Editorial du « Monde ». La chorégraphie a été parfaitement exécutée et il ne manquait rien, pas même l’émotion. Vendredi 26 novembre, à Rome, le président français, Emmanuel Macron, et le président du conseil italien, Mario Draghi, ont procédé à la signature d’un traité liant les deux pays. Puis, côte à côte, les avions de chasse de la Patrouille de France et les Frecce tricolori italiennes ont survolé la ville, mêlant les couleurs des deux drapeaux tricolores.
Les quatre années de gestation de ce traité du Quirinal ont été tout sauf paisibles : de juin 2018 à août 2019, sous le premier gouvernement Conte, alliant deux formations eurosceptiques, le Mouvement 5 étoiles (antisystème) et la Ligue (extrême droite), Paris et Rome ont même semblé plus loin que jamais l’un de l’autre.
Mais, vendredi, ces souvenirs étaient oubliés. L’ancien chef politique du Mouvement 5 étoiles, Luigi Di Maio, qui, en février 2019, avait rendu visite à des « gilets jaunes » à Montargis, défiant Emmanuel Macron, figurait parmi la délégation italienne en tant que ministre des affaires étrangères.
Le poids des non-dits
Depuis la nomination de l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi à la tête du gouvernement italien, en février, Paris et Rome semblent vivre un moment de syntonie sans équivalent dans l’histoire récente. Cela tient beaucoup aux personnes d’Emmanuel Macron et de Mario Draghi, qui sont en accord sur la plupart des grands dossiers. Mais on ne construit pas durablement une diplomatie sur des affinités personnelles. Aussi, c’est quand on songe aux inévitables tensions futures que le traité prend tout son sens.
La France et l’Italie sont en effet si proches, par l’histoire et la culture, que l’harmonie paraît aller de soi. Or rien n’est plus erroné, et la méconnaissance de quelques subtiles différences est à l’origine de fréquentes incompréhensions. Il y a également les sujets de friction habituels : les querelles d’influence en Méditerranée, les migrations et l’économie provoquent, depuis le XIXe siècle, des poussées de fièvre. Là où il est d’usage d’employer l’image du « couple » pour définir l’alliance franco-allemande, ce qui renvoie à l’idée d’un choix, rationnel ou sentimental, la relation franco-italienne est évoquée le plus souvent par des termes issus du registre de la famille – « frères » ou « cousins » –, ce qui peut évoquer l’évidence d’une proximité ou le poids des non-dits.
On peut regretter que le texte, qui prévoit une coopération renforcée en matière de diplomatie et de défense, ainsi que dans des domaines comme les transitions numériques, environnementales et l’espace, contienne bien peu de nouveautés ou d’ambitions concrètes à court terme. Face à cette timidité, le monde des entreprises et l’ensemble de la société, où s’expriment d’innombrables réalités partagées, paraissent très en avance sur la politique.
A sa signature, en janvier 1963, le traité de l’Elysée entre la France et l’Allemagne – auquel le traité du Quirinal se réfère explicitement – avait pour objectif de réparer les blessures de trois guerres franco-allemandes en moins d’un siècle et de rapprocher les peuples par-delà des millions de morts. La France et l’Italie, en 2021, n’ont aucun besoin de réconciliation historique : il s’agit plutôt de créer des mécanismes pour désamorcer les crises, ainsi que des systèmes de convergence. Il n’est pas interdit de rêver qu’on puisse à l’avenir aller plus loin. Le traité franco-allemand de 1963 n’était pas un accomplissement mais un point de départ. Il faut souhaiter qu’il en soit de même avec ce traité du Quirinal.
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