A lire les indicateurs économiques qui tombent jour après jour, l’économie française est sortie du Covid dans une forme éblouissante. La croissance a redémarré en trombe, la France a déjà rattrapé son niveau d’avant la pandémie et s’affirme en locomotive de la zone euro. Le chômage est au plus bas depuis quinze ans, le CAC 40 plus haut que jamais. Les résultats des entreprises sont florissants, leurs carnets de commandes bien remplis, le climat des affaires est au beau fixe. Préservés par le « quoi qu’il en coûte », frustrés par des mois d’atonie, les consommateurs dépensent, les entreprises investissent à tout va.
Choc énergétique
Seule ombre au tableau, de taille: l’intendance a du mal à suivre. Au point de risquer d’étouffer, déjà, l’élan de la reprise. Après des mois de confinement qui ont mis au ralenti les usines et vidé les stocks, le redémarrage brutal et véloce des industries des économies développées, a pris de court et créé une surchauffe planétaire. Rallumer l’interrupteur a généré un choc énergétique: pétrole, gaz, électricité, la demande s’est emballée et leurs cours ont flambé, asphyxiant les fonderies et raffineries.
Puis ce sont toutes les matières premières (acier, aluminium, cuivre, lithium, bois, coton, plastique, papier…), les composants et pièces (puces électroniques, boulons, fenêtres, emballages…) qui
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Ventes ratées
Enfin, le circuit logistique frise l’embolie: dans une économie mondialisée où 80% des marchandises sont transportées par voie maritime, ça bouchonne sur les océans du globe: pas assez de navires, des ports engorgés… et des tarifs de fret au sommet. « Faire venir un conteneur de Chine coûte 15.000 dollars quand il en fallait 2.000 l’an dernier, ça ne vaut plus le coup d’importer des peluches vendues 10 euros pièce », constate Jean Kimpe, de la Fédération des commerces de jouets.
Chaudières, perceuses, culottes, baskets, berlines, ordinateurs, livres, c’est la pagaille dans l’industrie manufacturière. Peinant à livrer, Nike, H&M ratent des ventes, adidas aussi qui prévoit 500 millions d’euros de manque à gagner cette année. Pour Apple, ce sont 6 milliards de dollars de chiffre d’affaires en moins entre juillet et septembre à cause des retards de fabrication d’iPhone. Decathlon a même publié une vidéo pour expliquer à ses clients pourquoi ils risquaient de ne pas trouver leur bicyclette préférée. Cadre, selle, dérailleur, « un vélo est composé d’une centaine de pièces et, pour les plus prisés, certaines peuvent dépasser les 500 jours d’acheminement », avertit l’enseigne. « Certains fournisseurs se permettent même d’adresser des bordereaux de commande sans plus de date ni de prix! » Jean-Christophe Repon, président de la Capeb (artisanat et bâtiment).
Certes, ces goulots d’étranglement font l’affaire de certains. Les négociants font de bonnes affaires. TotalEnergies gagne 3,2 milliards de dollars chaque fois que le prix du baril de pétrole monte de 10 dollars. STMicroelectronics a annoncé qu’il allait doubler sa production de semi-conducteurs en France d’ici à 2025. CMA CGM, troisième armateur mondial, a engrangé un bénéfice record de 11 milliards de dollars sur neuf mois en 2021, et le port du Havre redevient compétitif .
Les entreprises s’adaptent. Les distributeurs Conforama, La Redoute, Fnac-Darty, Castorama, Cdiscount ont commandé de plus gros volumes et plus tôt pour être au rendez-vous du Black Friday ce 26 novembre. Et les enseignes de jouets, qui réalisent la moitié de leurs ventes à Noël, ont su diversifier leur offre pour garnir leurs rayons, au profit des fabricants tricolores .
Mais si Renault monte des rétroviseurs manuels pour pouvoir commercialiser ses Clio, le constructeur n’a pu éviter de fermer la moitié de ses usines temporairement faute de microprocesseurs. « Comme ailleurs, l’industrie française, notamment l’automobile, traverse une mauvaise passe, constate Julien Pouget, à l’Insee. Ces pénuries persistantes freinent l’activité et ont fait grimper ses prix à la production de près de 11% sur un an. » Cette pression inflationniste rogne leurs marges et, progressivement, se répercutera sur les prix à la consommation.
Aujourd’hui, l’inflation, autour de 2,5%, reste pourtant bien plus modérée dans l’Hexagone qu’en Europe. « C’est parce que l’économie française est moins industrialisée et plus axée sur les services, peu affectés par les ruptures d’approvisionnement et qui, des restaurants au tourisme, ont profité à plein de la fin des restrictions sanitaires », explique Gilles Moëc, chef économiste d’Axa.
31%
Soit la baisse des immatriculations en octobre 2021 sur un an (Ministère des transports). Les carnets de commandes des constructeurs sont pleins mais 500.000 voitures ne seront pas produites en France cette année par manque de semi-conducteurs (PFA), comme ici à l’usine Toyota d’Onnaing dans le Nord.
Risque de spirale inflationniste
De plus, les économistes s’accordent à estimer que le déséquilibre entre offre et demande de marchandises finira par se normaliser d’ici à la mi-2022. Déjà, les prix de l’énergie, du fret, de certaines matières premières se sont calmés. Reste la grande crainte que la hausse des prix n’entraîne celle des salaires, enclenchant une spirale inflationniste incontrôlée.
Car, autre casse-tête, les entreprises peinent à recruter. Auxiliaires de vie, soignants, cuisiniers, soudeurs, routiers, informaticiens voire banquiers: plus de 160.000 postes ne trouveraient pas preneur, selon Pôle emploi. « On pourrait faire bien mieux si on avait plus de compétences et de bras, c’est un problème majeur », souligne le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux. Au point de pousser à des revalorisations salariales comme cela se négocie actuellement dans l’hôtellerie-restauration (lire page 22)? Gilles Moëc ne croit pas que cela ira plus loin: « On ne voit pas de tension marquée sur les salaires. » En fait, le danger qui menace la croissance française pourrait plutôt venir de là où on ne l’attend plus: le retour du Covid… qui frappe jusqu’à Matignon.
20.000
Le nombre de postes vacants au 3e trimestre 2021 dans la construction (Dares), dont nombre de chantiers tournent au ralenti, comme ci-contre à Bordeaux en septembre. Deux artisans du bâtiment sur trois indiquent avoir déjà dû renoncer à un chantier faute de main-d’œuvre (OpinionWay)
Gaëlle Macke
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