Les émeutes qui secouent Honiara, la capitale des îles Salomon, depuis mercredi sont en partie dues à un changement d’alignement diplomatique en faveur de Pékin qui remonte à 2019. Explications.
Trois jours d’émeutes, un couvre-feu reconduit pour un durée indéterminée à Honiara, la capitale des Îles Salomon, vendredi 26 novembre, et l’armée australienne appelée en renfort pour ramener l’ordre sur place.
Des milliers de manifestants appellent depuis mercredi à la démission de Manasseh Sogavare, le Premier ministre. Ils ont même tenté de s’introduire, vendredi, dans sa résidence personnelle après avoir essayé de prendre d’assaut le bâtiment du parlement deux jours plus tôt.
La question chinoise a « rendu la situation explosive »
Et l’intervention des forces de l’ordre, qui ont procédé à plusieurs tirs de sommation ces derniers jours, n’a pas calmé les esprits. Les débordements violents des manifestants ont continué et plusieurs magasins ont été incendiés. Pas n’importe où : la plupart des bâtiments attaqués se trouvent dans le quartier chinois d’Honiara.
Ce n’est pas un hasard. En effet, l’ombre de la Chine et la lutte d’influence que Pékin livre aux autres puissances occidentales dans le Pacifique pèsent sur ce mouvement de protestation. Une part importante des manifestants vient de l’île de Malaita, la province la plus peuplée du pays et où une majorité des habitants, y compris le gouvernement local, n’a pas pardonné à Manasseh Sogavare d’avoir opéré un virage diplomatique à 180 degrés en 2019 pour se rapprocher de Pékin au détriment de Taïwan.
Alors certes, « les bras de fer géopolitiques dans la région ne sont pas à proprement parler à l’origine de ces émeutes », analyse Mihai Sora, un ancien diplomate australien qui a été en poste dans les îles Salomon, interrogé par le New York Times. Le mouvement s’explique aussi par un profond malaise économique et social des habitants de Malaita, qui reprochent au gouvernement « une distribution injuste des ressources naturelles du pays qui ont fait de Malaita la région la moins développée de l’archipel », rappelle The Diplomat, un site spécialisé dans l’actualité de la zone asiatique.
Néanmoins, « les controverses autour de l’influence chinoise ont fragilisé la cohésion sociale dans l’archipel, rendant la situation d’autant plus explosive », ajoute Mihai Sora. En ce sens, les îles Salomon illustrent très concrètement à quel point les tensions géopolitiques toujours plus fortes entre les États-Unis et ses alliés d’un côté, et la Chine de l’autre peuvent déstabiliser des territoires entiers. D’où l’intérêt médiatique international suscité par un mouvement social dans un territoire qui ne compte, au total, que 668 000 habitants.
De pro-Taïwan à pro-Pékin
Jusqu’à récemment, les îles Salomon occupaient une place particulière sur la carte diplomatique : l’archipel était l’un des 16 États à reconnaître Taïwan comme un pays indépendant. Une décision prise en 1983, qui faisait des îles Salomon l’une des principales épines diplomatiques dans le pied chinois en Océanie.
L’irritation chinoise n’a fait que s’accentuer au fur et à mesure que Pékin a « assumé son statut de grande puissance sur la scène internationale », note The Diplomat. La volonté toujours plus affirmée de Xi Jinping, arrivé au pouvoir en Chine en 2012, d’étendre la sphère d’influence chinoise dans le monde à travers les fameuses Nouvelles routes de la soie (programme d’investissements chinois) rendait le défi diplomatique posé par les îles Salomon dans l’arrière-cour naturelle de Pékin – le Pacifique – d’autant plus intolérable.
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Et en 2019, tout change avec le quatrième mandat de Manasseh Sogavare. Le Premier ministre sortant avait fait campagne en promettant de renverser le jeu des alliances en faveur de Pékin. En septembre 2019, le nouveau gouvernement passe à l’acte et ne reconnaît plus Taïwan comme un pays indépendant. Les îles Salomon adhèrent, dans la foulée, aux Nouvelles routes de la Soie et au principe de la « One China Policy » (« politique d’une seule Chine », qui considère Taïwan comme faisant partie du territoire chinois).
Manasseh Sogavare a justifié cette volte-face diplomatique par la poursuite des intérêts économiques de l’archipel. « En 36 ans, Taïwan n’a fourni que 460 millions de dollars d’aide aux îles Salomon alors qu’en 2017 seulement, l’archipel a exporté pour 554,8 millions de dollars de produits vers la Chine », a souligné Denghua Zhang, spécialiste de la politique chinoise dans le Pacifique à l’Université nationale australienne de Canberra, dans un article d’opinion paru en 2019 sur le site The Diplomat.
Une justification économique qui n’a pas suffi à Washington et ses alliés. « Des sénateurs américains ont protesté contre ce réalignement diplomatique, Taïwan a déploré cette décision, et d’autres pays dans la région ont suivi l’exemple des îles Salomon comme l’archipel de Kiribati qui, deux semaines plus tard, a aussi arrêté de reconnaître Taïwan », note The Guardian.
Ce n’est pas seulement sur la scène internationale que cette décision de sacrifier Taïwan sur l’autel des bonnes relations économiques avec Pékin est mal passée. Sur l’île de Malaita, le gouvernement local a décidé de se désolidariser de ce choix, menaçant même de tenir un référendum pour obtenir l’indépendance à cause de ce réalignement diplomatique.
Une île à « louer » ?
Daniel Suidani, le Premier ministre de Malaita, a soutenu que la Chine avait versé des dessous-de-table à Manasseh Sogavere et ses alliés pour obtenir leur soutien. Il avait assuré avoir lui-même été approché par des Chinois dans ce même but.
Cette loyauté envers Taïwan n’est pas étonnante. Malaita abrite, en effet, la plus importante communauté taïwanaise de l’archipel et a été l’île la mieux lotie par l’aide financière de ce territoire revendiqué par Pékin, rappelle The Guardian.
Malaita regorge aussi de certaines ressources naturelles très convoitées par la Chine, à commencer par le bois. Les responsables locaux « craignaient que le gouvernement brade ces ressources pour améliorer ses relations avec Pékin », note le New York Times.
Une appréhension renforcée par la signature fin septembre 2019 d’un « accord de coopération » qui aurait permis à une entreprise chinoise de « louer » l’île entière de Tulagi pour 75 ans. Les révélations au sujet de cet accord, d’abord tenu secret, ont entraîné des vives critiques, à la fois des résidents de Tulagi, de Washington et des autorités de Malaita, forçant le gouvernement à faire machine arrière et déclarer l’accord illégal.
Depuis lors, l’île de Malaita ne rate pas une occasion de remuer le couteau taïwanais dans la plaie du gouvernement à Honiara. Ainsi, durant la pandémie, Daniel Sudani a remercié très officiellement l’État de Taïwan pour lui avoir fourni du matériel médical pour lutter contre le Covid-19. Et les émeutes qui ont éclaté en sont une preuve supplémentaire. Au final, c’est à se demander si ce sont les îles Salomon qui sont prises au piège de la lutte géopolitique entre les grandes puissances ou si c’est la Chine et Taïwan qui sont des « pions dans la bataille politique » qui oppose la région de Malaita au gouvernement solomonien depuis des années.
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