En 1966, j’ai enseigné pendant un an dans une école catholique de Rennes. L’équipe pédagogique comptait en son sein un aimable chanoine, un homme âgé très peu loquace. Pourtant, quand il me croisait dans l’escalier, il me saluait toujours d’un discret signe de tête, et murmurait doucement : « Ah, la perfide Albion. » Naturellement, les bons mots recèlent souvent une part de vérité. J’avais aussi un élève qui me dévisageait fréquemment avec une franche hostilité, et il a fini par m’avouer qu’il détestait « les Anglais », parce que son oncle avait péri à Mers El-Kébir en 1940, lorsque la Royal Navy avait coulé la flotte française – une opération dont j’ignorais tout à l’époque.
Depuis des siècles, nos deux pays ont été des ennemis irréductibles, et de temps à autre des alliés réticents. Existe-t-il deux autres nations qui se sont combattues aussi longtemps et sur tant de théâtres différents ? En Inde, au Canada, en Afrique et en Amérique, pour ne nommer que ceux-ci. Je me plais à surprendre mes amis américains avec ce chiffre : George Washington fit observer que si 5 000 Français n’étaient pas morts en combattant pour l’indépendance américaine, ils seraient encore sous le joug britannique. Même en temps de paix, les soupçons qu’entretiennent nos deux nations sur leurs motivations respectives se réveillent aisément et virent à la xénophobie. A l’heure actuelle, nous croisons le fer sur la pêche. Un enjeu mineur pour l’économie de la Grande-Bretagne, mais qui suscite des réactions passionnées de part et d’autre, et que certains responsables politiques ne peuvent qu’exploiter, qu’ils soient ou non en mal de réélection.
Nos forces et nos faiblesses respectives se répondent souvent en miroir : Français ou Anglais, nous pouvons être courageux et fermes sur nos principes, et nous sommes tout aussi capables de nous montrer indignes de confiance et hypocrites. Certaines perceptions que nous avons les uns des autres sont généralement obsolètes, vieilles de plusieurs décennies, si ce n’est de plusieurs siècles. Nous excellons à nous glisser tour à tour dans le rôle de l’accusateur et de la victime offensée.
Rappelons cette décision étrange de Churchill après la défaite de la France en 1940, lorsqu’il suggéra une Union franco-britannique scellant une hypothétique fusion des deux pays. De Gaulle, alors à Londres, adhéra à cette idée avec enthousiasme, mais Pétain répondit que ce serait « comme d’être enchaîné à un cadavre ». Vingt ans plus tard, ce fut de Gaulle qui se montra peu accueillant, quand il opposa une fin de non-recevoir à des premiers ministres britanniques désireux de rejoindre la Communauté économique européenne. La principale raison de ce rejet tenait à ce que les Anglais n’avaient guère l’esprit « communautaire ». Les événements de ces cinq dernières années lui ont donné raison.
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