Une majorité des juges de la Cour suprême des Etats-Unis ont semblé, mercredi 1er décembre, enclins à modifier le cadre légal qui, depuis près de cinquante ans, garantit le droit à l’avortement, soit en le restreignant, soit en l’annulant purement et simplement.
Les neuf juges, dont six sont conservateurs, ont examiné pendant deux heures une loi du Mississippi interdisant d’avorter après quinze semaines de grossesse. Bien que mesuré, le texte enfreint le cadre – auquel les Etats ne peuvent déroger – fixé par la Cour suprême, qui estime, depuis son arrêt Roe v. Wade, que la Constitution garantit le droit des femmes à avorter tant que le fœtus n’est pas « viable », c’est-à-dire jusqu’à environ vingt-deux à vingt-quatre semaines de grossesse.
La loi du Mississippi a donc été bloquée par les tribunaux avant d’entrer en vigueur, mais les autorités de cet Etat rural et religieux ont demandé à la Cour suprême d’intervenir. En acceptant leur recours, la haute juridiction a ainsi montré qu’elle était prête à revoir sa copie.
Rendre « la décision au peuple »
Lors de l’audience, certains magistrats conservateurs ont semblé vouloir corriger uniquement le seuil fixé pour avorter, sans remettre en cause le droit en lui-même. « Une interdiction après quinze semaines ne me semble pas un changement énorme par rapport à la viabilité, c’est la règle adoptée par une majorité de pays », a noté le juge en chef, John Roberts.
Mais le Mississippi leur a demandé d’aller plus loin et de profiter de ce dossier pour annuler totalement ses précédentes décisions. « Elles n’ont pas de fondement dans la Constitution » et ont « maintenu la Cour pendant cinquante ans au cœur d’une bataille politique », a plaidé son représentant, Scott Stewart. Mettre un terme à la décision Roe v. Wade permettra à chaque Etat de décider d’autoriser ou non les avortements et de rendre « la décision au peuple », a-t-il ajouté.
Plusieurs magistrats conservateurs se sont montrés sensibles à ses arguments. « La Cour a été obligée de choisir un camp dans l’un des débats de société les plus clivants en Amérique », a relevé le juge Brett Kavanaugh. Mais ne devrait-elle pas « être scrupuleusement neutre » et laisser cette décision aux élus, a-t-il interrogé. Sa consœur Amy Coney Barrett a rappelé qu’il était toujours possible de confier un nouveau-né non désiré aux services d’adoption, disponibles dans tout le pays.
Joe Biden continue de « soutenir » la jurisprudence
Défendant l’unique clinique du Mississippi qui pratique des avortements, l’avocate Julie Rinkelman a estimé que valider la loi de cet Etat reviendrait dans la pratique à annuler l’arrêt Roe v. Wade, même sans le dire. « Sans le critère de viabilité, il n’y aura aucune limite et les Etats se précipiteront pour interdire l’avortement à tous les stades de la grossesse », a-t-elle estimé. Les trois juges progressistes lui ont apporté leur soutien, en mettant en garde leurs collègues contre un revirement de jurisprudence.
Un groupe de manifestants contre l’avortement devant la Cour suprême des Etats-Unis, à Washington, le 1er décembre 2021. ANDREW HARNIK / AP
Changer de position à cause « de pressions sociales ou politiques » ou après l’arrivée « de nouveaux membres » pourrait porter atteinte à la « légitimité » de la Cour suprême, a notamment relevé le juge Stephen Breyer, en référence à l’arrivée de trois magistrats nommés par Donald Trump et choisis pour leur opposition à l’avortement. « Si les gens pensent que tout est politique, comment la Cour pourrait-elle survivre ? », a renchéri sa consœur Sonia Sotomayor, alors que la gauche américaine pousse déjà pour réformer l’influente institution.
Preuve de l’immense politisation des débats, des centaines d’élus ont écrit à la Cour suprême – les républicains pour appuyer la position du Mississippi, les démocrates pour défendre Roe v. Wade.
Après l’audience, le président des Etats-Unis, Joe Biden, a souligné publiquement qu’il « continuait de soutenir » cette jurisprudence, « la plus rationnelle » à ses yeux.
Décision avant la fin de juin 2022
A Washington, des milliers de manifestants ont formé deux groupes rivaux devant le temple du droit, dans une ambiance électrique. Sous les slogans « L’avortement est essentiel » ou « L’avortement relève de la santé », les défenseurs du droit des femmes à interrompre leur grossesse manifestaient un niveau d’inquiétude inédit. « C’est la plus forte attaque contre Roe v. Wade depuis des décennies », soulignait ainsi Cathy Renna.
Brandissant des pancartes « Avorter, c’est tuer », les opposants à l’avortement affichaient au contraire l’espoir d’obtenir raison après cinquante ans d’une lutte acharnée. « Je pense qu’on aura, si ce n’est la fin de [l’arrêt Roe v. Wade], au moins une plus grande latitude pour les Etats », expliquait Herb Geraghty.
La Cour suprême doit rendre sa décision avant la fin de juin 2022. Elle doit également se prononcer sur une loi texane qui, depuis le 1er septembre, interdit les avortements dès six semaines de grossesse.
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