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Des Sénégalais attendent l’arrivée du président chinois, Xi Jinping, à l’aéroport de Dakar, en juillet 2018. STRINGER / REUTERS
Thierry Pairault est sinologue et socio-économiste, directeur de recherche émérite (CNRS/EHESS) et spécialiste de la présence chinoise en Afrique. Il vient de publier, avec Xavier Richet, Présences économiques chinoises en Méditerranée (éd. L’Harmattan/Iremmo). Dans un entretien au Monde Afrique, il explique que le Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) qui se tient à Dakar du dimanche 28 au mardi 30 novembre sonne « la fin des illusions » après des années de financements chinois à l’impact limité sur le développement du continent.
Dans quel climat s’ouvre le Focac de Dakar ?
Pour les Chinois comme pour les Africains, c’est un peu la fin des illusions. Chacun réalise qu’il ne suffit pas de dépenser de l’argent pour susciter le développement. Les Africains, en particulier, se rendent compte que les masses d’argent débloquées par les Chinois, finalement assez chères en termes de taux d’intérêt et assorties d’échéances de remboursement très brèves, ne suffisent pas à provoquer le choc économique et développemental recherché.
Indirectement, cela donne raison aux stratégies de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), qui mettent plutôt la pédale douce pour retenir les projets les plus réfléchis. Cette prise de conscience est nouvelle du côté africain. Mais les Chinois sont d’accord : ils admettent eux-mêmes qu’ils n’ont pas réalisé les études de rentabilité qui s’imposaient pour viabiliser les projets. Ils sont donc devenus plus durs dans l’attribution des crédits. Le Focac de Dakar s’inscrit dans ce contexte d’une révision s’opérant des deux côtés.
Comment identifier les intérêts mutuels entre la Chine et l’Afrique ?
La relation est profondément asymétrique. La Chine est sacrément importante pour l’Afrique. L’arrivée des Chinois, avec leurs projets et leurs financements, a permis aux Africains de sortir du face-à-face, qui tenait du monologue, avec les anciennes puissances coloniales. Elle leur offre un moyen de se démarquer de l’Occident, une autre façon d’envisager l’organisation mondiale. Dans l’autre sens, à savoir l’intérêt chinois pour l’Afrique, il faut bien distinguer l’économique du politique.
Au plan économique, l’Afrique n’est nullement une priorité pour la Chine. La place de l’Afrique dans le commerce extérieur chinois de marchandises est exactement la même que sa place dans le commerce mondial (3 %). De ce point de vue, il faut envisager les « routes de la soie » chinoises au-delà la rhétorique. L’Afrique n’est intéressante pour la Chine que dans la mesure où elle borde des routes maritimes vers l’Europe. La Corne de l’Afrique est certes impliquée, mais l’objectif chinois est l’accès au marché européen.
Pourtant, tout un discours s’est construit sur les investissements chinois en Afrique…
Attention, il faut bien distinguer les investissements réels des prestations de service dans les secteurs de la construction et des infrastructures (stades, aéroports, routes, immobilier… ), qui peuvent être entre dix et vingt fois supérieures. En 2019, les premiers se sont élevés à 2,7 milliards de dollars [environ 2,4 milliards d’euros] et les secondes à 44 milliards. La réalité est que la Chine est un prestataire de service plutôt qu’un investisseur en Afrique. A titre de comparaison, les investissements chinois au Laos, petit pays de 7 millions d’habitants, représentent à eux seuls ces dernières années autour de 30-40 % des investissements chinois sur l’ensemble de l’Afrique, continent de 1,2 milliard d’habitants.
Les activités chinoises en Afrique relèvent davantage du commerce – de biens ou de services – que de la production. Car à côté des prestations de service, il y a le commerce extérieur, deux fois plus élevé encore. On voit clairement que la partie commerciale est bien plus importante que les investissements proprement dits. La Chine ne participe que très marginalement à l’industrialisation du continent. D’autant que ces investissements sont concentrés sur des activités intensives en main-d’œuvre et peu capitalistiques, comme l’extraction minière ou la maroquinerie, et n’impliquent que peu de transfert de technologies.
Puisque vous évoquez les mines, la Chine ne dépend-elle pas de ces approvisionnements africains ?
Absolument pas. La Chine a joué une carte raisonnable en diversifiant ses fournisseurs. On l’a vu quand la crise a éclaté avec l’Australie. La Guinée l’a aussitôt remplacée comme fournisseur de fer et de bauxite. Pour tous les produits, Pékin a des alternatives. Sur le pétrole par exemple, l’Angola, qui fournissait 7 % des besoins des Chinois, vient de perdre environ 20 % de ce marché. La Chine s’est ainsi ménagé une grande souplesse. Sur les matières premières, les fournisseurs africains dépendent davantage du client chinois que le contraire.
L’intérêt de la Chine pour l’Afrique ne serait-il donc que politique ?
A chaque fois que la Chine investit une petite somme, achète ou vend, cela lui permet de fidéliser une clientèle dont elle va recueillir les dividendes aux Nations unies – en termes de vote à l’Assemblée générale. C’est ainsi qu’elle a pu obtenir la direction de quatre agences onusiennes : l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), l’Organisation pour le développement industriel (Onudi) et l’Union internationale des télécommunications (UIT). Ni les Européens ni les Américains n’ont jamais dirigé autant d’instances au même moment. La Chine n’a pu conquérir ces positions que grâce au soutien africain, un soutien plutôt bon marché.
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