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Des policiers ougandais sécurisent les alentours du Parlement après l’explosion d’une bombe, le 16 novembre 2021, à Kampala. SUMY SADRUNI / AFP
L’Ouganda a été frappé ces dernières semaines par une série d’attaques terroristes. Dernière en date : le 16 novembre, un double attentat-suicide à Kampala, attribué par la police aux rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF) et revendiqué par le groupe Etat islamique (EI), a fait quatre morts.
Dino Mahtani, directeur adjoint pour l’Afrique de l’International Crisis Group (ICG) depuis 2019, est un spécialiste des groupes armés tels que les ADF, une rébellion d’origine ougandaise active depuis vingt ans dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) voisine. Alors que l’EI désigne les ADF comme sa « province d’Afrique centrale » (Iscap, en anglais), le chercheur estime qu’il faut s’attendre à de nouveaux attentats de plus grande ampleur.
L’Ouganda a pendant longtemps été relativement épargné par les attentats terroristes. Comment expliquez-vous que le pays soit de nouveau une cible ?
Les attaques commises par les ADF se concentraient jusqu’ici sur leur zone d’influence, dans l’est de la RDC. Mais l’implication de l’organisation Etat islamique [en mars, les Etats-Unis ont officiellement déclaré les ADF affiliés à l’EI] et l’arrivée de combattants étrangers peuvent avoir fait évoluer la stratégie du groupe, avec de nouveaux objectifs régionaux. L’Ouganda devient une cible surtout pour des questions de proximité. Les frontières poreuses permettent à des membres du groupe armé de faire des allers-retours réguliers entre les deux pays. Ce n’est d’ailleurs pas le seul Etat frontalier de la RDC à être visé : le 1er octobre, le Rwanda annonçait également avoir déjoué un attentat organisé par un groupe lié aux ADF.
Que sait-on de la présence de l’EI en Ouganda ? Et de quelle façon le groupe terroriste est-il relié aux cellules ADF ?
Le degré d’implication de l’EI en Ouganda est difficile à estimer et il reste encore beaucoup à comprendre sur sa relation avec les ADF. Mais leur connexion est plus visible depuis deux ans. Musa Seka Baluku, le commandant de la faction la plus importante des ADF en RDC, a prêté allégeance à l’EI en 2019. Depuis, ses attaques sont souvent revendiquées par l’EI.
On observe également de possibles transactions financières. Des enquêteurs indépendants et les autorités régionales ont détecté qu’une cellule potentiellement connectée à l’EI et basée au Kenya avait envoyé des fonds à plusieurs individus affiliés aux ADF. Cette cellule a aussi transféré de l’argent à des membres d’autres groupes armés de la région, en Ouganda, au Mozambique et en Tanzanie.
Quel est le degré de connexion des attaques en Ouganda avec le commandement des ADF, basé dans l’est de la RDC ?
Les forces de l’ordre relient plusieurs des attaques de ces derniers mois à Meddie Nkalubo, un dirigeant des ADF en RDC. D’origine ougandaise, il est connu sous le nom de « Punisher ». Il est selon les autorités à l’origine de plusieurs complots, notamment de la tentative d’attentat déjouée en août lors de l’enterrement de Paul Lokech, un haut gradé de la police ougandaise. Meddie Nkalubo occupe différents rôles au sein du groupe armé : c’est l’un des responsables de la communication des messages de propagande et des vidéos d’instruction, mais il est également investi dans la gestion des drones et la fabrication d’explosifs.
Que sait-on des moyens dont ces cellules terroristes disposent ?
Les bombes utilisées par les ADF en Ouganda ont causé des dommages de degrés très variables. L’attaque du 23 octobre dans un restaurant de Kampala, qui a entraîné la mort d’une personne, a eu un impact limité. Tout comme l’attentat-suicide du 25 octobre dans un bus, dont l’auteur a été la seule victime. Cependant, les attentats du 16 novembre, plus meurtriers, montrent que le groupe a réussi à rapidement développer ses technologies. L’usage présumé de kamikazes reflète également la capacité des ADF à enrôler et radicaliser de nouveaux membres.
Les dernières attaques ont été perpétrées près du quartier général de la police et à proximité du Parlement, des sites à la portée symbolique importante. Faut-il se préparer à de nouveaux attentats de plus grande ampleur ?
C’est ce qui est à craindre. Dans les camps des ADF basés en RDC, les combattants étrangers, avec de nombreux Tanzaniens ces dernières années, reçoivent de plus en plus d’instructions sur la fabrication d’engins explosifs, même s’ils n’ont pas encore les capacités d’effectuer des attaques à la bombe très importantes, comme celles qu’on a pu voir au Moyen-Orient ou en Europe. Et avec la nouvelle implication de l’EI, l’Ouganda n’est pas le seul pays visé par la menace d’attentats : les réseaux terroristes sont présents dans de nombreux pays de la sous-région.
L’Ouganda est-il bien équipé pour répondre à cette menace ?
Les autorités ougandaises ont de l’expérience dans la lutte contre le terrorisme. Il y a d’abord eu les attentats-suicides de 2010 à Kampala, perpétrés par le groupe somalien des Chabab pendant la finale de la Coupe du monde de football et qui ont causé la mort de plus de 70 personnes. Depuis cette date, le groupe relié à Al-Qaïda a très fréquemment tenté de mener de nouvelles attaques, qui ont été déjouées par les forces de l’ordre.
Les autorités travaillent avec des partenaires occidentaux sur ces questions, mais l’un des défis reste la coopération entre les différents pays de la région, car ces réseaux terroristes ne s’arrêtent pas aux frontières ougandaises. L’autre défi sera la réponse à la menace : les arrestations de suspects, si elles ne sont pas ciblées et organisées minutieusement, peuvent accentuer le sentiment de discrimination d’une partie de la communauté musulmane du pays, qui représente 14 % de la population selon les estimations officielles.
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