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En Bolivie, le massacre toujours impuni de Senkata

Natividad Maman, à El Alto, en Bolivie, le 23 mars 2021, montre des photos de son fils, enlevé et prétendument torturé dans la région de Senkata, lors des affrontements entre partisans et opposants de l’ex-président Evo Morales en novembre 2019. LUIS GANDARILLAS / AFP

Elle s’accroche à la photo encadrée de son fils, la serrant contre sa poitrine, les épaules recouvertes d’un grand châle noir. « Mon fils est sorti, il m’a dit qu’il reviendrait dans une demi-heure, mais sur le chemin, il a trouvé la mort, narre dans un sanglot Maria Condori. Nous ne savons rien de ce qui lui est arrivé. Au poste de santé, nous l’avons vu ensanglanté, une balle lui avait perforé le crâne. Il est parti sans nous dire au revoir. » Rudy Vasquez Condori avait 23 ans, il travaillait dans une entreprise minière et soutenait économiquement le foyer parental. Il fait partie des dix personnes tuées par les forces de sécurité le 19 novembre 2019 à Senkata, un district de la ville d’El Alto, en périphérie de La Paz.

Aux côtés de Maria Condori, des veuves et d’autres mères, de jeunes garçons pour la plupart, assassinés au cours de ce que les organismes internationaux ont qualifié de « massacre » . Elles se sont réunies, deux ans après ces faits sanglants, pour exiger justice et réparation. A ce jour, une poignée de militaires et de policiers ont été placés en détention préventive dans cette affaire. Aucun n’a encore été jugé.

« C’est une grande douleur de se remémorer cette journée, mais il faut que les gens entendent la vérité. Les morts ne sont pas des terroristes ou des délinquants comme l’a fait croire le gouvernement de l’époque [dirigé par l’ex-présidente par intérim Jeanine Añez (2019-2020), en détention préventive depuis mars 2021 pour « sédition » et « terrorisme » dans l’affaire dite du « golpe » (putsch)]. Ils ont été massacrés », s’emporte Neylista Ruiz Quispe. Dans son dos, elle porte une jeune enfant. Elle était enceinte lorsque son mari a été tué. Ils sortaient ensemble d’un contrôle prénatal.

Reprise en main brutale

En novembre 2019, le pays est en proie à une crise politique majeure. Après des élections que l’opposition et l’Organisation des Etats américains estiment entachées d’irrégularités, le président Evo Morales est forcé à la démission, le 10 novembre. Le 12, la vice-présidente du Sénat, Jeanine Añez, se proclame présidente suivant l’ordre de succession, mais sans le quorum du Parlement. Cette autoproclamation et les premiers gestes qui s’ensuivent – son entrée au palais présidentiel une Bible la main et les rassemblements de ses partisans brûlant la whipala, le drapeau symbole d’une nation pluriethnique – déclenchent la colère des populations indigènes, en particulier aymara, l’ethnie majoritaire dont est issu Evo Morales.

Ce 19 novembre 2019, alors que le pays est plongé dans la violence, les habitants d’El Alto, bastion historique du Mouvement vers le socialisme (MAS), le parti d’Evo Morales, bloquent l’entrée de la raffinerie de gaz liquide et d’essence de Senkata en guise de protestation. Ils veulent empêcher la distribution de carburant vers La Paz. La reprise en main par les forces de l’ordre va être brutale. Un décret, signé deux jours après la prise de pouvoir de Jeanine Añez, exonère de poursuites pénales les forces armées dans l’exercice de leurs fonctions. Il sera dénoncé par les organisations internationales comme un « permis de tuer ».

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