite, très libertarienne, a pris de la force. Elle est à la recherche d’une troisième voie, entre un Lula trop à gauche et un Bolsonaro trop imprévisible. Elle pourrait se tourner vers la candidature du juge Moro qui peut gêner Bolsonaro ».

Les inconnues d’une élection décisive

Une victoire de Lula, espérée par de nombreux Brésiliens et aussi par de nombreux dirigeants en Europe et en Amérique latine, n’a rien d’acquise. En effet, bien que l’ancien président ait été blanchi des condamnations qui l’ont fait dormir 579 jours dans une prison de Curitiba, son nom reste synonyme, pour une partie de l’opinion publique brésilienne, de la corruption des élites politiques.

Jair Bolsonaro doit en grande partie son élection au rejet violent que le Parti des Travailleurs de Lula (qui a gouverné le Brésil sans interruption de 2003 à 2016) a suscité dans différents secteurs de la population, des milieux aisés à certains milieux populaires, ainsi que dans la presse.

« Actuellement, Jair Bolsonaro fait profil bas car il a été menacé de destitution quand il a tenté d’organiser un coup d’État en septembre. Mais il n’est pas enterré, tout est possible », estime Armelle Enders. Dans le cas d’une défaite au second tour, l’actuel président brésilien, grand admirateur de Donald Trump, n’entend pas quitter le pouvoir sans combattre, surtout si son vainqueur s’appelle Lula.

À Paris, à un journaliste qui lui demandait ce qu’il ferait si il était battu par Jair Bolsonaro au deuxième tour de l’élection présidentielle, le vieux guerrier a écarquillé les yeux avant de répondre « alors il ne me restera plus qu’à pleurer » !

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