Une sentence « frauduleuse », biaisée dans le sens de Bernard Tapie: la cour d’appel de Paris a condamné mercredi quatre prévenus, dont l’actuel patron d’Orange Stéphane Richard, dans l’affaire de l’arbitrage du Crédit Lyonnais en 2008.
A l’exact opposé de la décision du tribunal correctionnel, qui avait prononcé une relaxe générale en juillet 2019, la cour a jugé que l’arbitrage, qui avait octroyé 403 millions d’euros à Bernard Tapie, avait fait l’objet d’une « escroquerie ».
La petite salle d’audience, remplie comme un œuf, a écouté dans un épais silence cette décision très attendue, décisive dans l’antique conflit qui oppose Bernard Tapie, décédé en octobre, et le Crédit Lyonnais autour de la revente d’Adidas au début des années 1990.
L’arbitrage rendu en 2008, qui devait mettre fin au litige, avait aussitôt fait polémique. Il a depuis été annulé au civil en 2015 et Bernard Tapie condamné à rembourser l’argent public perçu.
C’est dans la procédure pénale que s’est prononcée mercredi la cour d’appel, qui devait déterminer si des infractions avaient été commises.
A l’époque directeur de cabinet de la ministre de l’Economie Christine Lagarde, Stéphane Richard, aujourd’hui PDG d’Orange, a été condamné à un an de prison avec sursis et 50.000 euros d’amende.
« Il a commis des actes graves en privilégiant les intérêts de Bernard Tapie au détriment de ceux de l’Etat et des finances publiques qu’il avait en charge de défendre », a expliqué la présidente de la cour Sophie Clément.
– « Discrédit » –
Il a « trahi la confiance » de Christine Lagarde par « ses agissements occultes », a poursuivi la magistrate. « Le préjudice subi par l’Etat est immense du fait des sommes détournées et du discrédit que le comportement du prévenu a jeté sur la fonction publique ».
Stéphane Richard, 60 ans, qui a quitté la salle d’audience sans faire de commentaire, a annoncé par communiqué un pourvoi en cassation, dénonçant des « accusations (…) sans aucun fondement » et « basées sur aucune preuve ». « Je remets mon mandat entre les mains du conseil d’administration d’Orange », a-t-il ajouté.
Le CA de l’opérateur téléphonique doit se réunir mercredi à 18h00 pour « tirer les conséquences » de l’arrêt visant M. Richard.
Pour ne pas avoir formé de recours contre la sentence arbitrale, Christine Lagarde a été reconnue en 2016 coupable de « négligence » mais dispensée de peine par la Cour de justice de la République.
La cour a prononcé les peines les plus lourdes à l’encontre des deux hommes reconnus coupables d’escroquerie: l’un des trois arbitres Pierre Estoup et l’avocat historique de M. Tapie, Maurice Lantourne.
Le premier, aujourd’hui âgé de 95 ans, était « acquis à la cause de Bernard Tapie » et a « maîtrisé entièrement l’arbitrage en circonvenant les deux autres arbitres », a estimé Mme Clément: il a été condamné à trois ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende.
Le second a « obtenu la désignation » de M. Estoup et a « poursuivi des relations secrètes » avec lui pendant le processus, selon la cour.
– « Intérêts privés » –
Me Lantourne, 65 ans, condamné pour complicité de détournement de fonds publics, s’est vu infliger trois ans de prison dont un an ferme, 300.000 euros d’amende et une interdiction d’exercer pendant cinq ans – applicable immédiatement.
La juridiction d’appel a en outre condamné Jean-François Rocchi, ancien président d’une entité chargée de gérer le passif du Crédit Lyonnais, pour avoir « mis son savoir » de fonctionnaire « au service d’intérêts privés ». Cet homme de 66 ans a été reconnu coupable de complicité de détournement de fonds publics et condamné à deux ans de prison avec sursis et 25.000 euros d’amende.
Un autre fonctionnaire, Bernard Scemama, a pour sa part été relaxé.
Bernard Tapie était mis en cause dans ce dossier, mais les poursuites pénales contre lui sont éteintes depuis son décès le 3 octobre. La cour d’appel a néanmoins estimé qu’il avait « commis une faute civile » en « activant ses soutiens politiques » et en « mandatant son avocat pour faire pression sur la partie adverse ».
A la lecture de ces motivations, Hervé Temime, avocat de l’homme d’affaires qui a toujours clamé son innocence, a secoué la tête.
MM. Estoup et Lantourne, ainsi que les sociétés en liquidation de Bernard Tapie, ont été condamnés à payer environ 400 millions aux structures gérant le passif du Crédit Lyonnais.
MM. Richard et Rocchi ont été condamné à verser 40.000 euros à ces mêmes structures et les quatre prévenus à verser 100.000 euros au titre du préjudice moral à l’Etat, ainsi que 600.000 euros en frais de justice.
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